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Insertion - Polémique sur le RSA : de quoi parle-t-on ?

La polémique sur le RSA a peut-être le mérite de relancer le débat démocratique sur un sujet de société qui n'a aucune raison de faire l'objet d'un tabou. Mais, à force d'erreurs et d'approximations, elle ne contribue sûrement pas à éclaircir une question déjà passablement embrouillée. Quelques rappels ne semblent donc pas inutiles.

Premier point : existe-t-il un problème de cumul de minima sociaux ? Le débat engagé sur le supposé cumul des minima sociaux est en réalité un faux débat, dans la mesure où ces minima ne sont globalement pas cumulables, car ils sont tous soumis à une condition de ressources. Pour arriver à une situation - comme l'a évoquée Laurent Wauquiez - où des bénéficiaires de minima sociaux gagnent autant que des salariés payés au Smic (1.365 euros bruts et environ 1.073 euros nets au 1er janvier 2011), il faut en effet partir d'un postulat pour le moins biaisé. D'un côté, un couple dont les deux membres bénéficient chacun d'un minimum social (par exemple l'AAH et le RSA). De l'autre, un couple dont seul l'un des deux membres serait salarié (au Smic). Autre hypothèse, tout aussi biaisée : d'un côté un couple sans revenu d'activité ni aide au logement et avec trois enfants (1.167,48 euros nets, sans compter les prestations familiales) et, de l'autre, une personne isolée ou un couple avec un seul Smic (1.073 euros nets). Conclusion : les seules comparaisons qui valent en la matière sont celles qui reposent sur un même postulat de départ.

Un problème de définitions

Deuxième point : qu'entend-t-on par minima sociaux ? En effet, il ne faut pas confondre minima sociaux et prestations sociales. Ainsi, il est possible - comme l'a évoqué le ministre des Affaires européennes (et ancien secrétaire d'Etat à l'Emploi) - qu'un couple au RSA percevant l'allocation logement puisse, dans certaines conditions, percevoir plus de 75% des revenus d'un couple avec un seul Smic. Mais l'allocation logement n'a rien d'un minimum social et le couple au Smic peut y prétendre tout autant que le couple bénéficiaire du RSA (sous réserve, dans les deux cas, des conditions relatives au logement). De même, les comparaisons entre des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, ex minimum vieillesse) avec une allocation logement au taux maximum, et des actifs au Smic n'ont pas beaucoup de sens, ni de portée pratique. Plafonner l'Aspa dans un tel cas de figure ne remettrait sûrement pas les retraités concernés sur le marché du travail...

Troisième point : de quels minima sociaux parle-t-on ? Il existe en effet onze minima sociaux. Mais personne ne s'intéresse vraiment à l'allocation veuvage (5.800 bénéficiaires) ou au RSO (12.800 bénéficiaires), revenu de solidarité à ne pas confondre avec le RSA. L'enjeu porte essentiellement sur le RSA socle, l'allocation aux adultes handicapés (AAH), les allocations chômage relevant du régime de solidarité et les minima sociaux liés à la vieillesse. Or au moins deux prestations devraient être retirées du champ du débat sur les minima sociaux, car elles ne sont pas concernées par la question de l'incitation au retour à l'emploi. C'est bien sûr le cas des allocations liées à la vieillesse (Aspa et allocation supplémentaire vieillesse). Mais c'est aussi le cas, de l'AAH. Une partie importante des bénéficiaires de l'AAH - difficile à chiffrer - n'a pas de perspective réelle d'accès ou de retour à l'emploi. Plafonner l'AAH reviendrait donc à les priver, sans contrepartie possible, d'une partie de leur revenu de subsistance (sans même parler de la contradiction d'une telle mesure avec la revalorisation de l'AAH de 25% sur cinq ans décidée par le chef de l'Etat à sa prise de fonctions).

Augmentation ou explosion ?

