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Quelle équation pour la réforme fiscale ?

Pour parvenir à des solutions viables, le chantier de la fiscalité, qu'il s'agisse des impôts locaux ou des taxes environnementales, devra respecter un subtil équilibre. Quels grands principes doivent le guider ? L'Assemblée des communautés de France (AdCF) a ouvert le débat, ce 31 janvier.

La colère des gilets jaunes a témoigné d'une fragilisation du consentement à l'impôt. De quoi alerter les décideurs sur la réforme de la fiscalité locale engagée pour remplacer la taxe d'habitation et permettre la poursuite du financement des services publics locaux, ainsi que sur l'évolution de la fiscalité dite écologique. Pour réussir ces chantiers hautement sensibles, il faudra veiller au respect d'un certain nombre de principes, tels que "la transparence", l'équité, ou encore "la lisibilité". Tout cela a été souligné par les participants à la journée que l'Assemblée des communautés de France (AdCF) organisait ce 31 janvier à Paris sous l'intitulé "Impôts, taxes, redevances : quel financement pour le service public local ?" Autour de la table : des parlementaires et des élus locaux, un universitaire, un représentant des chefs d'entreprises, qui ont croisé leurs regards et, parfois aussi, exprimé leurs désaccords. 
Avec la disparition de la taxe d'habitation, certains citoyens seront tentés de formuler de nouvelles demandes à l'égard des services publics locaux sans avoir à "supporter les conséquences" financières de ces évolutions. Ils seront en sorte des "passagers clandestins" du service public, a diagnostiqué Bernard Dafflon, professeur émérite à l'université de Fribourg. Un constat qui est devenu une critique dans la bouche de Jean-Luc Monteil, président de la commission Animation réseau des régions et des territoires du Medef. La réforme devra, selon lui, "remettre l'usager au coeur" du système. Ainsi, est-ce principalement aux entreprises que doit revenir le financement des transports urbains ? Le représentant du patronat a répondu clairement non, d'autant que le versement transport dont les entreprises doivent s'acquitter pèse "sur les coûts de production" et peut donc être néfaste à l'emploi, a-t-il insisté. Tout en défendant le versement transport, Charles-Eric Lemaignen, premier vice-président de l'AdCF et vice-président du groupement des autorités responsables de transports (Gart) a jugé nécessaire, lui aussi, une participation des usagers au financement des transports en commun. "Je suis résolument contre la gratuité", a-t-il lancé. En indiquant que les collectivités qui la mettent en place, parviennent certes à séduire de nouveaux usagers. Mais que la moitié d'entre eux seraient des utilisateurs des modes doux de déplacement.

Une demande importante de transparence

Autre notion clé des réformes fiscales à venir : la transparence. C'est "une demande forte de la part de citoyens qui veulent savoir à quoi servent leurs impôts", a jugé Bénédicte Peyrol, députée de la commission des finances et spécialiste de la fiscalité écologique. Bien des progrès restent à faire dans ce domaine. Du point de vue du citoyen usager, l'opacité règne aujourd'hui sur les coûts du service public et sa tarification. La situation ne serait toutefois pas inéluctable. Le cas italien est à ce titre donné en exemple : les Italiens ont réussi à mettre en place une base de données permanente des coûts des principaux services publics locaux, dont les sénateurs Charles Guené et Claude Raynal ont fait la description dans un rapport de 2015. 
Pour être acceptable, un impôt doit aussi répondre à "des objectifs clairs", a estimé Charles-Eric Lemaignen. Or ce n'est pas franchement ce qui caractérise, pour l'heure, la fiscalité écologique, a reconnu Bénédicte Peyrol. Pour qui il règne "beaucoup de confusion" dans ce domaine. La fameuse taxe carbone, dont l'augmentation programmée en 2019 a déclenché la colère des gilets jaunes, doit-elle permettre uniquement de modifier les comportements ? Ou bien doit-elle aussi financer les politiques publiques (comme la mise en oeuvre des plans climat-air-énergie territoriaux portés par les intercommunalités). "Il faut trouver une réponse très vite. Ensemble. Sinon on n'y arrivera pas", a plaidé la députée. Il ne faut en aucun cas poursuivre les deux objectifs, a tranché Boris Ravignon, président d'Ardenne Métropole. L'erreur a été commise avec la montée en puissance, comme initialement prévue, de la taxe carbone. Les Français l'ont jugé d'autant plus insupportable que les aides destinées à prendre le virage de la transition énergétique (le "CITE") ne devaient pas être renforcées. Le dispositif a de surcroît le défaut d'être injuste, a pointé Bénédicte Peyrol. La moitié du crédit d'impôt pour la transition énergétique "bénéficie à 20% des plus riches". A l'avenir, il faudra "penser en complémentarité les politiques d'accompagnement social et les politiques de transition énergétique", a-t-elle souligné. Pour répondre à ces défis, l'intercommunalité constitue "la bonne échelle" de gouvernance, parce qu'elle est proche des citoyens, a ajouté la parlementaire.

Solidarité financière

Les enjeux des réformes sont grands. Si la fiscalité écologique ne repart pas sur de bonnes bases, elle sera encore plus injuste que la taxe d'habitation, a mis en garde Isabelle Briquet, vice-présidente de Limoges agglomération. Qui a également voulu réhabiliter cet impôt local. Si décrié par l'actuel exécutif, il a pourtant des vertus. Notamment, il garantit un lien avec le territoire et accorde un pouvoir de taux aux communes et à leurs groupements à fiscalité propre. Des atouts qu'une majorité d'élus locaux voudraient voir pérennisés par la réforme de la fiscalité locale. Le chantier devra aussi, pour un certain nombre d'entre eux, remettre sur le métier les dispositifs de péréquation. Avec à la clé plus de moyens en direction des territoires défavorisés, comme l'a réclamé Boris Ravignon. Le maire de Charleville-Mézières a dit "ne pas comprendre" le gel appliqué depuis trois ans pour le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (1 milliard d'euros).
Cette demande ne pourra être satisfaite dans l'immédiat. Pour cause : la présentation du projet de loi sur la fiscalité locale, qui était annoncée pour le mois d'avril prochain, risque de prendre plusieurs mois de retard. Scénario probable, selon Christophe Jerretie, un député de la majorité qui suit de près le sujet : des "morceaux" de la réforme seront inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020 que le gouvernement dévoilera fin septembre 2019.