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Les pistes du Sénat pour renforcer l'ingénierie territoriale

Dans un rapport qu'elle vient de publier, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation formule 25 propositions pour promouvoir l'ingénierie publique locale. Acteur majeur dans ce domaine, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) doit être en mesure de "faire émerger les projets locaux" et de "lutter contre les inégalités territoriales", estiment les sénateurs.

Début juin, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation avait transmis ses "points de vigilance" à la présidente et au directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) sur les modalités d'intervention de cette structure née le 1er janvier dernier (voir notre article du 8 juin 2020). On se situait à un moment charnière dans la croissance de la jeune et très attendue entité issue de la fusion du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), de l’Agence du numérique et de l’Établissement public de restructuration et d’aménagement des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca). Sa stratégie d'intervention venait tout juste d'être dévoilée (notre article du 2 juin 2020). Mais pas encore sa feuille de route. L'adoption de cette feuille de route, ce fut précisément l'objet de la réunion du conseil d'administration de l'agence, le 17 juin dernier (voir notre article du 18 juin 2020). Un rendez-vous qui a répondu à certaines des attentes formulées par les sénateurs, mais pas toutes. Dans le rapport final sur l'ingénierie territoriale et l'ANCT qui a été publié ce 21 septembre, les rapporteurs - Charles Guené (LR) et Josiane Costes (RDSE) - réitèrent donc plusieurs des vœux qu'ils avaient mis en avant dans leur communication de juin dernier.

Afin que l'agence intervienne vraiment, comme elle l'entend, dans une logique de "complémentarité avec les services déconcentrés de l'Etat" et de "subsidiarité", il est "nécessaire de dresser une cartographie fine et détaillée de l’offre locale d’ingénierie intégrant celle fournie par les collectivités territoriales", soulignent les sénateurs. Pour diffuser les résultats de ce travail, ils préconisent, de créer "une plateforme numérique, en données collaboratives et ouvertes". Attention, préviennent-ils par ailleurs, à ce que le choix d'un conventionnement avec les cinq entités partenaires (Anah, Anru, Ademe, Cerema, Caisse des Dépôts) n'entraîne pas une "déperdition d’énergie dans les circuits de décision".

"Ecouter les besoins des territoires"

En outre, prenant acte de l'objectif, affiché par l'agence, de contribuer à la mise en œuvre des programmes nationaux, le binôme de la délégation sénatoriale dit tout le mal qu'il pense de la logique des appels à projets. Ceux-ci "écartent les collectivités les plus démunies, dans la mesure où elles ne sont pas le plus souvent en mesure d’assurer le montage administratif et technique des dossiers". Au contraire, l'ANCT devra "écouter les besoins des territoires pour faire émerger les projets locaux", insistent les sénateurs. L'objectif fixé par l'ANCT de passer des "contrats de cohésion territoriale" avec "les territoires identifiés comme particulièrement vulnérables" pourrait les satisfaire. Mais là-dessus, ils s'interrogent : "Selon quels critères ces territoires seront-ils déterminés et quels moyens spécifiques l'agence mobilisera-t-elle ?" Car il convient de mettre le paquet pour soutenir ces territoires, soulignent-ils. En recommandant d'affecter à cet objectif la totalité des 7 millions d'euros du budget de l'ANCT dédié à l'ingénierie "sur-mesure". "Pas de saupoudrage !", plaident-ils, en somme. Au passage, les parlementaires réclament que le montant de l'enveloppe soit doublé. Ce qui constituerait un effort important : le budget total de l'agence s'élève à 75 millions d'euros en 2020. Toujours pour aider "les territoires les plus fragiles", ils recommandent que des cadres de l'Etat spécialisés dans "l'ingénierie de conception de projets", puissent être missionnés "pour la durée d'une étude ou d'une opération".

Inégalités territoriales

La création de l'ANCT est pleinement justifiée, selon les auteurs du rapport. Le recul – sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande – de l'ingénierie mise à la disposition des collectivités territoriales par l'Etat n'a été que partiellement compensé par les acteurs locaux offrant des solutions d'ingénierie aux collectivités. Les services apportés par les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d’urbanisme et les centres de gestion, ainsi que le développement de l'offre des intercommunalités les plus grandes, et surtout celle des agences techniques portées par les conseils départementaux (au nombre de 70), reste insuffisants. Cette ingénierie publique locale "ne couvre pas tous les besoins, notamment en ingénierie stratégique et de conception", insistent les sénateurs. Pour des domaines très spécialisés qui ne relèvent pas de savoir-faire locaux (ingénierie des ouvrages d’art, problèmes complexes d’urbanisme, inondations…), le rôle que joue l'Etat (via notamment le Cerema) reste irremplaçable, comme l'a estimé l'Assemblée des départements de France lors de son audition par les sénateurs. Autre problème : le développement d'une ingénierie publique portée par les collectivités – qui est fonction notamment de la richesse de celles-ci – est source d'inégalités territoriales. Pour autant, les sénateurs appellent à "conforter ou favoriser l’émergence d’une offre d’ingénierie publique locale dans chaque département, en lien étroit avec le conseil départemental" et à ce que cette offre soit "pleinement reconnue par les services déconcentrés de l’État et associée aux actions de l’ANCT".

Nouvelles sources de financement

Les sénateurs accompagnent ce vœu de recettes très concrètes – mais pas toujours nouvelles –, comme un assouplissement des règles de la fonction publique. Il s'agirait d'autoriser les petites collectivités à employer des cadres territoriaux de haut niveau et de développer le contrat de projet prévu par la loi de transformation de la fonction publique, à savoir un CDD (renouvelable) d'une durée allant de un à six ans.
Pour améliorer le financement de l'ingénierie publique locale, les sénateurs proposent de rendre possible l'affectation d'une partie des dotations de l'Etat en faveur de l'investissement local (DSIL et DETR) à des dépenses de personnels dédiés à l'ingénierie – mais seulement "à titre exceptionnel et sur des territoires en besoin". En outre, selon les sénateurs, les départements devraient pouvoir utiliser plus librement les recettes de la taxe d'aménagement (afin de financer notamment leurs dépenses en matière d'ingénierie). Quant à la proposition, plus large, d'un rééquilibrage de la dotation globale de fonctionnement (DGF) entre les territoires urbains et ruraux... on sait qu'elle a été rejetée par les gouvernements successifs ces dernières années.