Réforme des diplômes du travail social : les organisations professionnelles demandent le temps de la concertation
Présentée par les employeurs comme une étape indispensable dans la stratégie de revalorisation des métiers du travail social, la réforme des diplômes de niveau VI n’emporte pas l’adhésion des professionnels, qui dénoncent un nivèlement par le bas et un risque de perte des identités professionnelles. Un report est encore possible, selon les dix organisations qui se mobilisent depuis plusieurs mois et qui interpellent la ministre Catherine Vautrin. Cette dernière avait en effet accepté le principe d’une concertation le 17 juin dernier, avant que le ministère ne mette finalement fin au dialogue quelques jours plus tard.

© Céline Lembert (Anas) / Plénière du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) le 17 juin en présence de Catherine Vautrin
Préparée depuis un an par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS, ministère des Solidarités), la réforme des diplômes d’État en travail social de niveau VI - assistant de service social (ASS), éducateur spécialisé (ES), éducateur de jeunes enfants (EJE), éducateur technique spécialisé (ETS), conseiller en économie sociale et familiale (CESF) – pourrait être actée ce 2 juillet 2025 en commission professionnelle consultative (CPC). Mais cette réforme divise fortement employeurs et professionnels.
"Un pas vers la fusion des métiers en un seul, celui de travailleur social"
Destinée à mieux adapter les référentiels de formation à la réalité du terrain et à favoriser les passerelles, la réforme prévoit un tronc commun entre ces métiers qui correspondrait environ aux deux tiers du temps de formation. "C’est un pas vers la fusion des métiers en un seul, celui de travailleur social qui ne serait ensuite que spécialisé dans un champ particulier : action sociale - service social (assistante sociale), action éducative (éducateurs) et éventuellement animation", décrypte pour Localtis Didier Dubasque, spécialiste du travail social et auteur d’un blog sur le sujet.
La maquette actuelle ne convient pas à dix syndicats et associations professionnelles, dont l’Association nationale des assistants de service social (Anas). Le temps consacré à la spécialité n’est en l’état pas suffisant "pour construire une culture professionnelle et une identité professionnelle : ce qui fait la richesse du travail social en France, c’est que les professionnels sont complémentaires. Quand, en protection de l’enfance, il y a un binôme éducateur spécialisé et assistant de service social, c’est justement parce que l’on cherche un regard différent", explique à Localtis Jacqueline Grebert pour l’Anas. Selon Didier Dubasque, qui avait été auditionné en 2024 par la DGCS sur le projet de réforme, une voie médiane est possible : si la "dimension métier" représentait la moitié du temps de formation, cela permettrait davantage "l'acquisition d'une identité professionnelle claire s'appuyant sur l'histoire de nos métiers".
Catherine Vautrin a ouvert la voie à la concertation… mais la voie a été refermée
Dénonçant par ailleurs le manque de concertation sur cette réforme et la réduction du volume d’heures, soit de formation soit de stages selon les métiers, ces organisations ont "bataillé" pour obtenir des réunions, selon Jacqueline Grebert qui souligne que les réformes étaient auparavant toujours coconstruites avec les acteurs de terrain.
Le 17 juin dernier lors d’une réunion plénière du Haut Conseil en travail social (HCTS), la ministre des Solidarités, Catherine Vautrin, a répondu favorablement à une interpellation de l’Anas, ouvrant la voie à une concertation qui aurait dû théoriquement aboutir à un report d’un an de la réforme. Au cours d’une réunion technique qui s’est tenue le 24 juin au ministère, les organisations professionnelles et syndicales ont vu leurs "craintes entendues". "Le cabinet a proposé que le vote sur la réingénierie soit reporté au maximum en juin 2026 pour une mise en œuvre en septembre 2027 à condition que nous nous engagions à un travail de coconstruction", rapportent les dix organisations – dont l’Anas, le Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), le Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP FSU), la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants et France ESF – dans un communiqué du 26 juin 2025.
Rebondissement le lendemain, à l’issue d’une réunion de concertation du HCTS, les organisations professionnelles apprennent que le calendrier initial de la réforme est finalement maintenu. "La confiance est rompue : les engagements ne sont pas tenus, les décisions semblent prises sans cadre stable ni transparence", en concluent les associations et syndicats.
Les employeurs appellent à "maintenir le cap d’une réforme structurante"
Interrogé par Localtis, le ministère des Solidarités n’avait le 30 juin pas confirmé si la réforme serait, ou non, présentée ce 2 juillet en CPC en vue d’être adoptée. Les organisations employeurs ont plaidé de leur côté pour "maintenir le cap d’une réforme structurante", dans un communiqué commun de la Fehap, Nexem et l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes) diffusé le 26 juin. "Loin d’être un simple ajustement technique, cette réforme structurelle vise à adapter les formations aux mutations profondes du champ social", mettent-elles en avant. La réforme actuelle permet d’adapter les formations aux "situations de plus en plus complexes" auxquelles les professionnels sont confrontés ("précarisation des parcours de vie, isolement, santé mentale, violences, migrations"), de développer les "compétences opérationnelles et transversales" ("travail en réseau, coordination, intervention collective, numérique, innovation sociale") et d’offrir de nouvelles perspectives de "mobilités professionnelles" et "d’évolution, tant au sein du secteur social qu’avec les champs connexes (santé, éducation, justice, politique de la ville)", soulignent les organisations employeurs.
Dans un communiqué du 23 mai 2025, l’Union nationale des acteurs de la formation et de la recherche en intervention sociale (Unaforis), qui réunit la majorité des centres de formation en travail social, avait considéré ce projet de réforme comme "d’intérêt supérieur". Cette étape s’inscrit "dans la continuité des travaux menés par le Haut Conseil du travail social, notamment à travers les propositions formulées dans le livre blanc du travail social", avait-elle rappelé.
Attractivité des métiers : d’abord une question de salaires et de conditions de travail ?
L’Unaforis juge notamment que la réforme apporte davantage de "lisibilité des formations" et "un cadre plus cohérent entre spécialisation et compétences communes". Pour la Fehap, Nexem et l’Udes, "cette réforme contribue activement à l'attractivité et à la fidélisation des professionnels dans un secteur en tension".
C’est le principal point de débat entre les partisans et les opposants à la réforme actuelle. Pour Jacqueline Grebert, la corrélation entre formation et attractivité du métier n’existe pas. "Nous avons du mal à avoir des promotions complètes parce que ces métiers attirent moins aujourd’hui, mais les étudiants sortent de nos formations pour travailler dans le secteur. S’ils arrêtent sept ans après, ce n’est plus la faute de la formation", tranche-t-elle.
L’Anas considère donc qu’il n’y a aucune urgence dans la réforme actuelle, même si elle se déclare favorable à une adaptation du référentiel en lien avec l’évolution des besoins sociaux, sur la base d’un bilan de la précédente réforme et d’un dialogue approfondi. "L’urgence, ce sont les conditions de travail, la reconnaissance des travailleurs sociaux", indique l’association. "Ce sont les salaires et les conditions de travail qui peuvent rendre nos métiers plus attractifs, pas une nouvelle réforme dont les étudiants potentiels ne mesurent pas l'intérêt si ce n'est de se retrouver regroupés dans de grands amphis comme à la fac", estime également Didier Dubasque, qui analyse dans son dernier article de blog "l’épuisement des travailleurs sociaux".
Cet épuisement explique en partie la forte demande de considération des organisations professionnelles, qui interpellent la ministre : un report de la réforme est, selon elles, encore "politiquement et techniquement possible" et "permettrait une reprise des travaux dans un cadre démocratique, respectueux de l'expertise du terrain".