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Loi Avenir professionnel : les régions pointent un risque de "trou noir" pour l'apprentissage en 2020

A partir du 1er janvier 2020, le système de l'apprentissage va passer aux mains des branches professionnelles. La loi Avenir professionnel publiée le 6 septembre 2018 prévoit ainsi un financement de l'apprentissage au contrat, dont le montant sera décidé par les branches. Les régions, démises d'une grande partie de leur rôle dans ce domaine, s'inquiètent d'un éventuel "trou noir" entre le moment où elles ne rempliront plus ces fonctions et celui où les branches seront capables de prendre le relais.

Y aura-t-il un "trou noir" pour l'apprentissage en 2020 ? C'est ce que craignent les régions après le vote de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. La loi prévoit de nombreux changements en matière d'apprentissage, dont le basculement d'un système administré actuellement par l'État et les régions à un système géré en majorité par le monde professionnel, et notamment les branches professionnelles, à partir de 2020. Les régions se verront ainsi privées de leur rôle (avec la suppression de la fraction régionale de la taxe) et la disparition de l'autorisation administrative pour toute ouverture de CFA (toute structure privée pourra ouvrir un CFA où bon lui souhaite). Désormais, c'est la loi de l'offre et de la demande qui prévaudra. Un changement de cap radical après vingt-cinq ans de régionalisation...
"Le principal risque est celui d’un véritable 'trou noir' pour l’apprentissage en 2020 : les régions n’interviendront plus et les filières professionnelles chargées de prendre le relais ne seront sans doute pas totalement en place dans dix-huit mois seulement", déplore Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Dans le détail, le financement de l'apprentissage s'effectuera à partir de 2020 au contrat (on parle de "coût-contrat") et non plus par subventions régionales. Pour chaque apprenti formé, les centres de formation d'apprentis (CFA) recevront un financement de la part des nouveaux opérateurs de compétences (Opco) qui remplaceront les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Les branches professionnelles seront chargées de déterminer au plan national un coût pour chaque diplôme ou titre professionnel. Et ce sont elles qui récolteront la taxe d'apprentissage.
"Les modalités de financement des CFA évoluent substantiellement. Ils avaient au préalable un seul interlocuteur régional, des règles de gestion claires, une visibilité sur la carte de l’apprentissage. Ils devront désormais s’adresser à de multiples Opco, avec des règles de fixation du coût au contrat qui ne sont pas clairement définies aujourd’hui", indique à Localtis Renaud Muselier.

Côté financement, "rien n'est certain"

Toutefois, les régions ne sont pas totalement écartées. Elles pourront continuer à financer certains CFA qui pourraient être mis en difficulté par la réforme, selon leurs critères d'aménagement du territoire et de développement de filières économiques (article 34). Elles pourront ainsi majorer le taux de prise en charge des contrats (dépenses de fonctionnement). Une enveloppe de 250 millions d'euros est évoquée pour cette péréquation territoriale (à titre de comparaison, elles géraient 1,6 milliard d'euros de taxe d'apprentissage). "Le chiffre de 250 millions d’euros pour l’ensemble des régions a plusieurs fois été évoqué mais rien n’est certain puisque ce montant n’est pas inscrit dans la loi et que ses modalités de calculs ont été contestés par toutes les régions, précise Renaud Muselier. Le gouvernement nous indique qu’il sera revu chaque année en loi de finances, ce qui est une source là aussi d’incertitude."

Les régions pourront aussi verser aux CFA des subventions d'investissement. Ces dépenses d'investissement transiteront par France compétences, la nouvelle agence publique quadripartite (État, régions, patronat et syndicats) qui va remplacer le comité paritaire interprofessionnel national pour l'emploi et la formation (Copanef), le Conseil national de l'emploi, de la formation ou de l'orientation professionnelles (Cnefop) et le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Ces investissements feront l'objet de conventions d'objectifs et de moyens conclues avec les Opco. Les critères d'attribution seront fixés par décret, après concertation avec les régions (article 36).
Les ressources destinées aux régions pour ce fonds d'investissement seront définies chaque année en loi de finances sur la base des dépenses d'investissement constatées lors des exercices 2017, 2018 et 2019. Le montant pourrait s'élever à 180 millions d'euros.
 