Quatrième point : faut-il endiguer l'explosion du RSA ? Pour répondre à la question, il faudrait encore qu'il y ait une explosion. Sur ce point, on voit circuler allègrement deux erreurs manifestes. La première, la plus grossière, consiste à dire qu'en passant du RMI au RSA on est aussi passé d'un million d'allocataires en 2008 à 1,8 million en 2010. Ce calcul oublie en effet - ou feint d'oublier - que le RSA englobe en réalité deux prestations bien distinctes : le RSA socle - héritier direct du RMI et qui est donc l'un des minima sociaux - et le RSA activité, qui n'est pas un minimum social et est versé à des personnes non concernées par la question du retour à l'emploi, puisqu'il s'agit de travailleurs pauvres. Une autre erreur - plus largement répandue - consiste à comparer le million d'allocataires du RMI de 2008 aux 1,37 million de bénéficiaires du RSA socle en 2010. C'est en effet oublier que le RSA socle a englobé environ 172.000 bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API), un autre minimum social aujourd'hui supprimé.
Il n'y a finalement que deux certitudes sur cette question. D'une part, il est vrai que le nombre de bénéficiaires du RSA socle a augmenté, même si sa progression connaît aujourd'hui une réelle décélération (voir nos articles ci-contre du 14 mars 2011 et du 13 décembre 2010). Dans l'une des dernières livraisons d'"Etudes et Résultats", la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux montre que le nombre des bénéficiaires de minima sociaux a progressé de 6,2% en 2009 et que cette progression s'explique essentiellement par l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA (avec le décalage habituel entre la survenue d'une crise économique et son impact sur le RMI, puis le RSA). Mais peut-on à la fois se féliciter de l'efficacité du système social français dans son rôle d'amortisseur de la crise et déplorer d'en lire la traduction dans la progression des minima sociaux ? La seconde certitude est que la décision de regrouper sous une même dénomination - le RSA - et avec des sous-titres incompréhensibles - socle et activité - deux prestations totalement différentes a été une grave erreur, qui n'a fait qu'ajouter de la confusion.

Cinquième point : tous les bénéficiaires du RSA sont-ils "employables" ? Si le débat sur les "trappes à chômage" et sur l'effet incitatif ou désincitatif du RSA sur le retour à l'emploi n'a rien de tabou, il ne faut pas, pour autant, se cacher certaines réalités. Tout travailleur social sait pertinemment qu'une part non négligeable des bénéficiaires du RMI, puis du RSA aujourd'hui, n'a aucune perspective sérieuse de retour à l'emploi, même à moyen terme. Il n'existe, bien sûr, aucun chiffre officiel sur la question, mais un consensus se dégage pour considérer que cette proportion se situe entre un quart et un tiers du total des allocataires. Il s'agit en l'occurrence, le plus souvent, de bénéficiaires âgés (en attente de basculer sur les dispositifs ou les minima sociaux liés à la vieillesse), de personnes présentant des pathologies lourdes (troubles mentaux, addictions chroniques...) ou de personnes totalement désocialisées (sans domicile fixe par exemple).

