Malgré des secteurs à la peine, l'artisanat a le vent en poupe

Pour la deuxième année consécutive, plus de 250.000 nouvelles entreprises artisanales ont vu le jour en 2023. Mais il s’agit principalement de micro-entreprises dont les perspectives de développement sont faibles. Qui plus est, ces chiffres recouvrent de fortes disparités selon les secteurs et les territoires. C'est ce qui ressort du baromètre de l'artisanat, publié le 25 juillet par l'Institut supérieur des métiers (ISM). Analyse avec Catherine Elie, sa directrice.

Plus de 250.000 nouvelles entreprises artisanales ont vu le jour en 2023. C'est la deuxième année consécutive que l'artisanat enregistre ce niveau. Mais le baromètre de l'artisanat, publié le 25 juillet 2024 par l'Institut supérieur des métiers (ISM), signale toutefois de grands écarts entre les secteurs d'activités et les territoires.

"Les deux tiers des créations d'entreprises ont lieu dans 20 secteurs principaux, même si l'artisanat recouvre plus de 300 activités différentes", indique ainsi le baromètre. Parmi les secteurs qui ont le vent en poupe : les taxis/VTC (15.390, +20%), le nettoyage, avec 38.010 créations (+17%) et les soins de beauté (15.230). D'autres secteurs s'en sortent bien, comme le commerce sur marché et éventaires (+13%) et la fabrication d'articles divers (+18%). À l'inverse, certains secteurs sont à la peine. C'est notamment le cas de l'alimentation et du BTP (mis à part les travaux de finition) en cohérence avec l'inflation et le recul du marché de la construction. Depuis plusieurs mois, les entreprises artisanales tirent le signal d'alarme (voir notre article du 17 janvier 2024).

"Soit on atteint un pic, soit c'est lié à la conjoncture"

"Il y a deux hypothèses, explique à Localtis Catherine Elie, directrice de l'ISM. Soit on atteint un pic, soit ces résultats sont liés à la conjoncture, avec les difficultés du secteur de la construction qui souffre énormément, et celles de l'alimentation, pour laquelle les taux bancaires sont peu propices à la reprise. On reste toutefois globalement sur des scores extraordinaires, même s'il s'agit de beaucoup de micro-entreprises."

Plus des trois quarts des entreprises artisanales créées l'ont en effet été sous forme individuelle, les formes sociétaires étant quant à elles en baisse (-14%) pour la première fois depuis la sortie de la crise sanitaire. "Si cela se confirme les prochaines années, ce sera inquiétant, détaille Catherine Elie, car les micro-entreprises se développent peu et les revenus sont relativement faibles. C'est un régime qui va à l'encontre des dynamiques de développement. Côté sociétés, on sait qu'il y a de grosses difficultés à trouver du personnel et à le gérer ; beaucoup d'entreprises, dans tous les secteurs et plus particulièrement celui du bâtiment, qui employaient des salariés sont revenues en arrière."

Hausse des activités de taxi/VTC et de nettoyage à Paris et dans les QPV

L'évolution des créations dans les territoires est en cohérence avec ces effets sectoriels. Ainsi, la hausse des activités de taxis/VTC et de nettoyage se ressent en Île-de-France, qui voit les entreprises artisanales augmenter de 6% entre 2022 et 2023. C'est la plus forte croissance de toute la France.

"Les chiffres progressent plus modérément dans les régions du nord et de l'est, tandis que l'ouest et le sud enregistrent des baisses, à l'exception de l'Occitanie et de la Corse", précise le baromètre.

Par rapport à 2019, soit avant la crise du Covid, l'évolution des créations d'entreprises reste toutefois à un niveau bien supérieur dans l'ensemble des régions. Et "globalement, depuis la crise sanitaire, la création d'entreprises artisanales est à la hausse dans tous les types de territoires alors qu'avant, la création était surtout tirée par les métropoles, précise Catherine Elie. Il y a une attractivité retrouvée pour ces entreprises et métiers de l'artisanat depuis la crise Covid, avec beaucoup de reconversions (entre 10 et 20%) qui ne se réalisent pas forcément à Paris ou dans une grande agglomération. Reste à savoir si cela va perdurer." Entre 2019 et 2023, la progression est ainsi plus marquée dans les villes de 20.000 à 99.999 habitants (+41%) qu'à Paris (+16%). Dans les communes à forte composante quartiers prioritaire de la ville (QPV), la dynamique est aussi très bonne (+21% entre 2019 et 2023 pour les communes où plus de 50% de la population réside en QPV). Elle est tirée par l'importance des installations de taxi/VTC et de nettoyage. Dans ces communes, 30% des créations se font ainsi dans l'une ou l'autre de ces activités.

Une baisse inquiétante des cessions-ventes de fonds de commerce

Le baromètre s'inquiète enfin de la baisse dans laquelle les cessions-ventes de fonds de commerce s'engagent à nouveau. Leur niveau (8.210) est inférieur à celui de 2019 (8.920) et tous les secteurs sont concernés, avec la plus forte baisse (-17%) pour l'artisanat de l'alimentation, suivi par le BTP (-14%), la fabrication (-3%) et les services (-2%). Ces baisses des cessions se font ressentir dans la quasi-totalité des régions, en dehors des Hauts-de-France (+9%) et du Centre-Val de Loire (+5%). Elle est supérieure à 10% dans l'ouest de la France et dans la région Grand Est.

Parmi les explications de ces évolutions à la baisse : le recul de l'activité en 2023 dans de nombreux secteurs qui a pu entraîner la frilosité des vendeurs et des repreneurs, et la hausse des taux d'intérêt bancaires. "Pour les cessions, depuis dix ans on est sur des chiffres orientés à la baisse, détaille Catherine Elie. C'est le fait du nombre de plus en plus important de micro-entreprises, pour lesquelles il n'y a quasiment rien à transmettre."

Le montant des cessions quant à lui augmente. Il se situe à 80.000 euros en moyenne, contre 70.000 en 2019, avec des pointes à 100.000 euros en Bretagne, 90.000 euros en Occitanie et Grand Est.