Mobilité électrique : satisfaction sur le déploiement des bornes, inquiétudes sur les conséquences de l’électrification à marche forcée du parc automobile

Une éclaircie sur le marché des véhicules électriques : une étude de l’association internationale Transport & Environnement souligne que la plupart des États membres de l'Union européenne devraient atteindre leurs objectifs à court terme de déploiement de stations de recharge publiques – la progression de la France est notamment saluée. Et des nuages : une étude de l’association HOP alerte sur les conséquences de cette électrification à marche forcée du parc automobile. Outre l’"obsolescence réglementaire" accélérée des véhicules thermiques, elle pointe la tendance à fabriquer des véhicules électriques "jetables" pour réduire les coûts de production.

Une multiplication par trois des bornes de recharge électrique publiques en trois ans. Tel est le bilan que tire l’association Transport & Environnement (T&E) – auto-revendiqué principal groupe de pression pour les mobilités propres en Europe –, dans une étude (en anglais) publiée ce 17 avril. T&E recense plus de 630.000 de ces points de recharge fin 2023, et observe que le réseau a augmenté l’an passé plus rapidement que le parc de véhicules électriques. Dix-neuf États membres auraient ainsi déjà atteint leurs objectifs de déploiement fixés par le règlement dit Afir sur le déploiement d'infrastructures de carburants de remplacement (voir notre article du 27 juillet 2023) – entré en vigueur le 13 avril dernier – pour 2024, huit ceux de 2025, et deux (la Bulgarie et la République tchèque) ceux de 2026. 

Déploiement des bornes de recharge : la France bien notée

"Parmi les quatre plus grands pays de l’UE, c’est la France qui obtient les meilleurs résultats", souligne l’association. Avec 100.767 points de recharge AC (courant alternatif) et 18.488 DC (courant continu, permettant une recharge rapide), la France aurait ainsi atteint fin 2023 158% de l’objectif de 2024, 118% de celui de 2025 et 90% de celui de 2026. "Le pays dispose pratiquement du même nombre de stations que l’Allemagne, en dépit d’un nombre nettement inférieur de véhicules électriques immatriculés et une population inférieure", met en avant l’étude. T&E juge en outre "particulièrement remarquable la croissance quasi explosive du réseau de recharge rapide", avec une multiplication par cinq des stations DC, qui constituait jusqu’ici un point faible de l’Hexagone (voir notre article du 9 mai 2023).

Veiller à un déploiement décentralisé, "basé sur la flotte"

Plus largement, T&E démontre que contrairement à une idée reçue, de nombreux pays d’Europe de l’Est et du Sud disposent de davantage d’installations que la plupart des pays d’Europe de l’Ouest et du Nord au regard du nombre de véhicules en circulation. 

Surtout, l’association recommande aux États membres d’aller au-delà de l’ambition minimale du règlement Afir et ce, notamment pour : 
- anticiper la demande pour éviter les bouchons ; 
- combler les lacunes du réseau et assurer un déploiement homogène et "décentralisé", "basé sur la flotte" et répondant ainsi à la demande locale (alors que menace le risque d’une "fracture territoriale" - voir notre article du 27 octobre 2023) ;
- veiller à ce que l’infrastructure soit "conviviale" – entendre une disponibilité minimale des bornes de recharge publiques d’au moins 98% par an ;
- ou encore limiter la paperasserie et concentrer le soutien financier public aux cas où le marché ferait défaut. 

Pour mémoire, la Commission a fixé dans sa stratégie mobilité un objectif de 3 millions de bornes de recharge publiques en 2030, avec un objectif intermédiaire de 1 million de bornes en 2025.

"Obsolescence réglementaire" et risque de "véhicules jetables"

Mais cette marche forcée vers l’électrification du parc automobile ne va pas sans dommages. Dans un rapport présenté ce même 17 avril, l’association HOP – Halte à l’obsolescence programmée – alerte ainsi sur les conséquences de "l’obsolescence réglementaire" des véhicules thermiques, tout en reconnaissant que "malgré une longévité impressionnante des automobiles et des pratiques d’économie circulaire historiquement très développées (réseau de réparation, de pièces détachées neuves et d’occasion, compteur d’usage, marché de l’occasion dynamique, etc.), le poids écologique et sanitaire des automobiles thermiques est insoutenable".

Plus encore, elle s’alarme de la tendance des constructeurs – pris dans une course aux prix attractifs, stimulée par "quelques concurrents américains ou chinois" – à retenir des techniques de conception des véhicules électriques (comme le moulage en un seul bloc de nombreuses pièces) rendant leur réparation "économiquement, voire techniquement impossible". Et l’association d’agiter le spectre de "voitures jetables" en 2044. Un bilan encore terni, d’une part, par "un impact carbone supérieur à celui de la fabrication des voitures thermiques, du fait de la batterie", par ailleurs "globalement ni réparable, ni remplaçable". "En 2044, malgré une relative fiabilité, quand la batterie fatigue ou dysfonctionne, il faut jeter la voiture !", prédit ainsi l’association. Et, d’autre part, par "la présence croissante d’électronique et de logiciels embarqués", laquelle "fait croître le risque d’obsolescence logicielle et participe à complexifier la réparation hors des réseaux agréés par les constructeurs" (accès bloqué à certaines données, etc.).

Sept recommandations 

"Coûts de réparation possiblement exorbitants (directement pour les clients ou auprès des assurances), renouvellement prématuré du véhicule ; nouveaux coûts 'cachés' à l’achat relatifs à la mise à jour des logiciels, services ou applications ; service après-vente peu ou pas disponible, etc. : les conséquences de ces pratiques touchent les consommateurs qui n’ont pas de visibilité sur le coût total de possession d’un véhicule au moment de l’achat", met en exergue l’association. En soulignant que 34% d’entre eux seront potentiellement touchés par l’interdiction de rouler dans les zones à faibles émissions en 2025.

L’association ne se veut pour autant pas pessimiste. "Le secteur automobile est marqué à la fois par une forte inertie (les véhicules qui sortent aujourd’hui ont été pensés il y a au moins 7 ou 10 ans) mais aussi par une forte capacité d’innovation. […] Le champ des possibles reste pleinement ouvert", estime-t-elle, tout en soulignant que "c’est aujourd’hui qu’il faut ajuster la stratégie pour un futur souhaitable". Elle formule en conséquence sept recommandations à l’attention des décideurs publics : 
- intégrer des normes de durabilité et de réparabilité des batteries – ce que propose notamment le règlement Euro 7 qui vient d’être adopté le 12 avril par le Conseil de l’UE (voir notre article du 15 avril) ;
- garantir la démontabilité des véhicules ; 
- favoriser le marché des pièces détachées issues de l’économie circulaire ; 
- proposer un indice de réparabilité ; 
- étendre la garantie légale du véhicule ; 
- prévenir l’obsolescence logicielle ; 
- encadrer les filières REP pour prioriser la réparation et le réemploi. En l’espèce en effet, comme d’autres (voir notre article du 12 avril), l’association HOP juge que le système de REP "se focalise trop sur la fin de la vie des véhicules, et qu’il passe à côté de la hiérarchisation entre les niveaux de déchets".