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Sports - Le Sénat veut couper le cordon entre les collectivités et le sport professionnel

Face à l'émergence du "sport business" et dans un contexte financier plus que tendu pour les collectivités, la mission sénatoriale sur le sport professionnel et les collectivités territoriales préconise, dans un rapport qui sera présenté en séance publique en juin, une véritable "révolution sportive", et formule trente propositions pour remettre en cause le modèle actuel des aides publiques aux grands clubs et au sport professionnel en général.

Un modèle "à bout de souffle", c'est ainsi que la mission commune d'information sénatoriale sur le sport professionnel et les collectivités territoriales qualifie le soutien de ces dernières au premier. Dans un rapport dont la synthèse a été présentée le 30 avril, les rapporteurs invitent à "faire évoluer ce modèle à un moment où l'argent public manque cruellement" et à tenir compte de "l'émergence d'une véritable industrie du sport business" dans laquelle les collectivités territoriales n'ont pas leur place. Reprenant le vocabulaire du sport, les sénateurs estiment donc que "l'heure des transferts" a sonné.
Fruit de six mois de travail, d'une centaine d'auditions, de tables rondes, d'entretiens et de plusieurs déplacements, ce rapport sénatorial (adopté à l'unanimité et qui sera présenté en séance publique au mois de juin), a mobilisé tous les acteurs du sport français, professionnel ou non, des représentants des collectivités territoriales ainsi que de nombreuses parties prenantes (associations, architectes, universitaires, etc.).

Privatisation des bénéfices, socialisation des pertes

Au niveau des constats, la mission sénatoriale a identifié quatre changements majeurs qui marquent le développement du sport professionnel français. Tout d'abord, "le sport professionnel français a fait le choix de l'Europe et de la compétition". D'autre part, de nombreux clubs se sont lancés dans des "politiques de recrutement ambitieuses avec pour conséquence une hausse de leur masse salariale qu'il leur faut maintenant assumer". Ensuite, les droits de diffusion audiovisuelle, qui ont fortement augmenté ces dernières années, "doivent maintenant contribuer au financement de l'investissement". Enfin, les clubs qui souhaitent disposer de nouvelles enceintes et d'arénas répondant aux standards européens (plus vastes, plus modulables) et permettant d'augmenter leurs recettes (loges VIP, places Premium, utilisation des installations tout au long de l'année) ont vocation, selon les rapporteurs, à en devenir propriétaires ou, à tout le moins, gestionnaires.
Parallèlement à ce constat de la montée en puissance d'une véritable industrie du sport professionnel, les sénateurs jugent l'implication des collectivités territoriales "contrainte et désordonnée". Et c'est la légitimité même de leurs aides qui, selon la mission, fait débat aujourd'hui. Pour elle, "il n'est plus acceptable de voir les clubs s'engager dans une inflation des dépenses salariales pour recruter les meilleurs joueurs alors que les collectivités assument seules les investissements dans les équipements sportifs sans bénéficier des recettes des droits télévisés". Une situation, conclut la synthèse du rapport, qui conduit à "une privatisation des bénéfices, via la masse salariale, et [à] une socialisation des pertes, via le soutien financier des collectivités territoriales". Au cours de la saison 2011-2012, le montant moyen de subventions publiques locales par club professionnel s'élevait en effet à plus de 800.000 euros et le total des subventions atteignait près de 157 millions d'euros.

