Archives

Pylônes de téléphonie mobile : ces nouveaux intermédiaires qui inquiètent les collectivités

Dans les déploiements d’antennes mobiles, les opérateurs tendent à céder la place à des "tower compagnies" pour trouver et gérer les sites d’implantation. Un phénomène d’intermédiation qui inquiète les élus locaux, avec le risque de voir un aménagement numérique dévoyé par la spéculation sur les points hauts.

En février 2021, Orange annonçait la création de Totem, une "tower compagny" ou towerco regroupant les 25.500 points hauts de l’opérateur dont 17.000 en France et 8.500 en Espagne. Orange rejoint ainsi Bouygues Telecom, SFR et Free qui ont également cédé la gestion de leurs sites mobiles à ce type de structure. Ces opérations se chiffrent en dizaines de millions d’euros, générant "un cash" bienvenu pour financer les déploiements des opérateurs, dans la fibre comme dans la 5G. Intervenant à l’échelle internationale, ces nouvelles structures génèrent aussi de juteuses recettes, les "points hauts" se louant au prix fort aux opérateurs commerciaux. 

Les sociétés foncières dans le viseur

L’arrivée de ces nouveaux acteurs de l’aménagement numérique a des incidences concrètes pour les maires. Les towercos achètent en effet les terrains, déposent les autorisations d’urbanisme sans que la collectivité sache toujours quel(s) opérateur(s) sont derrière. "L’affaire est encore plus compliquée car il y a aussi des sociétés foncières qui repèrent les baux d’antennes arrivant à échéance et vont proposer aux propriétaires, parfois des communes, des loyers mirobolants. Le problème est que ce loyer est bien évidemment répercuté ensuite sur les opérateurs mobiles qui peuvent alors décider de ne pas venir", décrypte Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca. Une offre alléchante qui peut se révéler un piège, voire arriver à de totales aberrations comme la coexistence de deux antennes voisines, dont une inoccupée alors même qu'elle a été financée avec de l'argent public… L’association alerte plus particulièrement les communes rurales, concernées par la couverture ciblée du New Deal mobile où les maires sont invités à proposer des terrains pour bénéficier d’une couverture dans un délai d’un an contre deux si l’opérateur (ou sa Towerco) doit le trouver. Car en matière de couverture ciblée, les opérateurs auraient tendance à trouver tous les prétextes pour ne pas venir… "Ils seraient ravis que les communes rurales adoptent des moratoires comme on en voit dans certaines grandes villes sur la 5G", ironise Ariel Turpin.

Une disposition législative en devenir

Les sénateurs ont profité de la proposition de loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique portée par le sénateur et président de l’Avicca Patrick Chaize pour tenter de régler le problème. L’article 24  adopté le 12 janvier 2021 prévoit que "la réservation de terrains d’assiette ainsi que la construction d’infrastructures d’accueil de stations radioélectriques sont soumises à la transmission préalable au maire de la commune concernée, par l’opérateur d’infrastructure ou de service, du mandat de construction ou du contrat de location ou de service passé avec le ou les utilisateurs finaux des installations." L’article avait été adopté contre l’avis du secrétaire d’Etat aux communications électroniques Cédric O qui avait défendu la "pédagogie" tout en reconnaissant les "pratiques parfois agressives" des towercos. La proposition de loi, court-circuitée entre temps par le projet portant lutte contre le dérèglement climatique, a peu de chance d’être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais il est fort possible que les sénateurs reviennent à la charge à l’occasion du passage de cette dernière devant la haute assemblée.

Améliorer l’information des maires

Si la piste législative semble mal emmanchée, le sujet Towerco revient régulièrement dans les réunions du comité France mobile chargé de suivre le New Deal mobile. Celui-ci explore la piste "pédagogique" évoquée par le secrétaire d’Etat au numérique en cherchant des moyens pour mieux informer les maires. En ligne de mire, la centralisation et la dématérialisation de l’information dont les maires sont (ou censés être) destinataires, en l’occurrence le DIM ou dossier d’information des maires. Car aujourd’hui le DIM est envoyé par les opérateurs pour chaque projet d’installation ou de modification d’antenne mais sa consultation, sans parler de sa contestation, reste un exercice compliqué en dépit des droits créés par la loi Abeille. Il souffre également d’un manque d’uniformité, chaque opérateur ayant ses propres pratiques. Une piste évoquée est de rattacher le DIM au droit de l’urbanisme pour définir formellement son contenu et renforcer son caractère obligatoire. Dématérialisés, ils pourraient ensuite être centralisés sur Cartoradio, le site de l’ANFR dédié aux antennes, ou encore sur le Géoportail de l’urbanisme, rien n’étant encore tranché à ce stade. Dans tous les cas, avec l’arrivée de la 5G, les pratiques d’information ont besoin d’un sérieux toilettage pour améliorer l’information des élus et du public alors que les antennes 5G sont en voie de prolifération.

Avec l'Ofitem, les towercos ont leur association représentative

Les towercos ont désormais leur propre instance représentative, l’association française des opérateurs d’infrastructures de téléphonie mobile ou Ofitem  née en décembre 2020. Elle regroupe les principaux towercos français : ATC France, Cellnex, Hivory dont la towerco historique, TDF. Son objectif est de mieux faire entendre la voix des opérateurs d’infrastructures mobiles passives auprès des pouvoirs publics, mais aussi des opérateurs commerciaux. Ils souhaitent notamment l’émergence d’un cadre réglementaire adapté à leur activité. Parmi les sujets sur la table, la dégradation, quand il ne s’agit pas de destruction, d’antennes de téléphonie mobile, un phénomène en forte hausse avec le mouvement "anti 5G". L’Ofitem promet aussi de promouvoir la mutualisation des sites mobiles. Sous réserve que les tarifs pratiqués soient abordables.