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Logement et acte III de la décentralisation : faire confiance à l'intelligence des collectivités, oui mais lesquelles ?

Plus de décentralisation ? Sur le principe, tout le monde ou presque est plutôt pour. Toutefois, dès lors que l'on entre dans le vif du sujet, les choses se compliquent. Prenons le cas du logement, cité par l'exécutif parmi les politiques publiques devant être décentralisées davantage. Avec quel rôle pour l'État ? Quel niveau de collectivités en première ligne ? Un colloque organisé le 21 octobre au Sénat intitulé "Logement social, réformes en cours et décentralisation : quelles conséquences pour les territoires ?" a témoigné de visions parfois discordantes entre élus spécialistes du sujet.

Alors que se précise la perspective d'un acte III de la décentralisation – ou plus exactement du projet de loi "3D", pour décentralisation, différenciation et déconcentration – se tenait au Sénat, le 21 octobre, un colloque intitulé "Logement social, réformes en cours et décentralisation : quelles conséquences pour les territoires ?". Une manifestation initiée conjointement par le Sénat – en l'occurrence Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice (LR) des Alpes-Maritimes et spécialiste reconnue des questions de logement –, l'Assemblée des départements de France (ADF) et la Fédération des offices publiques de l'habitat (FOPH), l'une des composantes de l'Union sociale de l'habitat (USH).

Après une introduction de la sénatrice des Alpes-Maritimes et de François-Xavier Dugourd, président du groupe de travail "Logement" de l'ADF et premier vice-président du conseil départemental de la Côte-d'Or, deux tables rondes ont occupé l'après-midi. La première, réunissant des experts, s'est penchée sur "Les impacts des réformes engagées en termes économiques et sociaux sur les territoires – Y-a-t-il encore une politique du logement en France ?". La seconde avait pour thème "Logement et décentralisation : quelles propositions au service des territoires ?". Elle réunissait cinq parlementaires très impliqués dans les questions de logement : Philippe Dallier, sénateur (LR) de la Seine-Saint-Denis, Annie Guillemot, sénatrice (PS) du Rhône, Valérie Létard, sénatrice (Union centriste) du Nord, Stéphane Peu, député (PC) de la Seine-Saint-Denis, et Sophie Primas, sénatrice (LR) des Yvelines. En face d'eux : un représentant de chacune des principales associations de collectivités (ADF, AMF, ADCF et France urbaine).
Invité, le groupe LREM a finalement renoncé à envoyer un représentant participer au débat. Une absence dont les raisons sont faciles à imaginer tant la première partie du colloque s'est transformée en un réquisitoire polyphonique contre la politique du gouvernement en matière de logement.

"L'accalmie après la tempête" ?

Secteur du logement "violemment attaqué" et bailleurs sociaux "ébranlés" pour Dominique Estrosi-Sassonne, écart entre un diagnostic juste (notamment dans l'exposé des motifs de la loi Elan) et des mesures qui ne semblent pas aller dans le même sens pour Pierre Madec, économiste à l'OFCE, "mise à mal de la stratégie des OPH" pour Cédric Van Styvendael, président de Housing Europe (et candidat du PS pour les prochaines municipales à Villeurbanne)... les critiques se sont concentrées sur la baisse des APL et sur la RLS, sur la TVA à 10%, sur les ventes de logement HLM, sur la marche forcée vers la concentration des opérateurs ou encore sur la prise en main par Bercy de la politique du logement.

Avec toutefois une note positive depuis l'accord trouvé en avril dernier entre l'USH et le Premier ministre (voir notre article ci-dessous du 16 avril 2019), mais aussi depuis l'annonce des mesures de la Banque des Territoires (Plan logement 2) et d'Action logement avec son "Plan en faveur du logement et de la mobilité des salariés" (voir respectivement nos articles ci-dessous des 9 et 2 mai 2019). Dominique Estrosi-Sassone estime ainsi que "l'accalmie semble avoir succédé à la tempête, mais le secteur a subi un choc".

À noter : les critiques ne se sont pas cantonnées à la politique du logement, mais se sont étendues aussi à la réforme de la taxe d'habitation, que les parlementaires présents et les représentants des associations de collectivités perçoivent toujours comme une remise en cause de l'autonomie des collectivités et comme une rupture du lien entre les habitants et leur commune. Pour Olivier Pavy, maire de Salbris (Loiret) et représentant de l'AMF, "c'est une vraie bombe politique", tandis qu'Emmanuel Heyraud, directeur de la cohésion sociale et du développement urbain à France urbaine, évoque "une levée de boucliers, car il y a rupture de tout lien avec la commune".

État régulateur ou État ingénieur ?

Sur la question de l'acte III de la décentralisation, les propos et les échanges ont été plus nuancés, avec une double ligne de partage : entre les parlementaires et les associations de collectivités d'une part, et entre les associations elles-mêmes d'autre part.

