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PAC et pacte vert : l'avenir de l'agriculture suspendu aux "clauses miroirs"

Une étude du Centre de recherche de la Commission européenne publiée cet été suscite bien des remous dans le monde agricole : le pacte vert européen risque d'entraîner une chute de la production agricole européenne et une baisse des revenus des agriculteurs. Lors d'un débat organisé le 12 octobre 2021 par les chambres d'agriculture, la question des "clauses miroirs" à imposer aux frontières de l'UE s'est à nouveau posée, afin d'empêcher un afflux de produits étrangers de moindre qualité. Un chantier que la France devrait porter lors de la présidence tournante, mais qui mettra plusieurs années avant de produire des effets...

Entre 5 et 15% de baisse… c'est l'impact que pourrait avoir le pacte vert européen (Green Deal) sur la production agricole européenne. Une perspective d'autant plus inquiétante qu'elle provient d'une étude du Centre de recherche de la Commission européenne publiée cet été, portant sur l'impact les deux stratégies du pacte touchant à l'agriculture : "De la ferme à la fourchette" et "Biodiversité". À la baisse de production s'ajouterait une augmentation des coûts de production (autour de 10%) et une baisse des revenus des agriculteurs, au moment même où la France s'évertue à mieux les rémunérer, à travers la loi "Egalim 2" définitivement adoptée le 14 octobre. Avec le pacte vert, il s'agit de "produire mieux" et de "changer de système de production que les ressources naturelles puissent supporter et pour répondre à une demande sociétale, des consommateurs et de la société", a tenté de justifier Pierre Bascou, directeur durabilité et aide au revenu à la direction générale de l'agriculture et du développement rural de la Commission européenne, lors d'une conférence organisée le 12 octobre par les chambres d'agriculture sur la réforme de la politique agricole commune (PAC). Or la future PAC en cours de finalisation et qui entrera en vigueur au 1er janvier 2023 devra s'inscrire dans les objectifs du pacte vert. Défini par la Commission en 2019, ce dernier vise à atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui implique des changements de pratiques dans tous les secteurs, de l'agriculture à l'industrie, en passant par les transports. Pour l'agriculture, la Commission s'est fixée six objectifs dont 50% de pesticides en moins d'ici 2030 et un quart des terres cultivables réservées au bio et 10% des terres en agroécologie. Par ailleurs, les zones rurales devront être entièrement connectées à l'internet à haut débit dès 2025.

"Si le reste du monde ne fait pas son Green Deal, ce sera plus difficile"

En application de ces principes, l'une des nouveautés de la PAC sera par exemple d'instaurer des éco-régimes, des primes récompensant les efforts des agriculteurs en faveur de l'agroécologie. Elle repose aussi sur la conditionnalité des paiements (protection des sols, rotation des cultures…). D'autre part, au moins 35% des fonds du deuxième pilier, correspondant au développement rural, iront à l'environnement. Seulement ces contraintes nouvelles risquent de peser sur la production européenne au profit de partenaires moins-disants en matière environnementale. "C'est inquiétant, a déclaré Thierry Fellmann, directeur économie, agriculture et territoires à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca). Si le reste du monde ne fait pas son Green Deal, ce sera plus difficile." 
D'après l'étude de la Commission, la mise en œuvre des deux stratégies européennes vertes permettrait de réduire de 28% les émissions de gaz à effet de serre provenant de l'agriculture en Europe, mais plus de la moitié de cette économie serait oblitérée par l'augmentation des émissions dans les pays tiers voués à compenser nos déficits de production… À ces craintes s'ajoutent celle d'une renationalisation de la PAC à travers les PSN (plans stratégiques nationaux) qui va avoir pour effet d'exacerber la concurrence au sein même du marché commun. "L'addition de politiques nationales ne fait pas une politique commune, a assuré Éric Andrieu, premier vice-président de la Commission de l'agriculture et du développement rural, eurodéputé S&D au Parlement européen. "Il faut être exigeant et regagner du commun car s'il y a trop de divergences, cela ne marchera pas." Selon le député "la réforme (de la PAC) n'est pas à la hauteur des enjeux qui sont devant nous ; la PAC représente 38% du budget européen mais on a fixé les grands objectifs après avoir validé les moyens, comme une pyramide inversée ; depuis on essaie de coller des rustines !"

