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Prime de feu : l’euphorie cède la place aux doutes

Le président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours juge l’augmentation de l’indemnité de feu annoncée par le ministre de l’Intérieur "pas supportable" par les Sdis en l’absence de nouvelles ressources. Une position jugée incompréhensible par les syndicats, qui l’invitent à "arrêter d’attiser les braises".

La réaction n’a pas tardé. À peine le ministre de l’Intérieur s’est-il engagé à revaloriser l’indemnité de feu (lire notre article) que le président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours (CNSIS), Olivier Richefou, s’est empressé de lui présenter la note : 80 millions d’euros, "entièrement à la charge des financeurs, les services d’incendie et de secours (Sdis), donc les départements, des communes et des intercommunalités" (les Sdis représentent un budget annuel de 4,47 milliards d’euros financés à 58 % par les départements et 42 % par les communes – chiffres de l’Assemblée des départements de France).

Une augmentation de charges jugée "pas supportable" dans le contexte budgétaire actuel à la fois par le président de la CNSIS et l’Assemblée des départements de France (ADF), cette dernière soulignant par ailleurs que les finances des départements sont "sollicitées de toutes part par l’État et corsetées par la contractualisation budgétaire imposée au gouvernement" – les fameux contrats de Cahors.

Et le président de la CNSIS de remémorer au ministre un autre engagement qu’il a pris devant la Conférence des financeurs des Sdis, l’Association des maires de France et l'ADF : celui "de ne pas décider pour ceux qui payent".

Ressources supplémentaires : des pistes aux allures d’impasse

Olivier Richefou invite ainsi le ministre à "honorer dans les meilleurs délais ses engagements et répondre aux propositions qui lui ont été formulées : l’augmentation de la fraction allouée aux départements de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) ; la modulation puis la suppression des sur-cotisations versées à la caisse nationale des retraites des collectivités locales (CNRACL) au titre de l’intégration de l’indemnité de feu dans le calcul des pensions ; la réévaluation au juste coût des missions de carences ambulancières assurées par les sapeurs-pompiers". Menaçant, faute d’arbitrages nécessaires, de ne pouvoir "proposer à la CNSIS d’émettre un avis favorable à la revalorisation de l’indemnité de feu".

Ces pistes avaient été formulées par les présidents de l’AMF et de l’ADF dans un courrier (voir pdf joint) adressé place Beauvau le 10 janvier dernier (voir aussi l’encadré de l'article). Les élus y soulignaient déjà qu’une revalorisation significative de l’indemnité de feu – alors envisagée à hauteur de 28%, avec un impact budgétaire estimé à 130 millions d’euros – "n’est pas supportable sans ressource supplémentaire ou suppression de charge existante". Reste que ces pistes ont à court terme davantage des allures d’impasse.

Ainsi de la réévaluation des missions de carences ambulancières, que le gouvernement vient de revoir a minima (lire notre article). Si Olivier Richefou, qui préside également le Sdis de la Mayenne, attend beaucoup de l’inspection commune que doivent prochainement conduire l’Igas et l’IGA afin de déterminer le coût réel de ces prestations – "la lettre de mission est dans le parapheur", nous a-t-il précisé –, il faudra attendre les conclusions de l’étude… et le cas échéant qu’un nouveau texte soit adopté en conséquence. Ce qui laisse voir venir.

De même s’agissant de l’augmentation de la TSCA, dont le taux est fixé en loi de finances et indexé sur les immatriculations des véhicules terrestres à moteur, "plutôt à la baisse", pointe Olivier Richefou. En outre, souligne l’ADF, "l’évolution de cette taxe n’est pas en rapport, dans chaque département, avec le nombre de sapeurs-pompiers éligibles à l’indemnité de feu". Enfin, relève Olivier Richefou, "la part allouée aux départements n’est pas fléchée vers les Sdis". Bref, faute d’une éventuelle prochaine loi de finances rectificative, cela suppose de déshabiller Pierre pour habiller Paul…

Ne subsiste donc que la piste de la suppression de la surcotisation versée à la CNRACL sur la prime de feu, en laquelle Olivier Richefou place tous ses espoirs. Il vient de plaider sa cause auprès du secrétaire d’État Olivier Dussopt – "qui n’a pas fermé la porte" – et doit rencontrer prochainement le président de la CNRACL. "Cette surcotisation instaurée il y a une quinzaine d’années n’est plus nécessaire à l’équilibre du régime des sapeurs-pompiers", justifie le président de la CNSIS. "Sa suppression se traduirait par une baisse des charges d’environ 40 millions d’euros annuels pour les employeurs, et de 20 milliards pour les sapeurs-pompiers. Pour les Sdis, cela permettrait donc de compenser la revalorisation de la prime de feu, par ailleurs tout à fait légitime, sur deux ans".

