Pénurie de maîtres nageurs sauveteurs : un constat accablant, des solutions émergentes

La pénurie chronique de maîtres nageurs sauveteurs va encore se faire sentir cet été, tant dans les piscines que sur le littoral. Des raisons structurelles, liées notamment aux conditions de travail, expliquent les carences de la France dans ce domaine crucial pour la sécurité du public. Des pistes sont actuellement explorées pour y remédier.

Alors que se profile la saison estivale, la question de la pénurie de maîtres nageurs sauveteurs (MNS) est plus aiguë que jamais. Dans une récente enquête sur les besoins en surveillance des piscines, conduite entre autres sous l'égide de l'Andes, de l'Andiiss et de Sports et territoires, on peut lire que "la demande de MNS est supérieure au nombre de MNS disponibles" et que les conséquences de cette pénurie sont "lourdes" : fermeture de piscines ou de bassins à certaines périodes, difficulté à ouvrir les piscines saisonnières, diminution de l’offre d’enseignement de la natation et de l’aisance aquatique, difficulté à assurer les remplacements, etc.

Sur près de 500 structures ayant répondu à l'enquête, 238 sont des régies publiques. Et leurs déclarations sont sans appel : 40% ont des difficultés à garder leurs MNS et 75% ont des difficultés de recrutement, que ce soit sur des postes de permanents, de vacataires ou de saisonniers. D'ailleurs, toujours d'après l'enquête, 10% des postes de surveillants saisonniers étaient restés vacants à l'été 2021.

"Payés au lance-pierre"

Les raisons de cette pénurie ne sont pas nouvelles. "C'est un métier en tension depuis quelques années déjà, estime Denis Foehrle, directeur national du centre de formation de la FNMNS (Fédération nationale des maîtres nageurs sauveteurs). Sur les 900 à 1.200 MNS formés chaque année, beaucoup quittent le métier."

Les explications, elles, sont multifactorielles. Elles tiennent, sans surprise, aux conditions économiques. Si les collectivités territoriales ont longtemps recruté sur concours des MNS qui devenaient des Etaps (éducateurs territoriaux des activités physiques et sportives) au déroulement de carrière régulier, environ 30% des piscines publiques sont aujourd'hui gérées sous la forme d'une délégation de service public (DSP). "Le métier est devenu moins attractif, poursuit Denis Foehrle. Il y a moins de promotion de carrière, les gars sont payés au lance-pierre. Un MNS débutant touche environ 1.200 euros nets. De plus, certaines sociétés en DSP ne permettent pas d'exercer des fonctions diverses, comme enseigner ou monter des animations. Ajouté au poids de la responsabilité, au travail le week-end et durant les vacances scolaires, car c'est là qu'il faut être présent, à un moment donné, certains s'en désintéressent."

Vigiles et chiens

Axel Lamotte, secrétaire général adjoint du SNPMNS (Syndicat national professionnel des maîtres nageurs sauveteurs), complète le tableau : "Les piscines étaient auparavant surveillées par des MNS, avec peu de turn over. Il y avait une reconnaissance de la part des usagers et les relations étaient apaisées. Puis, on a introduit des BNSSA [titulaires du brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique qui assistent les MNS dans la surveillance des piscines publiques mais ne peuvent ni enseigner ni entraîner, ndlr], pour lesquels il s'agit plus d'un job [sic] que d'un métier. Les gars viennent, ils font ce qu'ils peuvent, ils sont pris à parti. Cela dégrade l'image du maître nageur et le lien social qui existait avec le public. À Castres, il y a deux ans, le maire a fermé la piscine car les maîtres nageurs se faisaient agresser." Et quand la piscine ne ferme pas, elle fonctionne dans des conditions dégradées. "À la piscine d'Aulnay-sous-Bois, où j'ai travaillé, l'été il y avait des vigiles et des chiens. Alors pour un peu plus que le Smic, on fait autre chose…", déplore Axel Lamotte.

Si le diagnostic n'est pas nouveau, les remèdes ne le sont pas plus. Au jour le jour, c'est le recours aux titulaires du BNSSA qui s'impose. Avec ses limites. "Les BNSSA compensent le besoin, surtout sur la partie saisonnière pour les piscines qui n'ouvrent que l'été, explique Denis Foehrle. Mais le cadre légal est contraint car le BNSSA ne peut qu'assister un MNS. Cela veut dire que toutes ces petites piscines sont obligées d'embaucher un MNS. Or aujourd'hui, après leur formation en alternance, les MNS ont un emploi à temps plein qui les attend. On a donc la possibilité d'obtenir une dérogation pour qu'un BNSSA travaille en autonomie sur une période de un à quatre mois. Et le préfet n'a plus trop le choix que d'accorder partout cette dérogation."

L'enseignement à vau-l'eau

Si le recours aux titulaires du BNSSA a ses limites, il a aussi ses dérives. "Il n'y a plus de moyens de contrôle de la part des services de l'État depuis le rattachement des inspecteurs de la Jeunesse et des Sports aux Drajes (délégation régionale académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports), pointe Axel Lamotte. Et beaucoup de piscines, en fin de semaine, ne sont surveillées que par des BNSSA."

L'effacement des MNS n'est pas préjudiciable qu'à la surveillance des piscines. Il touche également à l'enseignement de la natation dans un pays qui a enregistré plus de mille noyades accidentelles durant l'été 2021. "Certains employeurs peuvent être tentés de ne plus recourir qu'à des BNSSA pour assurer la surveillance tout en laissant de côté l'enseignement de la natation, mission qui revient à l'Éducation nationale, regrette Denis Foehrle. L'Éducation nationale va alors assumer cette mission avec des enseignants et des parents d'élèves. On ne peut pas être d'accord avec ça. Il n'y a qu'avec des MNS qu'on a des garanties d'enseignement."

Départs en retraite

Pour les représentants des syndicats de MNS, il faut sortir de cette impasse par le haut. Avec un coût qui peut monter jusqu'à 7.000 euros, la formation BPJeps AAN (brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport, activités aquatiques et de la natation), formation en alternance sur un à deux ans, qui donne le titre de MNS, n'a pas leurs faveurs. Denis Foehrle estime que c'est dans le vivier des quelque 7.000 titulaires du BNSSA formés chaque année qu'il faut puiser : "Le post-recrutement a été aménagé en 2021 avec plus de notions liées à l'aisance aquatique et un renforcement de la formation du BNSSA en vue d'une plus grande autonomie. Sinon, on ne sait pas où aller les chercher. On étale par ailleurs la formation sur trois ans pour permettre à des personnes d'exercer une autre activité à côté."

L'autre piste intéressante réside dans la montée en charge de la filière universitaire Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), dont les maquettes de formation sont en cours de refonte. "Cela pourrait conduire à former 2.000 à 2.500 MNS par an, estime Axel Lamotte. Des étudiants en Staps deuxième année pourraient passer l’Uessma (unité d’enseignement sauvetage et sécurité en milieu aquatique) et travailler l'été à enseigner la natation aux enfants. Ils continueraient en master I et II, on aurait partout des MNS sur le littoral. Ce serait pour moi une belle filière."

Mais le temps presse et le pic de la pénurie est sans doute devant nous. Dans les années 1970-80, le plan 1.000 Piscines a conduit à de très nombreuses embauches de MNS. Or cette génération part actuellement en retraite…