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Projet de loi Climat et Résilience : le Sénat retouche le régime des catastrophes naturelles

Les sénateurs ont abordé en séance publique, ce 25 juin, les dispositions relatives à la protection des écosystèmes et aux risques liés à l'érosion côtière, censées clore le titre IV "Se loger" du projet de loi Climat et Résilience, mais examinées en ordre inversé, avant celles plaçant la France sur la trajectoire du "zéro artificialisation nette". Quelques compléments y sont apportés entre autres pour renforcer la protection des chemins ruraux. D’autres ajouts sont directement inspirés de la proposition de loi PS visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, adoptée au Sénat en janvier 2020. 

TITRE IV SE LOGER

  • Lutter contre l'artificialisation des sols pour la protection des écosystèmes (chapitre IV) - articles 56 à 57 ter

Aucun amendement n’a été adopté à l’article 56 qui fixe dans la loi les objectifs de la nouvelle stratégie nationale décennale des aires protégées, avec un taux de couverture d'au moins 30% du territoire national et des espaces maritimes, dont au moins 10% sous protection forte. En commission, le Sénat a notamment décidé d’associer les collectivités à l’élaboration et à la mise en œuvre de cette stratégie pour assurer une meilleure déclinaison territoriale des objectifs.

Modalités de versement des données brutes de biodiversité à l'inventaire du patrimoine naturel
Un nouvel article 56 bis AA distingue plus explicitement les deux phases de versement pour les maîtres d’ouvrages publics ou privés des données brutes de biodiversité à l'inventaire du patrimoine naturel, l’une en amont de l’autorisation ou de l’approbation du projet/plan/programme, l’autre en aval, au terme d’un amendement RDPI. 

Dérogations à l’obligation d’autofinancement pour les équipements pastoraux
Un nouvel article 56 bis AB - introduit par un amendement du gouvernement - donne au préfet de département la possibilité d’accorder des dérogations à l’obligation d’autofinancement des communes pour la réalisation des travaux sur les équipements pastoraux. "En effet, les communes, souvent de petite taille, n’en ont pas les moyens. Or ils sont indispensables à la cohabitation avec le loup", a expliqué la secrétaire d’État à la Biodiversité, Bérangère Abba. "Les financements prévus dans le plan de relance donneront un coup d'accélérateur à ces travaux", a-t-elle précisé. 

L’article 56 bis A qui visait à exempter le Conservatoire du littoral et les conservatoires régionaux d'espaces naturels du droit de préférence bénéficiant aux propriétaires de parcelle forestière contiguë pour limiter le morcellement du foncier forestier est supprimé.
Au risque de "pénaliser les collectivités dans leurs actions de gestion et mise en valeur durables", estiment les deux amendements identiques LR et RDPI défendus contre l’avis du gouvernement. 

L’article 56 bis qui s’inspire d’une proposition de loi du Sénat pour renforcer le pouvoir des maires en matière de lutte contre l’hyperfréquentation des espaces protégés a été adopté sans modification. 

La prorogation d’un an des décrets de classement des parcs naturels régionaux, dont le terme vient à échéance avant le 31 décembre 2024, est confirmée par l’adoption de l’article 56 ter. 

Les sénateurs ont également adopté "conforme" l’article 57 qui rétablit la possibilité, pour le département et les titulaires par substitution, d'exercer le droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles au sein des périmètres sensibles

Soumission des donations dans les espaces naturels sensibles au droit de préemption
À l’article 57 bis, un amendement du gouvernement étend aux donations entre vifs l’exercice du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles afin de limiter les ventes déguisées, au moyen de donations fictives.

Protection des chemins ruraux
À l’article 57 ter la protection des chemins ruraux est renforcée par plusieurs amendements. 
En précisant dans la loi que la présomption d'affectation à l'usage du public des chemins ruraux ne peut pas être renversée par une décision administrative de faire cesser cette affectation, au terme d’amendements identiques LR et socialistes. Le rapporteur Pascal Martin a émis un avis défavorable à cet amendement auquel les associations d'élus sont "hostiles". 
La possibilité pour la commune, ou l’association syndicale d’instituer des contributions spéciales aux particuliers ou entrepreneurs responsables de la dégradation d’un chemin rural est également élargie, et ce quelle que soit la cause de la dégradation (amendement UC). Un autre ajout prévoit que l’échange des terrains ayant abouti à rétablir la continuité d’un chemin rural ne donne lieu à aucune perception au profit du Trésor (amendements identiques LR et RDPI). 

