Archives

Observatoires de l'emploi et de la formation : un rôle à conforter en période de crise et de mutations

À l’occasion d’une rencontre organisée le 18 février par l’Association française pour la réflexion et l’échange sur la formation (Afref), les contours du rôle de ces outils de prospective ont été replacés dans le cadre du contexte de crise et d’expérimentation du dispositif "transitions collectives". Tout l’enjeu est d’arriver à croiser l’information sectorielle et territoriale, mais aussi à joindre le court et le long termes.

"La crise sanitaire fait des observatoires de branches professionnelles et de territoires des outils centraux pour l’aide à la décision, la construction de stratégies de l’ensemble des acteurs du champ de l’emploi et de la formation professionnelle (État, régions, partenaires sociaux...)", avait posé comme postulat l’Association française pour la réflexion et l’échange sur la formation (Afref) pour lancer sa matinée de travail et de réflexion le jeudi 18 février.
En effet, "au moment où des secteurs décrutent et que d’autres recrutent, mieux anticiper les évolutions du marché de l’emploi, des métiers, disposer d’une meilleure connaissance des besoins en compétences des entreprises, s’avèrent indispensable".
Si le constat a été partagé par l’ensemble des intervenants, reste à savoir comment tirer profit au mieux des travaux réalisés souvent dans l’ombre tant par les Oref (observatoires régionaux emploi formation) que par les OPMQ (observatoires prospectifs des emplois et des compétences), soit ceux des branches professionnelles. "Ce sont des outils essentiels pour que les entreprises puissent prospérer dans leur secteur et les salariés évoluer dans leur parcours", a rappelé René Bagorski, président de l’Afref. 

Maillage sectoriel et territorial 

Au regard du nouveau contexte économique particulièrement mouvant, deux axes doivent être privilégiés : la transversalité entre les branches professionnelles, mais aussi entre les territoires. Outil d’aide à la décision des politiques publiques sur l’emploi et la formation, "un Oref ne fait pas seul mais avec les autres, dont les observatoires de branche", a fait valoir Bernard Barbier. Pour le directeur de Défi métiers, "la transversalité des métiers est fondamentale car un métier se retrouve dans de nombreux secteurs avec des poids différents". Ainsi, former à un métier (par exemple boucher) consiste aussi à former à un emploi là où il y aura des opportunités (commerce, artisanat, industrie). Mais il convient également de tenir compte des dynamiques des territoires. Les Oref doivent "produire de l’analyse en lien avec les territoires", certains ayant créé des zones, d’autres des bassins. L’intérêt in fine étant d’adapter les dispositifs d’orientation et de formation en fonction des publics, des métiers, des emplois…

Le maillage sectoriel et territorial est tout l’enjeu de transitions collectives, le tout nouveau dispositif coconstruit par le ministère du Travail et les partenaires sociaux pour éviter de faire grimper le chômage en permettant à des salariés dont le poste est menacé de trouver une alternative dans une autre entreprise du même bassin.

Passer d’une logique individuelle à une logique collective

"La dimension sectorielle de Transco [transitions collectives] est réellement maillée à l’échelon territorial car les investissements sont mobilisés au niveau régional", a souligné Stéphane Maas, directeur de Transitions Pro Île-de-France. "Le plan de relance affecte des fonds complémentaires aux transition professionnelles dans cette logique des secteurs qui décrutent vers ceux qui recrutent". Transition Pro, qui a remplacé en 2019 le congé individuel de formation (CIF), permet de se faire financer une formation tout en bénéficiant du maintien de sa rémunération.

La grande différence entre Transition Pro et Transitions collectives est que Transco passe d’une logique individuelle à une logique collective puisque l’entreprise doit identifier en amont les métiers fragilisés dans le cadre d’accord GEPT (gestion de l’emploi et des parcours professionnels). "La dynamique Transco fait émerger des passerelles entre secteurs en difficultés et métiers en tension", a résumé Stéphane Maas. Aussi, en tant que fournisseur d’études sectorielles et territoriales, l’OPMQ est essentiel dans ce dispositif afin de "nourrir les listes entre secteurs qui décrutent et ceux qui recrutent pour générer le déclenchement de transitions collectives", à l’instar de celle que viennent de réaliser l’Apec et le Cesi (réseau de campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle) sur les métiers industriels et du bâtiment afin de mettre en exergue 30 compétences-clés.

