Habitat - Réforme territoriale et habitat : ce n'est pas la Révolution !
Que va changer la réforme territoriale en matière de politique du logement ? "Euh... on ne sait pas bien encore, mais peut-être pas grand-chose!" Ainsi pourrait-on résumer – certes un peu brutalement – une étude de 150 pages qui vient d'être réalisée par le Groupement de recherches sur l'administration locale en Europe (Grale, Paris I) à la demande de l'Union sociale pour l'habitat (USH) et de la Caisse des Dépôts. Ce résultat est pour le moins paradoxal : on se souvient des craintes qui s'étaient exprimées lors des débats préalables à l'adoption de la loi du 16 décembre 2010. Ne disait-on pas alors que la fin des financements croisés et la suppression de la clause générale de compétence allaient empêcher la construction de logements sociaux dans l'avenir ? Sur ce point, les chercheurs sont catégoriques : cette crainte est juridiquement infondée. Mais l'étude met en lumière d'autres évolutions apportées par ces réformes dont les effets pourraient être plus sensibles.
De l'humour pour commencer
L'étude s'ouvre sur 50 pages toniques présentant la loi du 16 décembre 2010. Bien sûr, les lecteurs allergiques au droit n'apprécieront peut-être pas. Mais pour notre lectorat sensible à l'humour juriste, il ne faut pas manquer l'explication de texte de la nouvelle répartition des compétences (p.26 à 31). L'auteur y démontre l'absurdité d'une approche par "bloc de compétences" ainsi que les ambiguïtés de la jolie formule "d'intérêt départemental" qui justifiera l'intervention d'un département hors de ces compétences une fois la réforme en place.
L'étude souligne également que personne n'a jamais réussi à mettre en oeuvre la règle de l'exclusivité de compétence. Elle démontre l'impossibilité pratique de réaliser cette exclusivité. Ainsi, dans la mesure où le département attribue le RSA, doit-on comprendre qu'une fois la loi du 16 décembre 2010 mise en oeuvre, un centre communal d'action sociale ne pourrait plus créer une aide à l'insertion de ses bénéficiaires ? Quant aux compétences partagées (tourisme, culture et sport), elles n'ont peut-être de "partagées" que le nom. On trouve en effet sur ces domaines des compétences "exclusives" : ainsi seules les communes et leurs groupements peuvent créer un office de tourisme. De quoi y perdre son latin.
Enfin, l'auteur relève perfidement que seules les compétences attribuées aux collectivités sont réputées exclusives... Au contraire, "l'intervention à titre complémentaire dans des domaines relevant de la compétence de l'Etat n'est pas exclue, on peut même dire qu'elle est attendue et souhaitée". Par exemple sur les contrats Etat-région.
Rien ne change, sauf pour les métropoles
Après cette présentation générale de la loi, le rapport se concentre sur les effets directs sur les politiques locales de l'habitat. Juridiquement, l'Etat est aux commandes en matière de logement : les objectifs de cette politique sont fixés au niveau national. Mais tous les niveaux de collectivités sont impliqués à des degrés divers. La loi, en renforçant globalement le niveau intercommunal, devrait avoir quelques effets sur le champ du logement. Cependant, ces effets seraient marginaux selon les chercheurs. Ainsi, pour la délégation des aides à la pierre, la réforme territoriale ne change rien : éventuellement pourrait se développer une plus forte concurrence entre délégataires (EPCI-département) mais rien de très net. De même pour les programmes locaux de l'habitat (PLH) qui devraient continuer leur petit bonhomme de chemin. Ils n'ont aucune raison d'être touchés par les nouveaux schémas d'organisation des compétences région-département.
Par ailleurs, la loi du 16 décembre 2010 ne modifie pas les règles de gouvernance des EPCI. L'échelon intercommunal devra toujours rechercher le consensus avec ses communes membres, par exemple sur l'implantation de nouveaux logements sociaux. Statu quo également sur les conditions de transferts des nouvelles compétences des communes aux EPCI et sur la définition de l'intérêt communautaire. Seule exception : la création des métropoles. Dans ces nouvelles structures, c'est la totalité de la compétence habitat des communes qui devra faire l'objet d'un transfert, sans qu'il y ait besoin de distinguer entre ce qui relève de l'intérêt communal et ce qui relève de l'intérêt communautaire.
Si vous voulez donner de l'argent à l'Etat, il veut (toujours) bien
Concernant le financement des logements sociaux, le rapport insiste : il n'y aura pas d'obstacle juridique à la mise en place de financements croisés. "La réforme ne remet pas en cause la capacité de financement de la politique du logement par les collectivités territoriales qui est d'ordre général et s'exerce donc indépendamment des compétences qui leur sont attribuées." De plus, comme le principe d'exclusivité des compétences ne s'applique qu'aux collectivités, aucune loi n'empêche une collectivité d'aider l'Etat à mettre en oeuvre ses politiques. Or, précisément, le logement est une politique d'Etat. Cependant, si les obstacles juridiques sont inexistants, les obstacles financiers pourraient être bien réels : "C'est plutôt la raréfaction des moyens financiers des collectivités locales qui pourrait les conduire à se concentrer sur leurs compétences propres."
Enfin, le rapport se clôt sur une partie concernant l'impact de la réforme territoriale sur la recomposition du tissu des organismes HLM. Si l'on parle toujours du "renforcement de l'intercommunalité", les offices comme les entreprises sociales pour l'habitat restent rattachées d'abord aux communes. Pas de changement – excepté peut-être des transferts de droit de réservation - avec la loi du 16 décembre. Sauf pour les métropoles : la constitution de métropole semblerait impliquer le transfert de plein droit des organismes HLM communaux (p.124). A cette exception près, la loi du 16 décembre ne changerait rien d'important, et notamment ne donnerait pas davantage de pouvoir aux communes pour contrôler les recompositions de patrimoine qui se font actuellement au sein des entreprises sociales pour l'habitat.
Conclusion ? Il y a toutes les raisons de penser "qu'il y aura une suite", que "rien n'est définitivement figé" estiment les chercheurs. La mise en oeuvre de la loi (2014 ou 2015) est une échéance lointaine, et le président de la République élu en 2012 pourrait "être tenté", quelle que soit sa couleur politique de "revenir notamment sur la répartition des compétences et la suppression de la clause générale de compétence". Bref, rien n'est encore vraiment joué... et ce qui est joué ne ressemble vraiment pas à une Révolution.