Faux débat et vrai problème

Sixième et dernier point : est-ce vraiment le bon débat ? C'est sans doute la vraie question qui mérite d'être posée. Plutôt que le thème des "trappes à chômage", déjà amplement débattu et auquel le RSA - avec l'amélioration du cumul entre la prestation et des revenus d'activité - a déjà largement répondu, deux autres voies mériteraient sans doute davantage d'être explorées. La première est celle des droits connexes. C'est sans doute là que se situe la vraie inégalité, toujours pas résolue malgré plusieurs travaux de réflexion (voir nos articles ci-contre). Le fait de bénéficier du RSA entraîne en effet un certain nombre d'"avantages" - terme à relativiser au regard de la situation des allocataires - : attribution d'office de la CMU complémentaire, tarifs spéciaux ou gratuité pour toute une série de services publics (cantines, crèches, installations sportives...), gratuité des transports dans un grand nombre de régions, exonérations fiscales... Or nombre de ces avantages disparaissent ou sont fortement réduits en cas de reprise d'un travail au Smic, sans même évoquer les frais supplémentaires engendrés par le retour à une activité salariée (garde des enfants, transports...). Face aux réactions hostiles à sa proposition de plafonnement, Laurent Wauquiez a d'ailleurs vite compris qu'il était urgent de déplacer le débat sur ce terrain. Lors d'une conférence de presse au Parlement européen, le 10 mai, le ministre a en effet affirmé qu'il n'avait "pas condamné le RSA seul". Il a aussitôt ajouté : "Ce qui est un problème, c'est quand on peut cumuler un certain nombre de minima sociaux et ce qu'on appelle des droits autour [sic] : exonération de cantines, de transport public, de redevance télé, d'un certain nombre d'impôts locaux". Il n'est pas sûr que la déclaration commune sur les droits connexes, signée par tous les acteurs institutionnels en juillet 2009, soit à même d'apporter une solution opérationnelle (voir notre article ci-contre du 20 juillet 2009)...
Outre la question des droits connexes, il est un autre sujet qui mériterait un débat aujourd'hui largement occulté et qui concerne très directement les départements. Il s'agit en l'occurrence de l'efficacité des dispositifs et actions d'insertion qui accompagnent l'attribution du RSA. Si l'efficacité du RSA dans le gain apporté par le retour à l'emploi en termes de revenus semble démontrée (voir notre article ci-contre du 1er septembre 2010), il n'en va pas de même - et de loin - pour les dispositifs d'insertion. En ce domaine, l'impact du passage au RSA semble pour l'instant très limité, ce qui n'a rien d'étonnant dans la mesure où les différences en la matière entre le RMI et le RSA sont elles-mêmes très faibles. Si l'on y ajoute les difficultés de Pôle emploi lors de la création du RSA, la nécessité de prendre en charge un nombre plus élevé d'allocataires et un marché de l'emploi peu favorable, on comprend mieux pourquoi un dispositif plus propice au retour à l'emploi ne suffit pas - à lui seul - pour concrétiser cette bonne intention. Les résultats de la mission confiée par le chef de l'Etat, il y a un mois et demi, à Marc-Philippe Daubresse - ancien ministre de la Jeunesse et des Solidarités actives jusqu'en novembre dernier - sur le renforcement de ce volet insertion (voir notre article ci-contre du 1er avril 2011) sont donc attendus avec impatience...

Jean-Noël Escudié / PCA

Polémique sur le RSA : qui dit quoi ?

Dans sa désormais célèbre déclaration du 8 mai 2011 sur BFM TV, Laurent Wauquiez visait deux éléments principaux : un plafonnement des minima sociaux à 75% du Smic et l'obligation de "cinq heures hebdomadaires de 'service social'" pour les bénéficiaires du RSA. C'est peu dire que cette proposition a été fraîchement accueillie.
Les réactions hostiles des partis de gauche étaient attendues. Les syndicats et les associations ont également fait part de leur hostilité, voire de leur indignation. Du côté des départements, Claudy Lebreton, le président de l'ADF, a publié un communiqué dans lequel il "condamne l'utilisation de formules stigmatisantes au regard des enjeux sociaux soulevés et déplore la formule de 'cancer de la société française' employée par le ministre à propos de personnes qui subissent plus qu'ils ne choisissent le chômage". Sur le fond, il rejette les propositions avancées, en faisant valoir qu'elles n'apportent rien de plus au dispositif actuel.
Mais les réactions ne sont guère plus favorables dans la majorité. Roselyne Bachelot-Narquin, la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, a sèchement réagi en indiquant que les propositions de son collègue "posent des difficultés de principe et de mise en oeuvre que je lui ai d'ailleurs signalées lors d'un entretien approfondi". Marc-Philippe Daubresse - qui est aussi secrétaire général adjoint de l'UMP - a également très peu apprécié l'évocation d'une proposition de loi alors qu'il n'a pas remis ses propres conclusions (voir supra). Il n'a d'ailleurs pas hésité à évoquer "l'irresponsabilité" du ministre des Affaires européennes.
De son côté, Martin Hirsch a dénoncé une proposition "ne tenant pas debout" et affirmé que "tous les coups ne sont pas permis face à la vulnérabilité des gens". Enfin, lors du petit-déjeuner de la majorité à l'Elysée, le Premier ministre n'a pas non plus caché qu'il n'appréciait ni la forme, ni le fond de cette initiative. De son côté, Xavier Bertrand, le ministre du Travail, a néanmoins considéré que le débat mérite d'être soulevé et qu'il convient "d'améliorer les choses". Seule la direction de l'UMP s'est montrée ouvertement favorable, envisageant d'inscrire la question à l'ordre du jour de la prochaine convention du parti sur la justice sociale, prévue le 8 juin.

 

 

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