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Relocalisation industrielle : derrière le marketing politique, quels enjeux ?

Hausse des coûts du transport et des salaires dans les pays d'accueil, attentes des consommateurs pour le "Made in France", progrès technique et robotisation : plusieurs facteurs pourraient amener des entreprises à faire le choix d'une relocalisation. Si le phénomène reste timide, on constate un ralentissement des délocalisations...

Si les emplois industriels commencent à repartir à la hausse en France, après des années de diminution, le mouvement de "relocalisation" des activités est encore très timide. Des experts réunis sur ce sujet le 22 mars 2018 dans le cadre du Printemps de l'économie à Paris ont toutefois donné une vision encourageante. 5% des entreprises françaises ont délocalisé leurs activités et, au total, depuis 2005, seulement 200 opérations de relocalisations ont été engagées. Mais si le chiffre est faible, El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie de l'université de Paris Dauphine, signale un ralentissement du processus de délocalisation. C'est donc pour lui une "relocalisation au sens large du terme" : peu de relocalisations, mais aussi moins de délocalisations…
Une chose est sûre, ce ne sont pas les aides publiques qui sont à l'origine de cette dynamique ou très peu : seules douze opérations sur les 200 répertoriées depuis 2005, soit 6% seulement, ont utilisé des aides publiques directes pour relocaliser leurs activités. On se souvient que l'ancien ministre du Redressement productif en avait fait sa marque de fabrique, un logiciel Colbert 2.0 avait même été créé pour tester son "potentiel de relocalisation" et encourager ce retour au bercail... Il est aujourd'hui en jachère !
Davantage que les aides publiques, ce sont donc les modes de production et des processus de fabrication qui sont en jeu. "Les relocalisations vont se développer dans l'industrie, notamment dans les secteurs qui n'ont pas d'obstacles techniques à la robotisation des chaînes de production", estime El Mouhoub Mouhoud.

"La première logique : le progrès technique"

"La première logique de la relocalisation, c'est le progrès technique", détaille-t-il. Avec l'automatisation de la production, la part des coûts salariaux dans les coûts totaux est réduite, ce qui incite les entreprises à relocaliser leur production. L'entreprise KusmiTea est dans ce cas de figure. Elle avait ainsi délocalisé sa production de sachets de thé au Maroc où la main-d'œuvre est moins cher. Entretemps, les Japonais ont inventé une machine qui permet de fabriquer des sachets de bonne qualité. Le PDG de KusmiTea a décidé de s'équiper de ces nouvelles machines, de les installer en France, relocalisant ainsi sa production. "Aujourd'hui, on produit la moitié de nos sachets en France. Dès cet été, ce sera la totalité car les Japonais ont créé une machine avec une meilleure productivité encore", explique Sylvain Orébi, PDG d'Orientis-Gourmet, qui possède la marque KusmiTea.

Hausse du prix du transport, des salaires : des facteurs de relocalisation

La hausse des coûts du transport, tout comme la hausse des salaires des employés dans les pays d'accueil, favorisent aussi la relocalisation. Deux facteurs qui ont aussi poussé KusmiTea à relocaliser la production des boîtes de métal, initialement fabriquées en Chine. "Les salaires chinois ont augmenté, le fret a augmenté. Cela me revenait moins cher de produire au Havre, d'autant plus que l'industriel a automatisé son travail", explique Sylvain Orébi. Mais ce qui a surtout eu un impact positif, c'est l'effet volume : produire en grande quantité revient moins cher à l'unité. Aujourd'hui, KusmiTea produit deux millions de boîtes. Elle n'en produisait que 250.000 en 2006.
D'autres facteurs peuvent encore jouer sur la volonté des entreprises industrielles de relocaliser une partie de leur production, comme l'instabilité politique dans certains pays, notamment au Proche et Moyen-Orient, mais aussi au Maghreb. Il y a en outre un facteur social non négligeable : le "Made In France". Les millenials, c'est-à-dire les personnes âgées entre 18 et 34 ans, veulent consommer mieux, consommer plus propre et avoir accès à des produits éthiques. Ils achètent plus un concept que le produit en lui-même. "La production en France répond aux demandes du consommateur, toutes les entreprises vont devoir y répondre", explique Sylvain Orébi.
Même si l'industrie pourrait être amenée dans les années à venir à relocaliser davantage d'activités, l'impact sur l'emploi est à relativiser. "Pour dix emplois détruits dans la délocalisation, on crée un emploi avec la relocalisation", rappelle El Mouhoub Mouhoud.

