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Plaidoyer pour "une inflexion substantielle de la PAC"

Commandé par le Parlement européen, un rapport plaide pour un renforcement "urgent" des mesures en faveur du climat et de l'environnement de la politique agricole commune, sans lequel les objectifs du "pacte vert" ne pourraient être atteints. Un renforcement qui semble toutefois illusoire, alors que la mise en place de la nouvelle PAC suscite déjà moult réticences.

Voilà un rapport qui ne va pas manquer d’attiser les tensions. Commandée par le Parlement européen, l'étude conduite par des membres de l’Inrae et d’AgroParisTech récemment publiée plaide pour une "inflexion substantielle de la politique agricole commune" (PAC), considérant que seul un renforcement "urgent" des mesures en faveur du climat et de l'environnement permettrait d'atteindre les objectifs fixés par le "pacte vert".

Le rapport déplore en effet des émissions agricoles de gaz à effet de serre "restées stables depuis les années 2010", l’érosion de la biodiversité – due "à des systèmes agricoles et à des paysages ruraux de plus en plus spécialisés et simplifiés, qui utilisent des terres plus vastes, auxquels s’ajoute l’utilisation généralisée d’intrants chimiques" – et une "dégradation des sols et des flux de nutriments – notamment l’azote – dans l’eau et l’atmosphère" ayant atteint "des niveaux alarmants".

Aussi, ses auteurs plaident pour la mise en œuvre de trois séries d’actions coordonnées, relatives à l'ensemble de la chaîne alimentaire, visant :

  • à remédier "impérativement" à une utilisation excessive d’eau, d’engrais, de pesticides et d’antibiotiques", "y compris une réduction du nombre d’animaux d’élevage" ;
  • à favoriser la refonte des systèmes agricoles pour qu’ils reposent davantage sur les cycles biologiques et moins sur les intrants chimiques externes ;
  • à modifier les habitudes alimentaires pour des raisons sanitaires, climatiques et environnementales.

Ce qui nécessite "des changements majeurs dans les propositions de la Commission de juin 2018", et notamment :

  • d'appliquer plus efficacement le principe du pollueur-payeur, sur lequel repose la conditionnalité ;
  • de consacrer les programmes écologiques du premier pilier aux seuls "biens publics mondiaux", soit l’atténuation du changement climatique, la préservation et le rétablissement de la biodiversité, ainsi que le bien-être des animaux ;
  • et d'axer ceux du second pilier sur les "biens publics locaux", notamment la quantité et la qualité de l’eau, la fertilité des sols et la diversité des paysages.

En matière de conditionnalité, le rapport plaide pour interdire les dérogations et renforcer les "bonnes conditions agricoles et environnementales" (BCAE). D'une part en rendant contraignantes celles sur la protection des zones humides et des tourbières et celles sur les particularités topographiques à haute diversité biologique, d'autre part en en créant de nouvelles "pour sensibiliser les producteurs agricoles au flux des nutriments, des molécules et des émissions de gaz à effet de serre qu’ils génèrent".

À cette fin, deux nouveaux budgets spécifiques devraient être mis en place dans le cadre du premier pilier, 15% des dépenses étant réservées aux mesures d’atténuation du climat et 15% aux mesures en faveur de la biodiversité. En outre, 35% des dépenses du deuxième pilier devraient être consacrées à des mesures environnementales (rejoignant ici la position du Parlement européen).

L'étude alerte par ailleurs sur la nécessité de rendre les plans stratégiques nationaux de la PAC "plus cohérents avec la feuille de route du pacte vert", en précisant le statut juridique des objectifs de ce dernier et en détaillant les modalités de leur calcul. Les experts estiment que "d'une manière plus générale, la PAC ne permet pas d’appliquer, de rendre compte et de suivre suffisamment les progrès réalisés, ni d’imposer un plan d’action correctif efficace en cas d’absence de progrès".

 

Dommages collatéraux

Des mesures qui ne seraient pas sans produire des "dommages collatéraux" qu'évoque le rapport :

  • des répercussions négatives sur les revenus des agriculteurs, "dont l’ampleur dépendra de la volonté des consommateurs de payer pour des produits de meilleure qualité" (on appréciera le terme "volonté"…) ;
  • précisément, le coût plus élevé "des régimes alimentaires moins caloriques et plus équilibrés", "obstacle potentiel au changement, en particulier pour les ménages à faibles revenus". Et d'en appeler l'industrie alimentaire et le commerce de détail à faciliter ce changement avec "la mise en avant de modes d’alimentation plus attrayants, au moyen d’une reformulation des produits, d’un marketing responsable et de limitations de la publicité" (sic) ;
  • la "désintensification des pratiques et systèmes agricoles implicitement prévus par le pacte vert pour l’Europe pourrait nécessiter davantage de terres agricoles, tant dans l’Union qu’à l’étranger, ce qui pourrait entraîner des conséquences écologiques négatives ("fuites de pollution")".

 

Risques de transfert de la pollution… et de la production

Le renforcement de ces mesures paraît pour l'heure illusoire, alors que celles prévues par la nouvelle PAC ne manquent déjà pas de susciter de vifs débats, tant à Bruxelles et Strasbourg qu'à Paris, compte tenu de leurs conséquences redoutées.

La député européenne Anne Sander juge ainsi nécessaire de conduite une étude d'impact des stratégies "Biodiversité" et "De la ferme à la table" : "D’après des études, la production agricole européenne pourrait baisser de 7 à 12% et les prix agricoles pourraient augmenter de manière significative du fait des coûts additionnels occasionnés par ces deux stratégies. De tels impacts auront forcément des conséquences sur le consommateur, notre balance commerciale et notre sécurité alimentaire", souligne-t-elle. Une crainte également partagée par le Sénat qui, à l'issue de l'audition du ministre de l'Agriculture le 26 novembre dernier, relevait que "la Commission européenne a, pour l’heure, refusé de fournir une étude d’impact de ces stratégies" mais que "le ministère de l’agriculture américain l’a estimé, à sa place, à une réduction de 12% de la production agricole de l’Union européenne".

Un risque de transfert d'autant plus grand que, selon la député européenne, "la Commission européenne ne semble pas vouloir imposer les mêmes normes à nos importations de produits agroalimentaires, ce qui n’est ni viable pour notre système de production, ni viable pour les objectifs que nous poursuivons. Nous ne pouvons imposer des normes strictes à nos producteurs et les soumettre à des concurrents qui importent librement des produits ne respectant pas nos standards. L’Europe ne peut s’ériger en bonne élève et mettre ses producteurs au piquet", insiste Anne Sander.

Pour le sénateur Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, le risque existe au sein même de l'UE : "En pratique, des pays comme la Pologne ou la Roumanie vont pouvoir substituer à leurs aides environnementales des soutiens directs à la compétitivité de leurs exploitations, ce que la France ne fera pas, tenue par l’accord de Paris qu’elle a initié et obtenu. Mais cela se traduira automatiquement par une hausse des importations déloyales en provenance de ces pays. Peut-on encore parler d’une politique véritablement commune dans ces conditions ?"

Des sénateurs qui ont donc officiellement exhorté Julien Denormandie à "arrêter le processus de destruction", jugeant que l'exécution de la nouvelle PAC "ira à contre-courant des recommandations du Sénat : dénationalisation, complexification et distorsion de concurrence".