Côté consensus, tous les participants s'accordent sur la nécessité d'un acte III de la décentralisation et, plus particulièrement, sur la dimension "différenciation" de l'acronyme 3D. Avec une affirmation qui tient lieu de mantra pour tous les intervenants : faire confiance à l'intelligence des territoires. Ce principe consensuel posé, les parlementaires – même s'ils excipent tous de leurs fonctions antérieures d'élus locaux – se disent toutefois favorables à une décentralisation maîtrisée qui, d'une certaine façon, reste sous le contrôle de l'État. Pour Sophie Primas, il faut certes "redonner la parole aux territoires, mais en concertation avec l'État", car "la décentralisation va de pair avec la déconcentration". De même, Valérie Létard juge qu'"il faut un État régulateur, mais en descendant d'un niveau, par exemple en renforçant le rôle du CRHH" (comité régional de l'habitat et de l'hébergement). Annie Guillemot confirme la nécessité de "travailler avec l'État local, car il a la connaissance du terrain" et d'instaurer "une confiance réciproque entre l'État et les acteurs locaux". Mais pour s'interroger aussitôt : "Qu'est-ce que l'État en matière de logement ? Le ministère, Bercy ou les agences comme l'Anru ou l'Anah ?..."

De leur côté, les associations de collectivités en appellent plutôt à un État ingénieur, Jean-Paul Bert, membre du conseil d'administration de l'ADCF et président de la communauté du Pays voironnais, estime que "l'État doit développer une ingénierie de la médiation", ainsi que des mécanismes de contractualisation avec les collectivités, par exemple via les CRHH. Pour sa part, Emmanuel Heyraud, de France urbaine, rappelle le triptyque du manifeste d'Arras, adopté par l'association avant les élections de 2017 : liberté d'organisation des territoires, autonomie de fonctionnement et dialogue avec l'État.

Cette différence d'appréciation sur la place de l'État entre parlementaires et associations de collectivités peut aller jusqu'à une opposition. Philippe Dallier exclut ainsi fermement toute fongibilité entre les crédits qui seraient décentralisés à l'occasion de l'acte III, pourtant demandée par l'ADCF : "Pas question que l'enveloppe de l'Anru serve à financer n'importe quelle opération de logement !" Une position partagée par Stéphane Peu.

Un – relatif – consensus sur les compétences à transférer

En revanche, l'accord se fait plus facilement sur les compétences qui pourraient être transférées aux collectivités. Émergent ainsi notamment les aides à la pierre – dans lesquelles l'État joue désormais un rôle marginal après avoir confié le financement à Action logement – ou la définition du zonage pour les différentes aides fiscales au logement. En revanche, d'autres points ne font pas consensus, comme l'hébergement. Malgré les coûts exponentiels et les difficultés récurrentes, France urbaine souhaite, par exemple, que la compétence soit transférée aux EPCI – en l'occurrence essentiellement aux métropoles et aux grandes agglomérations –, alors que l'AMF s'y oppose fermement, considérant que la compétence doit absolument rester à l'État.

Si l'accord sur la nécessité d'un acte III de la décentralisation est unanime, se pose alors aussitôt la question qui fâche : à quelles collectivités transférer les compétences décentralisées ? Du côté des parlementaires, c'est la prudence qui règne, aucun des cinq participants ne se prononçant sur le niveau souhaitable, même si quelques discrètes réserves émergent parfois (par exemple Stéphane Peu sur les métropoles).

Quelles autorités organisatrices ?

En revanche, entre les associations de collectivités, c'est plutôt le chacun pour soi, tout particulièrement entre les départements et les EPCI. Pour l'AMF, la solution passerait par des contrats d'habitat local, mais uniquement avec des EPCI volontaires. Pour l'ADF, les départements pourraient jouer un rôle de "fédérateurs des acteurs du logement, avec une approche globale". Ils pourraient notamment être investis comme autorité organisatrice du logement, avec création d'un observatoire de l'habitat comme outil de pilotage. Les départements pourraient également mettre en place des "plans départementaux de l'habitat", sur une durée de six ans.

Le son de cloche est très différent du côté de France urbaine, qui souhaite qu'"un maximum de compétences soit transféré vers les EPCI, avec les ressources correspondantes". France urbaine estime en effet que "les EPCI doivent être reconnus comme autorités organisatrices, pour le parc public comme pour le parc privé". Position voisine, mais moins radicale, pour l'ADCF, qui propose de développer des "contrats territoriaux", avec impulsion de l'État et mise en œuvre relevant de la proximité, avec uniquement des obligations de résultats.

"Attention à ne pas opposer les niveaux de collectivités"

Devant ces divergences de vue, l'AMF en appelle à la prudence, en veillant à ne pas opposer communes et intercommunalités. L'ADF estime aussi, pour sa part, qu'"il faut faire attention à ne pas opposer les niveaux de collectivité". Une situation qui fait dire prudemment à Sophie Primas que "ce sera parfois l'EPCI et parfois le département" et à Philippe Dallier, à propos du futur projet de loi, que "les débats vont être difficiles" et que le dépôt d'un texte au premier trimestre 2020 lui semble très optimiste.

Dans ce contexte, Marcel Rogemont, président de la FOPH, qui concluait le colloque, s'est bien gardé de prendre parti, centrant son intervention sur le rôle des élus locaux en général, qui "ont façonné le logement social, ont façonné les villes". Il a plaidé également contre "une sorte de vision macroéconomique, notamment au niveau européen, qui heurte la réalité du logement social" et "met en concurrence les territoires". Pour Marcel Rogemont, une telle approche "ne répond pas à l'enjeu social et territorial". Elle doit donc laisser la place, à travers l'acte III de la décentralisation, à de vraies "politiques locales de l'habitat", en phase avec les besoins et les réalités des territoires. Reste à savoir qui les portera...

 

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