  • Adapter les territoires aux effets du dérèglement climatique (chapitre V) - articles 58 A à 58 D

L'article 58 initial habilitait le gouvernement à prendre par ordonnance une série de mesures en réponse au recul du trait de côte. Les députés ont réduit la portée des ordonnances pour inscrire dans le dur la boîte à outils dont les collectivités pourront se saisir pour repenser l'aménagement de leur territoire en tenant compte des enjeux spécifiques de l’érosion. Le Sénat a toutefois souhaité assurer une entrée en vigueur maîtrisée de la réforme relative à l’adaptation face au recul du trait de côte, en créant en commission un "droit d’option" pour les 200 communes littorales concernées de mettre en oeuvre ou non la cartographie du recul du trait de côte et les mesures d'adaptation en matière d'urbanisme qui en découlent, compte tenu de l’absence de garanties financières apportées aux maires pour cette réorganisation spatiale. En séance, le gouvernement a échoué à rétablir à l’article 58 E l'obligation de réaliser une cartographie locale des zones concernées par l’érosion côtière dans certains cas bien ciblés. "Elles bénéficieront d'un accompagnement financier et en ingénierie : je l'ai dit, 80% du coût des cartographies sera financé par l'État, les projets de recomposition littorale feront l'objet d'une contractualisation avec l'État et seront soutenus à hauteur de 10 millions d'euros ; les collectivités pourront faire appel aux établissements publics fonciers et utiliser la taxe Gemapi", a tenté de convaincre la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. Des garanties jugées "insuffisantes" par le rapporteur Pascal Martin : "Une dotation financière serait intéressante, mais elle est renvoyée au projet de loi de finances 2022 et le montant, 20 millions d'euros, est très insuffisant", estime-t-il. "Le Cerema chiffre les coûts pour le seul logement entre 0,8 et 8 milliards d'euros à l'horizon de 2100", il n’est donc "pas réaliste" selon lui de considérer que les collectivités territoriales assumeront. Quant à l’idée d'un financement par la taxe Gemapi : "elle ne tient pas". "Son rendement suffit à peine à couvrir les besoins de la gestion des milieux aquatiques. C'est faire porter la responsabilité politique et financière sur les élus locaux, qui devront procéder à des hausses de fiscalité locale", conclut-il.

Sur ce chapitre, seul l’article 58 H qui étend les compétences des établissements publics fonciers de l'État et locaux, afin d'y intégrer les actions d'acquisition du foncier exposé au recul du trait de côte, a été adopté conforme

Réajustement de la définition du recul du trait de côte
L'article 58 BAB reprend la définition du recul du trait de côte issue de la proposition de loi de l’ancien sénateur des Côtes-d’Armor (LR) Michel Vaspart, que le Sénat a adoptée en janvier 2018, qui intégrait à la fois le phénomène de l'érosion et l'élévation du niveau de la mer. Pour ne pas alourdir les responsabilités pesant sur les communes littorales, un amendement du rapporteur, adopté en séance, réajuste cette définition pour n'inclure que le risque d’érosion.

Prolongement de la durée de vie des agences des "cinquante pas géométriques"
Un nouvel article 58 J -introduit par le groupe RDPI et dont la rédaction est issue du projet de loi 4 D - contient plusieurs mesures de correction du calendrier relatif à l’aménagement de la zone des cinquante pas géométriques de Guadeloupe et de Martinique initialement fixé par la loi d'actualisation du droit des Outre-mer de 2015. Il prévoit notamment de reporter à 2025 la date limite de transfert au bloc local de la zone des cinquante pas géométriques, et prolonge de dix ans (jusqu’en 2031) les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques. La ministre avait assuré aux députés en séance que les collectivités locales concernées seraient consultées en vue de l’élaboration du projet d’ordonnance relatif aux mesures d'adaptation pour la zone des cinquante pas géométriques. Un amendement des socialistes, travaillé avec la Direction outre-mer de l'Union sociale pour l'habitat (USH), propose d’acter dans la loi le principe de cette concertation

Améliorer les modalités de prise en charge des risques
Reprenant les dispositions de la proposition de loi PS visant à réformer le régime des catastrophes naturelles présentée par Nicole Bonnefoy et adoptée à l’unanimité moins une abstention au Sénat en janvier 2020, un nouvel article 58 bis B élargi le champ d'action du fonds Barnier à la totalité des études et travaux de réduction de vulnérabilité pour les particuliers, et non plus seulement à ceux définis et rendus obligatoires par un plan de prévention des risques naturels. "Il faudrait un texte ad hoc sur la gestion des catastrophes naturelles, plutôt qu'un traitement par morceaux", s’y est opposée la ministre.