 

Trois questions à...
Bruno Léger, directeur de l'institut Fayol de Mines Saint-Etienne

Début mars, Trendeo faisait état d'une croissance du nombre d'emplois industriels en France, dont le solde est positif depuis deux ans (2016 et 2017). Pour Bruno Léger, directeur de l'institut Fayol de Mines Saint-Etienne, il y a de véritables opportunités pour développer les entreprises et même relocaliser des activités industrielles, si les entreprises acceptent d'utiliser les nouveaux outils numériques actuellement disponibles.


Localtis : Les outils numériques sont-ils le nouvel avenir de l'industrie ?

Bruno Léger : Aujourd'hui toutes les entreprises ont le même problème : garder leurs clients et tenter d'en conquérir de nouveaux. Les outils numériques permettent de remettre le client au cœur de l'entreprise elle-même. Par exemple, les cuisines Schmidt proposent au client de commander sa cuisine aux dimensions exactes de sa maison ou de son appartement. Le client mesure son domicile, consulte les nuanciers pour les matières et les couleurs et transmet ces informations à la marque, qui fabrique la cuisine personnalisée au prix d'une cuisine standard. Pour l'entreprise, il s'agit d'un investissement, mais pas seulement. Cela relève de sa stratégie de développement. Dans le cas des cuisines Schmidt, l'entreprise a, dans un premier temps, supprimé des emplois. Mais grâce à cette offre, sa part de marché a augmenté en France et à l'étranger, et ils sont maintenant plus nombreux qu'avant !

Ces nouveaux outils permettront-ils de changer la donne en matière d'industrie et de relocaliser des activités ?
Il y a un réel potentiel de développement et ce qui est sûr, c'est que si nous ne nous lançons pas, nous n'irons pas bien loin dans les années à venir. Ces développements vont dans le sens d'un rapprochement entre le client et la fabrication des produits et, dans ce cadre, il peut y avoir des relocalisations. Mais ce mécanisme est possible si l'entreprise réfléchit bien à son mode de production : quels sont les process où elle va mettre en place des robots et ceux où elle garde des hommes. Il faut en effet que le pourcentage du coût humain soit négligeable par rapport au reste. Au final, le ticket d'entrée n'est pas très cher, contrairement à ce que croient les entrepreneurs : des actions basiques peuvent être mises en place qui peuvent très vite permettre d'avancer. Pour ma part, je pense que le virage va se faire car aujourd'hui les outils numériques sont matures. Il faut que nous regagnions des emplois industriels et ces outils et process nous le permettront. La France a de réelles capacités de relocalisation et de développement.

Les collectivités territoriales sont-elles à la hauteur des enjeux pour aider les entreprises dans ce domaine ?
Les collectivités sont à leur place mais ce n'est pas totalement bien appréhendé. Elles n'ont pas forcément les réflexes qu'exigent ces nouveaux outils de production. Il faudrait qu'elles puissent davantage s'appuyer sur des personnes plus jeunes, autour de 40 ans, qui ont l'expérience et la connaissance de ces nouveaux outils. Mais ce ne sont pas les personnes qui sont dans les cercles de décision… Malgré leur bonne volonté, les plus anciens ont du mal à s'adapter ou à anticiper ces changements.

Propos recueillis par Emilie Zapalski

 

 

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