Santé publique - PNNS : l'Igas dresse un constat d'échec et demande de ne pas reconduire le plan

Un programme "qui n'a pas su trancher entre l'approche individuelle et l'approche collective" et "n'a jamais été en capacité d'adopter des mesures dont l'efficacité est pourtant reconnue" : les termes du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'évaluation du programme national nutrition santé (PNNS) sont particulièrement sévères. Portant à la fois sur les PNNS 2011-2015 et 2016 (PNNS 3), mais aussi sur le plan Obésité 2010-2013, le rapport de l'Igas, rendu public le 3 octobre, conclut que "la reconduction du plan en l'état n'est pas souhaitable : sa logique d'ensemble a démontré ses limites, voire ses effets contreproductifs. Elle doit donc être profondément transformée".

Un programme qui n'a pas su évoluer au fil du temps

Peu d'aspects du PNNS trouvent grâce aux yeux de l'Igas. Certes, le programme, "salué à sa naissance [en 2001,ndlr] comme une démarche avant-gardiste [...] a contribué à faire émerger une préoccupation majeure de santé", en l'occurrence le rôle de la nutrition et de la sédentarité dans la montée de maladies non transmissibles (comme le diabète). L'enjeu sanitaire est de taille puisque, selon une étude du cabinet McKinsey de 2014, l'obésité coûterait à la France 54 milliards d'euros, soit 2,6% du PIB...
Mais cet élan initial n'a pas donné les résultats escomptés. Les reproches adressés au programme - et aux pouvoirs publics qui n'en ont pas assuré la maîtrise - sont multiples. Fort d'une ambition initiale "trop importante", le PNNS a finalement peu évolué au fil du temps et des évaluations successives. Comme le souligne le rapport, il comporte aujourd'hui "4 axes, 7 objectifs généraux, 22 sous-objectifs, 21 mesures, 45 actions et 125 sous-actions non priorisées"...
Le programme a également souffert d'un ciblage trop large et "les trois PNNS successifs sont restés dans l'ambiguïté en s'adressant à la fois au grand public et aux professionnels de santé".

Trop faible face aux "lobbies de l'agroalimentaire"

De même, la volonté d'avancer par consensus l'a privé de la capacité à adopter certaines mesures "dont l'efficacité est pourtant reconnue" et l'a amené à "occulter, au nom du consensus et des intérêts des parties prenantes, des aspects importants de la problématique nutritionnelle". En pratique, le programme s'est privé d'actions possibles sur l'offre, "tant le pouvoir des lobbies de l'agroalimentaire est puissant". La critique vise notamment la disparition du comparateur d'aliments sur le site du PNNS ou les récentes difficultés de mise en place du Nutriscore. Pour autant, l'Igas estime que "l'engagement des entreprises du secteur agro-alimentaire et de la grande distribution dans cette politique de prévention en santé est bien trop modeste".
Une part de ces critiques trouve son origine dans "les faiblesses et les lacunes" de la gouvernance et du pilotage du plan, au niveau national comme au niveau local, où l'application du programme est laissée à l'appréciation des agences régionales de santé (ARS) et des préfets.
Le jugement de l'Igas est un peu plus positif sur le plan Obésité 2010-2013 - associé au PNNS -, qui a constitué "une impulsion décisive pour la prise en charge de l'obésité sévère". Mais les actions de prévention "sont restées le parent pauvre du plan", essentiellement hospitalier au départ.

Et les collectivités dans tout ça ?

Parties prenantes du PNNS - le comité de suivi du programme comprend trois de leurs représentants, mais pas le comité de pilotage -, les collectivités territoriales ont aussi leur part de responsabilité dans ce constat. L'Igas prend cependant soin de rappeler qu'elles n'ont pas de compétences juridiques ce domaine. Mais elles "peuvent en avoir sur des sujets impliquant des déterminants de santé, dont certains sont au cœur du PNNS (sports, urbanisme et activité physique, restauration collective...)".
Au fil de leurs rencontres et investigations de terrain, les rapporteurs se disent frappés par la faiblesse des actions des Ireps (instances régionales d'éducation et de promotion de la santé), des associations et des collectivités territoriales, en termes de population touchée. Toutefois "seules les approches relatives à la restauration collective portées par les collectivités locales les plus impliquées permettent pour le moment d'atteindre sur une échelle assez large les publics enfants-adolescents et adultes".
Autre constat formulé par le rapport : l'"essoufflement de l'engagement des collectivités, largement lié à l'absence d'animation du réseau des villes PNNS [...] et de 'grain à moudre', la plupart des actions revêtant un caractère expérimental ou ne touchant que des groupes très limites de personnes". Le site du Réseau des villes actives du PNNS est d'ailleurs en sommeil depuis 2014.

Changement de programme et changement de nom

Au terme de ce constat pour le moins sévère, l'Igas se prononce, sans surprise, contre une reconduction en l'état du PNNS. Pour refonder le dispositif d'information et de prévention en ce domaine - qui reste une priorité de santé publique -, le rapport formule plusieurs préconisations. Tout d'abord, il convient de prévoir deux plans distincts pour la nutrition et l'activité physique, "afin de ne pas introduire de confusion pour le grand public".
Le PNNS ainsi recentré devra devenir "le plan grand public de prévention réunissant les conditions du bien vivre". Pour cela, il devra notamment changer d'appellation, "pour rompre avec une image hygiéniste et répressive et attirer la sympathie du public". Ce nouveau programme donnera une priorité à l'action, en se limitant à quelques objectifs "essentiels et compréhensibles par les parties prenantes". Ces actions devront s'inspirer d'une "approche renouvelée de type socio-écologique" et donner "une large place aux initiatives locales, pour lesquelles l'éducation nationale aura un rôle fondamental dans la détection et la politique de prévention". En outre, la réduction des inégalités sociales de santé en lien avec l'alimentation et l'activité physique, apparue avec le PNNS 3, devra devenir "une priorité effective du nouveau programme".
Du côté des collectivités, le rapport estime "préférable d'aligner la gouvernance régionale de la prévention et de la promotion de la santé sur celle du contrat local de santé, outil juridique ouvert à toutes les catégories de parties prenantes (Etat, collectivités locales, associations, etc.)", en confirmant le directeur général de l'ARS dans son rôle d'animateur du dispositif.
Enfin, et plus largement, l'Igas rappelle que "le programme ne pourra s'imposer qu'avec un soutien politique affirmé, imposant la prévention comme le meilleur moyen et le plus économique pour préserver et améliorer la santé des Français".