Concertation relative à l'élaboration d'un PPRI
Un nouvel article 58 bis C prévoit lors de l’élaboration des plans de prévention des risques d’inondation (PPRI), la réalisation d’une évaluation des conséquences de l’application du plan envisagé sur l’attractivité économique des communes et le risque de désertification des centres-bourgs, pour permettre le cas échéant d’ajuster les mesures du plan ou mieux les anticiper (amendement socialiste). 

Cellule départementale de soutien à la gestion des catastrophes naturelles
Les sénateurs ont également voté la mise en place dans chaque département d’une cellule de soutien aux maires dans leurs démarches de prévention et de gestion des catastrophes naturelles via un nouvel article 58 bis D (au terme d'amendements identiques LR et socialistes). Elle sera composée de représentants de l’État, de personnalités qualifiées et d’élus locaux désignés sur proposition des associations d’élus du territoire concerné. Ses modalités de fonctionnement et sa composition sont renvoyées au décret. 

Crédit d’impôt pour la prévention des aléas climatiques (Cipac)
Il est par ailleurs créé dans un nouvel article 58 bis E, sur le modèle du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), un crédit d'impôt pour la prévention des aléas climatiques (Cipac) à hauteur de 50% des dépenses engagées pour réaliser des travaux visant à améliorer la résilience du bâti aux effets des catastrophes naturelles (amendements identiques LR et socialiste). 

Mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse 
Un nouvel article 58 bis F vient compléter le code des assurances afin de renforcer les droits des assurés et le montant des indemnisations dont ils bénéficient pour les dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Il propose d’appliquer le délai de prescription de droit commun de cinq ans pour les dommages liés à la sécheresse. Il précise que les indemnisations dues à l’assuré doivent permettre un arrêt des désordres existants. Finalement, il intègre les frais de relogement d’urgence des personnes sinistrées dans le périmètre de la garantie CatNat.

Reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle
Dans la continuité des précédents amendements repris de la PPL socialiste visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, un nouvel article 58 bis G révise la composition de la commission interministérielle chargée d’émettre un avis sur le caractère de catastrophe naturelle. Il prévoit également qu’en cas de refus d’une première demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, les communes peuvent soumettre une deuxième demande dans un délai de six mois à compter de la notification par le préfet dans le département de la décision rendue dès lors qu’elles produisent des éléments techniques complémentaires dans des conditions définies par voie réglementaire. Le texte interdit en outre les modulations de franchise à la charge des assurés dans les communes non dotées d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles. 

Un nouvel article article 58 bis H permet de classer le phénomène d’échouages massifs d’algues sargasses aux Antilles en tant que catastrophe naturelle. "Les sargasses ne sont pas un risque naturel majeur pouvant faire l'objet d'une assurance", s’y est opposée la ministre, rappelant que "l’État investit massivement avec un plan Sargasses I doté de 11 millions d'euros pour l'achat de matériel, le suivi et la prévention de l'échouage, afin d'intervenir moins de 48 heures après les échouages et éviter la putréfaction des algues". Un plan Sargasses II est d’ailleurs "en cours de préparation", et fera l'objet d'une concertation locale.

Encadrement du recours aux drones pour l'observation de phénomènes naturels évolutifs ou dangereux (article 58 bis)
Les sénateurs ont adopté un amendement du gouvernement visant à mieux encadrer le recours aux drones pour l'observation de phénomènes naturels dangereux tels que les activités volcaniques ou les crues de cours d’eau. Il prévoit une information préalable du public lorsque le survol peut amener à l'identification des personnes physiques, un examen par des personnes habilités et une limitation de la durée de conservation des données personnelles à six mois.