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Quand la dématérialisation bouscule la médiation numérique

La mise en place des conseillers numériques France services était au cœur de l’édition 2021 de Numérique en commun (NEC). Des conseillers qui ont fait part de leurs difficultés à concilier montée en compétence numérique et aide à la réalisation de procédures dématérialisées.

Organisées par la MedNum et la mission société numérique de l’Agence du numérique, l’édition rencontres 2021 de "Numérique en commun[s]" (NEC) a été l’occasion de faire un point sur le déploiement des conseillers numériques France services (CNFS). A ce jour, sur les 4.000 CNFS financés par l’Etat dans le cadre du plan de relance, 1.926 conseillers ont été recrutés par 1.479 structures, parmi lesquels 1.180 sont en formation et 242 en poste dans les territoires. Au total, quelque 15.000 personnes auraient bénéficié d’un accompagnement. On rappellera que ces CNFS font l’objet d’une convention d’objectifs signée entre l’Etat et la structure accueillante. Cette dernière peut être une collectivité territoriale, une association ou encore une entité privée, à l’image de La Poste qui a annoncé le 5 octobre recruter 100 CNFS déployés dans 57 départements.

Besoin de cartographie et d’interlocuteurs

La priorité de ces agents de la lutte contre l’illectronisme est de disposer d’un état des lieux précis de l’offre territoriale d’inclusion numérique. Car la médiation numérique n’a rien de nouveau avec plus de vingt ans d’empilement de dispositifs d’accompagnement portés par une multitude de structures publiques ou associatives. Aux rencontres NEC 2021, il a été beaucoup question de "cartographie" pour connaitre le qui-fait-quoi-où, certaines structures étant spécialisées, d’autres généralistes, ouvertes en permanence ou uniquement sur certains créneaux horaires... "Ce que nous proposons ne doit pas être redondant avec ce qui existe déjà", a assuré Julie Poudens, coordinatrice des CNFS des Landes. "Il nous faut une personne ressource pour chaque thématique et un interlocuteur privilégié dans chaque administration", a complété Sarah Gillery, la référente CNFS de Bordeaux Métropole. Les CNFS ont aussi pointé le besoin de guides, de référentiels afin de "ne pas réinventer les choses". Julien Lafaye, CNFS dans le Haut Périgord, propose de créer "une bibliothèque par territoire et par thématique". Tous ont pointé la nécessité de "travailler en réseau", pour échanger sur leurs pratiques et coconstruire l’offre d’accompagnement. Les jeunes recrutés se sont enfin interrogés sur la pérennité de leur nouvel emploi, l’Etat n’assurant pour le moment qu’un financement des postes sur deux ans.

Médiation numérique ou administrative ?

L’un des défis à relever est ensuite de proposer une offre large, susceptible de s'adresser à tous les publics, des plus éloignés du numérique à ceux et celles qui souhaitent gagner en autonomie. Or cette mission historique des structures de médiation numérique est à concilier avec la dématérialisation accélérée des procédures administratives. Celle-ci "a généré un besoin massif de médiation, avec une véritable urgence. Elle impose de passer d’une proposition d’offre à une réponse à une demande sociale", a expliqué Pierre Mazet, chercheur au LabAccès, spécialisé sur les médiations numériques. Les structures d’accueil voient ainsi débarquer des personnes dont le besoin d’accompagnement est individuel, immédiat et, surtout, plus administratif que technique. "Préparer un atelier collectif au contenu maîtrisé n’a rien à voir avec une aide administrative individuelle où le médiateur n’en sait pas toujours beaucoup plus que l’usager", souligne l’expert. 

Le risque du court-termisme

La médiation numérique peut-elle converger avec la médiation administrative ? Les élus locaux poussent en ce sens en demandant à faire évoluer la formation des CNFS, prise en charge par l’Etat, pour améliorer leurs connaissances sur les procédures administratives. Mais il n’est pas certain que les jeunes ayant postulé pour devenir CNFS aient "signé" pour faire de l’accompagnement sur les sites de la CAF, de l’ANTS ou des impôts. Le risque est en outre celui d’une approche court-termiste. "En se focalisant sur l’e-administration, on oublie les problématiques antérieures, comme les lacunes du système éducatif, et la préparation aux nouveaux enjeux, comme la nécessité d’un rapport critique aux technologies ou aux algorithmes", a mis en garde Antoine Bidegain, adjoint à la DSI de Bordeaux Métropole. Et de souligner que "nous sommes tous des aidants numériques", 95% de l’aide, effectuée dans un cadre familial ou professionnel, échappant aux radars des structures de médiation. Des bonnes volontés qui gagneraient à être mieux prises en compte dans les stratégies territoriales d’inclusion numérique.