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Développement économique - Métropoles : quand la France s'éveillera

Les métropoles françaises sont "malades" et s'affaiblissent, alertent plusieurs économistes qui demandent de concentrer sur elles les efforts de l'aménagement du territoire. Car elles sont le moteur de la croissance.

Combien de métropoles en France ? "Depuis Tokyo ou Sanford, on n'en voit que trois ou quatre." Ce constat cinglant fait par Jean-Claude Prager, directeur de l'Adit (Agence pour la diffusion de l'information technologique), lors d'un débat organisé par la Documentation française le 9 juin, de nombreux économistes le partagent. Il est d'autant plus inquiétant, selon eux, que partout ailleurs, les métropoles sont le moteur de la croissance. Même le ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire a dû reconnaître récemment que la réforme des collectivités ne répondait pas aux véritables enjeux. Et les neuf agglomérations qui répondraient au critère des 450.000 habitants retenu par le texte auront de toute manière du mal à se faire une place sur la scène mondiale. "Je ne suis pas du tout sûr que les acteurs locaux ont pris conscience du potentiel et de la responsabilité des métropoles, a ainsi souligné Laurent Davezies, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris. Ce n'est pas une affaire de droite ou de gauche, il faut d'abord commencer par s'entendre là-dessus."

 

"On est en train de patiner dans un monde en accélération"

Selon ces économistes, le vieux débat sur l'attractivité est aujourd'hui dépassé car les métropoles sont "malades". Elles ne sont pas assez dynamiques pour entraîner avec elles les territoires résidentiels périphériques. Pas assez attractives non plus pour maintenir leur population. Effet TGV ? Les habitants profitent des facilités pour aller vivre ailleurs. Les métropoles ne profitent pas de leurs revenus. Exemple criant avec l'Ile-de-France : la "région capitale" concentre 28% de la richesse hexagonale mais n'attire que 22% des revenus. Par ailleurs, le revenu moyen croît moins vite dans les quatre grandes métropoles Paris, Lyon, Marseille et Lille que dans les autres aires urbaines. "On est en train de patiner dans un monde en accélération. En Grèce, depuis trente ans, des gens disaient que la situation est difficile. Et un beau jour, en novembre 2009, les choses ont coagulé de façon négative, ça peut très bien arriver à la France", a averti Christian Saint-Etienne, professeur au Cnam et membre du Conseil d'analyse économique, pour qui "tous les facteurs de croissances, on ne les a plus, or tous ces gisements de croissance à mobiliser se trouvent dans les métropoles".

Pierre Dartout n'est pas loin de partager cette vision. "Dans les périodes d'argent public rare, ne faut-il pas mettre l'accent sur les territoires qui vont produire plus de croissance et de richesses mais au bénéfice de l'ensemble ?", s'est-il interrogé. Le délégué interministériel et à l'attractivité du territoire (Datar) s'est toutefois montré un peu moins pessimiste que ses interlocuteurs, notamment sur le nombre de véritables métropoles françaises. "Nantes, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Grenoble ont une vocation à s'affirmer", même si elles n'atteignent pas la taille critique de Marseille ou Lyon. Selon lui, les pôles de compétitivité ont permis un changement de braquet : "Ils ont constitué un apport considérable pour la France, une mutation culturelle qui fait qu'aujourd'hui, la recherche publique travaille beaucoup mieux avec les entreprises."

 

Stratégies territoriales d'innovation

Si les pôles de compétitivité ont constitué un progrès, ils ne sont qu'une étape, lui ont rétorqué les économistes."Comment avec autant de talents, de capacités, de compétences a-t-on des résultats aussi médiocres ?", a lancé Christian Saint-Etienne, insistant sur la responsabilité des territoires. Et de tancer la récente décision du Conseil de Paris contre l'ouverture des grands magasins le dimanche. "On assiste à une muséification de Paris, c'est un élément de son affaiblissement." "A l'opposé, Michel Destot, à Grenoble, a une vision pour son territoire. L'Ile-de-France a dix ans de retard par rapport à la dynamique de Grenoble." L'auteur d'un rapport sur l'aménagement du territoire remis au chef de l'Etat l'an dernier a pris la défense du secrétaire général au développement de la région capitale, qui a dû croiser le fer avec les élus lors des débats du projet de loi sur le Grand Paris : "Christian Blanc cite la très faible production de richesse du plateau de Saclay par rapport au nombre de chercheurs : il y a un facteur de un à dix entre Paris et ce qui se passe aux Etats-Unis ou au Japon."
Jean-Claude Prager identifie trois leviers de croissance : la puissance de l'offre de connaissance et le rôle des universités et de la recherche, la capacité d'absorption de l'innovation par les entreprises, et le tissu interstitiel, "ce qui fait que ça bouillonne". "Tous ces phénomènes sont de caractère métropolitain", a-t-il insisté.
Les économistes se sont livrés à un plaidoyer pour l'échelon régional. Alors que l'expérience des schémas régionaux de développement économique a été suspendue pour cause d'évaluation, Christian Saint-Etienne a estimé que "c'est aux régions qu'il faudrait confier le maillage des PME". "Il faudrait aussi multiplier les fonds régionaux d'investissements, donner une totale responsabilité politique aux régions pour l'innovation des PME... Ce serait l'un des éléments décisifs pour faire prendre la mayonnaise." Selon Laurent Davezies, des progrès ont été accomplis dans le cadre des programmes opérationnels des fonds structurels avec la demande de la Commission de réaliser dans chaque région une stratégie territoriale d'innovation. "Cette demande a été bien relayée et a débouché sur une doctrine commune."


Michel Tendil