Proscrire le recours aux PPP

Face à ces constats implacables, les trente propositions présentées par Stéphane Mazars, sénateur de l'Aveyron, constituent "une vraie révolution sportive". Car c'est tout le socle des rapports entre sport professionnel et collectivités territoriales qu'il s'agit de revoir, voire de mettre à bas. Ainsi, la mission souhaite "fixer à 2020 la fin des subventions des collectivités territoriales aux clubs professionnels de l'ensemble des disciplines arrivées à maturité" et encore "supprimer à partir de la saison 2016-2017 les subventions et l'achat de prestations par les collectivités territoriales sans contreparties en termes d'intérêt général aux clubs de la Ligue 1 de football et du Top 14 de rugby". Les achats de prestations des collectivités territoriales pourraient être transférés au bénéfice de fondations et fonds de dotation des clubs afin de garantir que les contreparties respectent l'intérêt général. Autre mesure spectaculaire pour soulager les finances des collectivités : le transfert progressif de la propriété des enceintes sportives aux clubs professionnels et aux fédérations. Toutefois, les rapporteurs souhaitent "permettre aux collectivités qui le souhaitent de conserver la propriété de leurs infrastructures sportives professionnelles" tout en les incitant à en déléguer la gestion aux clubs résidents. Autre mesure-phare proposée dans le rapport : limiter le montant des fonds publics alloués à la construction des nouvelles enceintes sportives réservées au sport professionnel à 50% du coût total, et surtout proscrire le recours aux partenariats public-privé (PPP) par les collectivités territoriales pour financer de nouveaux stades.
Enfin, au chapitre des compétences, la mission entend faire désigner la métropole ou l'intercommunalité comme "partenaire de référence" pour accompagner les clubs professionnels, et voir affirmer la compétence exclusive de la région en matière de formation professionnelle dans le domaine du sport professionnel.

Course d'obstacles

Venant après plusieurs rapports récents sur le même sujet, le présent travail a le mérite de passer en revue les grandes problématiques posées aux collectivités locales (subventions, équipements). Ses propositions, reprenant en partie les positions exprimées ces dernières années par les représentants des collectivités territoriales, notamment l'Association nationale des élus en charge des sports (Andes), sont tranchées et ont le mérite de répondre aux préoccupations concrètes des élus. Michel Savin, sénateur de l'Isère et président de la mission, espère que certaines propositions se retrouveront dans le projet de loi sur le sport.
Pourtant, les obstacles seront nombreux avant de parvenir à un tel résultat. Tout d'abord parce que la nouvelle ministre des Sports, Najat Vallaud-Belkacem, a mis en suspens le projet de loi. Et surtout parce que les rapports entre élus locaux et clubs professionnels sont parfois menés en dehors de toute rationalité économique. Quant aux dirigeants des clubs professionnels, ils se satisfont très bien d'une situation avantageuse pour eux, notamment au regard de la propriété des stades. Le récent rapport Glavany sur le football professionnel (voir ci-contre notre article du 29 janvier) a ainsi montré que "le régime de propriété [publique] des stades est entré dans le modèle économique des clubs" et que ceux-ci se satisfont de mises à disposition "moyennant des rétributions modérées". Il faudrait donc recourir à un passage en force pour impliquer plus avant les clubs dans l'investissement dans les stades.

Jean Damien Lesay

Dunkerque abandonne son projet d'aréna
Les choses n'ont pas traîné du côté de la communauté urbaine de Dunkerque. Dès l'annonce de la décision de la conférence des maires de la communauté urbaine (CU), le 28 avril, d'abandonner le projet d'aréna, la page dédiée à ce grand équipement mort-né avait disparu sur le site de Dunkerque Grand Littoral.
Cette enceinte multi-usages, d'une capacité de 1.200 à 10.700 spectateurs, devait loger deux clubs de l'agglomération : l'USDK (handball) et le BCM Gravelines Dunkerque (basket). Une programmation complémentaire de concerts et d'autres événements devant compléter le calendrier.
Initialement prévue en octobre 2015, au terme des 36 mois de construction, la livraison par Vinci concessions avait déjà été largement retardée. Le montant à financer s'élevait à 112,4 millions d'euros, dont 30 millions à la charge de la région Nord-Pas-de-Calais. Quant à la redevance annuelle de la CU, maîtresse d'œuvre, d'un montant de 6,6 millions par an sur 27 ans, elle aurait totalisé 178 millions d'euros à l'horizon 2039.
Patrice Vergriete, nouveau président de la CU, proposera au conseil communautaire de juin de voter une délibération entérinant cet abandon. Dunkerque Grand Littoral devra alors s'acquitter d'un dédit de 13 millions d'euros en faveur du concessionnaire. Une dépense qui viendra s'ajouter à celles déjà engagées au titre des études (sols, risques environnementaux, infrastructures de transports, etc.) et aux indemnités de retard. Au total, selon La Voix du Nord, l'aréna qui ne verra pas le jour aura coûté quelque 30 millions d'euros aux finances locales.