L’Eurogroupe s’accorde sur la nécessité d’un plan de relance mais pas sur ses modalités.

L’Eurogroupe du 23 avril a conclu sur la nécessité d’un Fonds de Relance. Il renvoie néanmoins les modalités de financement et le montant de cet instrument à l’été.

L’Eurogroupe a mandaté la Commission pour mener d’ici là une analyse des besoins et l’a chargée d’émettre des propositions. 
Pour mémoire, les chefs d’Etat des 27 s’étaient entendus lors de l’Eurogroupe du 9 avril pour réunir 540 Mds €, malgré une divergence Nord / Sud sur la question de la solidarité.

La crise sanitaire et économique appelle une réponse globale.

Les acteurs internationaux sont unanimes : la réponse à la crise doit être à la hauteur des enjeux. Le porte-parole de la présidence saoudienne du G20 rappelle que des défis globaux requièrent des solutions mondiales. Dans une lettre ouverte publiée dans les grands journaux européens, des personnalités, comme Valéry Giscard d’Estaing, considèrent la crise comme une opportunité de modernisation de toute l’UE. Un vœu entendu par le Pape, qui appelle à prier pour l‘Europe(1) 

Toutes les institutions constatent l’ampleur de la crise économique.

La Présidente de la BCE a estimé le coût de la crise à 15 points de PIB pour l‘UE, un chiffre cohérent avec la prévision allemande d’un déficit à 7.5% de son PIB et un ratio de dette qui passe de 58.9 % à 75.25 % du PIB. La Chancelière a déclaré devant le Bundestag que les contributions nationales devaient être "beaucoup plus importantes" pour une "période limitée". La Présidente de la Commission a déjà opté pour un relèvement pour deux ou trois ans, des ressources propres de l’UE de 1.2% à 2 % du RNB(2) .

Deux lectures des traités s’opposent : l’UE est-elle un projet politique ou économique ?

C’est un projet essentiellement politique pour la France, qui voit dans l’absence de solidarité une distorsion de concurrence entre Etats, contraire aux traités. Certains peuvent garantir leurs entreprises(3) et mieux assumer la crise. Paris privilégie les subventions ou une dette mutualisée, un concept toujours rejeté par les pays du Nord(4) . Ces derniers ont cependant évolué sur la question de l’aide, la solidarité faisant partie des principes fondamentaux(5) de l’UE. C’est, à l’inverse, un projet principalement économique pour les Pays-Bas, tenants du respect des mécanismes existants dans les traités. Ils ont proposé aux pays du Sud des prêts, jusqu’à 20 Mds €, ce qui ne crée aucun partage de dette avec les pays bénéficiaires. Cette idée a été rejetée par le Premier ministre italien Giuseppe Conti, qui reconnaît néanmoins de "gros progrès".

Un accord existe sur la nécessité d’un plan de relance post Covid-19.

En l’absence de déclaration commune, le Président du Conseil Charles Michel, a présenté ses conclusions. La principale décision de cet Eurogroupe est l’adoption du principe d’un Fonds de Relance, jugé "nécessaire et urgent". La Commission se voit chargée de définir un instrument dédié, suffisamment puissant, visant en priorité les zones géographiques et les secteurs les plus touchés. Il incombe également à la Commission de déterminer l’articulation de ce fonds avec le futur CFP (Cadre financier pluriannuel 2021-2027). En revanche, rien n’est dit sur son financement, ni sur ses modalités d’engagement au profit des Etats les plus impactés, des sujets fondamentaux de facto délégués à la Commission.

Les négociations pour l’adoption du CFP(6) 2021-2027, déjà difficiles, s’annoncent encore plus ardues…

La principale alternative à un instrument de dette mutualisée est le CFP lui-même. Un renforcement passe donc, au-delà de l’augmentation des contributions, par un emprunt sur les marchés, qui repose précisément la notation financière de chaque emprunteur. 
Certains Etats se montrent réticents à la fois à une dette commune et à l’augmentation de leur contribution au budget de l’UE. Dans la mesure où le CFP 2021-2027 doit déjà intégrer de nouvelles priorités, telles que le Green Deal ou la transformation numérique de l’UE dont la légitimité n’est pas remise en question, la conception de la nouvelle version du CFP(7) s’annonce déjà délicate.

A défaut d’une hausse des contributions, on doit innover.

Même si un accord sur le CFP était trouvé, le budget de l’UE connaît ses propres limites : ses instruments de cohésion, PAC et fonds structurels, n’ont pas été conçus pour répondre à une crise dans l’urgence. Il faut par conséquent soit revoir les traités, soit imaginer de nouveaux outils, comme ces instruments qui font une entrée remarquée sur le marché du financement des projets : certains programmes(8) prévoient, dans une logique de mixage, le cumul d’une subvention de la Commission et d’un instrument d’investissement ou de prêt par un autre opérateur.

Une avancée de cet Eurogroupe signe une réponse à la hauteur des enjeux.

Partant du constat que l’Italie n’avait pu être aidée lorsque la crise s’est déclarée, parce que les matériels sanitaires manquaient à tous les Etats, l’UE réfléchit à amoindrir sa dépendance vis-à-vis d’Etats tiers. Cette autonomie, nouvelle conquête de l’UE qui découvre sa vulnérabilité, vise dans un premier temps la production des produits essentiels, mais pourrait s’étendre à des activités stratégiques, aujourd’hui largement mondialisées.


 (1) Lors de la messe célébrée le 22 avril dernier, le Pape a rappelé : « En ce temps où il faut beaucoup d’unité entre nous, entre les nations, prions aujourd’hui pour l’Europe, pour [qu’elle] parvienne à trouver [cette unité] fraternelle qu’ont rêvée les pères fondateurs de l’Union européenne ».
 (2) Une des ressources propres de l’UE est un prélèvement sur le RNB (revenu national brut) de chaque Etat. Conçue à titre complémentaire, c’est désormais, à près de 70%, la principale source de financement de l’UE. 1000 Mds € sont ici recherchés.
 (3) Les divers plans de garantie mis en place par les Etats reviennent à nationaliser pour un temps salaires, pertes et profits des entreprises.
 (4) Pays-Bas, Finlande, Allemagne, Danemark, Autriche.
 (5) Art 122 TFUE : 1. « Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie. 2. Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise ».
 (6) Cadre Financier Pluriannuel. 
 (7) Par la Commission, le 29 avril prochain.
 (8) CEF Blending Facility : une subvention de l’UE couplée à un produit d’investissement ou un prêt CDC pour financer des travaux déployant des carburants alternatifs ou la signalétique ferroviaire.

 

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