Clauses miroirs

La souveraineté alimentaire de l'Union européenne, et donc de la France, risque donc de sortir affaiblie de cette réforme. "Comment fait-on pour concilier nos ambitions avec les règles du commerce international ?", a questionné Thierry Fellmann. Une idée fait son chemin : la mise en œuvre d'une politique commerciale offensive avec notamment la mise en place de "clauses miroirs" aux frontières de l'UE. L'objectif : imposer aux produits agricoles importés le respect des mêmes normes environnementales et sanitaires que celles de l'Union européenne afin d'éviter les distorsions de concurrence et permettre une convergence des standards.
"La question de la réciprocité est un enjeu majeur", a commenté Éric Andrieu. Le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, s'est engagé à défendre les clauses miroirs pendant les six mois de présidence française de l'Union européenne, à compter du 1er janvier 2022. La réciprocité permettrait ainsi de mettre en œuvre le pacte vert tout en protégeant le marché et les producteurs européens. Mais cela représente un travail de longue haleine d'après le représentant de la Commission européenne. "L'Union européenne dispose de normes et standards élevés imposés aux agriculteurs, cela participe à l'image de marque européenne et représente un avantage par rapport aux autres pays, mais il faut promouvoir nos normes et standards à l'international, cela va prendre du temps mais cette transition est à l'horizon 2030", a reconnu Pierre Bascou. Pendant ce temps précieux, la Commission pousse à la ratification de l'accord avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) intervenu en juin 2019 qui ne passe pas pour être un exemple de réciprocité. En cause notamment : la déforestation de l'Amazonie. Si le président de la République, Emmanuel Macron, a eu l'occasion de s'opposer à l'accord, le jugeant non compatible avec les engagements européens, ses déclarations lors de la présentation du plan d'investissement France 2030, le 12 juillet, entretiennent l'ambiguïté. Avec 3 milliards d'euros sur la table, il souhaite engager l'agriculture française dans une "troisième révolution" à partir de trois innovations de rupture numérique, robotique et génétique. De quoi permettre "de continuer à produire pour nous nourrir en améliorant toujours la qualité de notre alimentation, en améliorant notre compétitivité et en baissant les émissions de CO2". Sans quoi, la transition agricole agroécologique reviendra à "importer plus de produits qui sont faits ailleurs sur des standards moins bons que les nôtres. C'est ça l'erreur, celle à ne pas faire". Mais de réciprocité, il n'a pas été question. En début de semaine prochaine, le Parlement européen examinera en session plénière une résolution sur la stratégie "De la ferme à la fourchette". À suivre donc.

  • France 2030 : près de 3 milliards d'euros pour l'agriculture

L'enveloppe de 2,85 milliards d'euros du plan d'investissement France 2030 destinée à l'agriculture se répartit ainsi :
-       1 milliard d’euros (dont 400 millions d'euros du Programme d'investissements d'avenir 4) pour la révolution du vivant et de la connaissance pour financer des innovations dans les pratiques agronomiques comme dans les équipements (numérique, agrorobotique, génétique…) ;
-       850 millions d’euros (dont 450 millions du PIA4) pour le volet de santé nutritionnel, afin de renforcer les chaînes alimentaires locales pour une alimentation favorable à la santé ;
-       500 millions d’euros consacrés au soutien en fonds propres, pour aider les entrepreneurs du vivant (installation des jeunes agriculteurs, coopératives alimentaires, entreprises, start-up…) ;
-       500 millions d'euros pour le développement de l'usage du bois matériau.