Espace d’échange entre observatoires

Mais "Transco permet d’aller encore plus loin dans la logique transversale en passant d’une branche à une autre et d’un Opco à un autre", a ajouté Stéphane Maas soulignant que France compétences avait également un rôle essentiel à assurer "en tant de lieu de convergence pour avoir cette logique horizontale et créer ces passerelles afin de réussir les reconversions". France compétences a d’ailleurs prévu en 2021 de "créer un environnement favorable aux échanges et travaux interbranches", a confirmé Louis Hart de Keating. Le responsable animation des observatoires de branches chez France compétences a affirmé la "volonté de construire des passerelles interbranches en réponse à la crise" en mettant en œuvre une palette d’outils génériques (lire ci-dessous). "Nous souhaitons développer cet espace d’échange entre observatoires en invitant des acteurs extérieurs", a ajouté Louis Hart de Keating. Sur les passerelles et métiers en tension par exemple, il s’agira d’inviter la Dares "pour mieux expliciter cette notion" et sur la thématique territoriale le réseau des Carif-Oref.

Suivre l’évolution de l’environnement global

Sauf que pour les acteurs de la formation professionnelle, il n’y a au final rien de très nouveau. "Les métiers en tension et porteurs, on en parle depuis longtemps", a réagi un participant. De plus, "le problème des listes est qu’elles sont figées, alors que le monde ne l’est pas", a souligné de son côté Bernard Barbier qui a invité à d’autant plus relativiser les listes de métiers que dans le cadre de Transco, "on travaille sur du court terme puisqu’il s’agit d’emploi, la question étant de savoir où les personnes qui vont perdre leur emploi vont en trouver un autre. On n'est pas sur le prospectif de métier". Un écueil important car "les métiers et les emplois évoluent, mais on ne sait pas aujourd’hui ceux qui existeront demain", a insisté le directeur de Défi métiers. Pour ce dernier, il faut avoir une vision plus large en suivant l’évolution de l’environnement global (la consommation, les mouvements écologiques et sociologiques…) mais aussi celle de la population active.

"Ces listes ne sont pas figées et ont été conçues comme un organisme vivant et adapté aux évolutions", a rétorqué Stéphane Maas, "les travaux en cours doivent les nourrir régulièrement".

"Dépasser les clivages et les jeux politiques"

Toute la difficulté au final est d’arriver à bâtir des prospectives sur un monde en constante évolution. Pourtant, "il existe une multitude d’acteurs publics et privés qui travaillent sur le sujet", a convenu René Bagorski, "et chacun est convaincu que son outil est l’alpha et l’omega du système". Considérant que le travail des observatoires n’est pas suffisamment valorisé, le président de l’Afref souhaite que "les outils existants ne soient que des moyens pour définir des stratégies mises en œuvre par d’autres acteurs. Les observatoires, instances de l’ombre doivent dépasser les clivages et les jeux politiques pour être des outils au service de l’ensemble des développements économiques", a conclu René Bagorski.

France compétences veut favoriser les travaux interbranches

En 2021, France compétences va davantage déployer ses dispositifs pour favoriser les passerelles interbranches. Plusieurs axes de travail ont été annoncés par Louis Hart de Keating, responsable animation des observatoires de branches chez France compétences, lors de la rencontre de l’Afref le 18 février :
- faire monter en qualité les travaux par la mise en œuvre d’outils techniques : recodification automatique des métiers et des formations ; rapprochement entre deux listes de métiers de branches différentes (pour mettre en avant proximité entre métiers).
- rendre publics les travaux des observatoires et en assurer une meilleure exploitation dans un enjeu de capitalisation afin de les transformer en plan d’action. L’ambition de France compétences est de "favoriser l’accès aux données publiques des observatoires et à des données plus récentes". Pour ce faire, une bibliothèque numérique en cours de développement créera un espace unique permettant d’avoir accès à l’ensemble des travaux des observatoires de branche. Une première version sera disponible au deuxième semestre 2021. France compétences a également développé une newsletter des travaux des observatoires de branche.
- animer les échanges par l’intermédiaire de groupes de travail pour plancher sur la meilleure exploitation par les observatoires des données de la Dares et de Pôle emploi sur les métiers en tension et pour échanger sur les pratiques des Oref dans leur méthode d’observation sur leur territoire et sur ceux dont l’approche sectorielle doit être déclinée territorialement.