Une enveloppe de 400 à 500 millions d'euros nécessaire pour le fonctionnement

Mais ces financements sont jugés nettement insuffisants. Pour ce qui est de la péréquation territoriale, en Paca, le besoin est estimé à environ 40 millions d'euros et plusieurs dizaines de CFA auraient besoin d’un soutien. D'après Régions de France, la difficulté est la même dans de nombreuses régions. Et au niveau national, une enveloppe de l’ordre de 400 à 500 millions d'euros serait nécessaire, un chiffre nettement supérieur aux 250 millions d'euros que le gouvernement envisage aujourd’hui. Une mission "flash" de la DGEFP a été menée au printemps pour évaluer les besoins dans quatre régions, dont la région Paca. Un travail jugé "plus flash que véritablement sérieux" par Renaud Muselier mais qui a permis au conseil régional de mettre en avant les participations des régions à l'apprentissage hors fonctionnement et investissement, comme les services collectifs de transport, restauration, hébergement, les aides à la mobilité européenne, l'aide au premier équipement des apprentis, la démarche qualité des CFA, ou encore, pour Paca, la carte ZOU offrant la gratuité des transports par train sur leur trajet domicile-études aux apprentis, évaluée à un coût de 2,4 millions d'euros pour la région… Des dépenses "orphelines" qui ne sont pas intégrées dans la prise en charge du coût au contrat, selon le président de la région Paca. Dans sa propre évaluation publiée en avril, Régions de France estimait que pas moins de 700 CFA allaient être menacés par la réforme, à savoir tous les CFA de moins de 12 apprentis, seuil minimum de rentabilité. 

Des équipes apprentissage qui vont disparaître en régions

Au-delà de la question du financement, c'est le rôle des régions qui va considérablement "maigrir", puisqu'elles se voient retirer leur pouvoir de régulation administrative des CFA (ouverture, implantation, capacité d'accueil...). "Si la ministre assure que nous sommes encore dans le dispositif, nous ne sommes plus les leaders, le pilotage est plutôt effectué par les branches professionnelles, détaille-t-on ainsi à Régions de France. Cela peut avoir du sens, mais les branches professionnelles ne sont pas toutes capables de porter l'apprentissage, elles ne sont pas organisées de la même façon. Qu'en sera-t-il ainsi en outre-mer ?" Pendant le débat parlementaire, l'association n'a cessé de demander à être aux côtés des branches pour éviter le manque de régulation dans ce domaine mais le gouvernement n'a pas répondu favorablement à sa demande.
"Les équipes en charge de l'apprentissage vont disparaître et être invitées à changer de domaine, peut-être vers l'orientation où les régions prennent davantage de poids", explique-t-on à Régions de France. L'association voit ainsi se profiler à l'horizon une perte importante d'expériences et de connaissances en matière d'apprentissage.
Si ces changements avaient provoqué un tollé au sein des régions, avec des prises de position très fortes de certains exécutifs, dont Paca et la Normandie, les régions sont prêtes à avancer. Et contrairement à ce qu'avait laissé entendre la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, il n'est pas question pour elles de suspendre leurs obligations. "Nous assumerons pleinement notre compétence jusqu’au 31 décembre 2019", détaille Renaud Muselier, insistant sur les efforts récents de sa région en faveur du développement de l’apprentissage (ouverture de 90 classes préparatoires, contribution au financement de développeurs de l’apprentissage, investissements dans les équipements pédagogiques…). "Notre volonté de promouvoir l’apprentissage ne va pas s’arrêter le 1er janvier 2020. En revanche, nos moyens d’actions seront immanquablement réduits." C'est aussi le message que Régions de France veut faire passer. "Nous allons nous adapter et nous préparer à la période transitoire", assure ainsi l'association.

Un dispositif d'apprentis francs

La loi comporte d'autres aménagements, dont certains sont vus positivement par les régions, comme l'extension de l'âge de l'apprentissage à 29 ans révolus ou la simplification administrative des contrats. Parmi les autres modifications apportées par la loi : une durée minimum des contrats abaissée à six mois contre douze, des contrats qui pourront être conclus tout au long de l'année, des dérogations envisageables pour les jeunes travailleurs et les apprentis mineurs, un aménagement des conditions de rupture pour éviter un passage aux prud'hommes et une unification des aides aux employeurs. Enfin, un dispositif d’apprentis francs sera étudié pour envisager la création d'une aide de l’État aux CFA qui accueillent une personne résidant dans un quartier prioritaire et aux entreprises qui les embauchent en apprentissage.
Seulement, pour les régions, la réforme risque surtout de se traduire par une concentration des CFA dans les métropoles au détriment des territoires ruraux. Le sujet ne manquera pas de remonter lors de leur congrès de Marseille, ces 26 et 27 septembre, en pleine crise de confiance avec l'État sur la contractualisation financière. 

 

Référence : loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, publiée au Journal officiel du 6 septembre 2018.

 

 

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