Quel calendrier de mise en œuvre ?

Reste précisément à dissiper un éventuel malentendu sur le calendrier de mise en œuvre de la revalorisation de la prime de feu – qu’Olivier Richefou plaide pour rebaptiser en "prime de risque". Dans son communiqué du 28 janvier, l’intersyndicale se félicite de l’augmentation "avec application dès le lendemain de la publication du décret, attendu avant l’été". Mais le président de la CNSIS tempère les ardeurs. D’abord, une adoption du décret avant l’été paraît selon lui ambitieuse. "Le texte doit passer le filtre du Conseil d’État, puis être soumis pour avis à la CNSIS et au Conseil national d’évaluation des normes", avertit-il. Ensuite, "la décision appartient in fine aux conseils d’administration des Sdis, qui peuvent décider d’appliquer la hausse immédiatement après la publication du décret, en la modulant dans le temps ou encore… ne pas l’appliquer du tout. En 1991, date de la dernière revalorisation, tous les Sdis avaient de suite voté la hausse à 19%. Mais ils auraient très bien pu faire autrement. Ils peuvent également décider d’une application différenciée en fonction du grade, comme c’est aujourd’hui le cas dans la police."

Dans un courrier (v. PDF joint) adressé le 13 janvier dernier à Frédéric Perrin, président du SPSDIS-CFTC, le ministre de l’Intérieur indiquait d’ailleurs bien une publication du décret qui "pourrait aboutir au cours de [sic] second trimestre 2020" et que l’augmentation du plafond se ferait "sur une période de deux à trois ans", rappelant que "ce sont bien les assemblées délibérantes des services d’incendie et de secours qui restent seules compétentes pour instituer le régime indemnitaire des agents et en fixer les bornes". Interrogé sur ce point, Frédéric Perrin maintient toutefois que le ministre de l’Intérieur s’est depuis engagé à ce que la hausse soit immédiate, "dès la parution du décret". "C’était un point de blocage, une condition indispensable à la décision de suspendre la grève, qui a été très délicate à prendre", nous confie le syndicaliste, appelant par ailleurs Olivier Richefou à "arrêter d’attiser les braises". "On ne comprend pas sa réaction, qui risque de remettre le feu aux poudres", explique-t-il, avant de brandir la menace d’une reprise du mouvement et d’une manifestation "en Mayenne". "On sait éteindre le feu, mais aussi le mettre", nous a-t-il lancé, jugeant que les départements avaient des marges de manœuvre. "Pour les contrats de Cahors, les départements ne sont qu’à 0,8% alors qu’ils peuvent aller jusqu’à 1,2%", avance-t-il. Dans son courrier adressé à l’intersyndicale le 28 janvier, le ministre de l’Intérieur s’est toutefois bien gardé d’indiquer le moindre délai…

L’emploi, dommage collatéral de la hausse de la prime de feu ?

"On n’a jamais autant recruté de sapeurs-pompiers professionnels qu’en ce moment", nous indiquait il y a peu Hugues Deregnaucourt, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF). Un mouvement qui pourrait peut-être avoir atteint son plus haut. D’une part, et sauf à être intégralement compensée, l’augmentation de la prime de feu se traduira mécaniquement pour les Sdis par une hausse de la masse salariale – un mécanisme pointé naguère par la Cour des comptes. D’autre part, "la pression opérationnelle se stabilise", indique Olivier Richefou, souscrivant à l’analyse du ministre de l’Intérieur qui voit dans "la baisse sensible" de l’activité de secours d’urgence aux personnes constatée sur le second semestre 2019 le fruit des premières mesures prises par le gouvernement en la matière. Face à ce double mouvement, les Sdis pourraient être conduits à modérer leur politique de recrutement alors que leur situation budgétaire reste fragile.

 

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