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Environnement - Ressources en eau : les Français inquiets

Le Commissariat général au développement durable (CGDD) vient de publier les résultats d'une enquête approfondie menée avec l'Ifop* sur la perception qu'ont les Français de l'état qualitatif et quantitatif des ressources en eau et sur leurs habitudes de consommation d'eau. A travers cette étude d'opinion, le CGDD a cherché à savoir pourquoi la consommation d'eau en bouteille avait triplé ces trente dernières années alors que dans le même temps la qualité des milieux aquatiques en métropole s'était globalement améliorée. Autre interrogation : face au risque de diminution de la quantité d'eau disponible dû à la hausse de la demande et au changement climatique, les Français sont-ils prêts à accepter des changements dans leurs modes de consommation, notamment la réutilisation des eaux usées ou des eaux de pluies ?

Qualité de l'eau : la crainte des pollutions industrielles et agricoles

Les résultats de l'enquête montrent d'abord que deux tiers des Français considèrent que la qualité des ressources en eau est bonne, en dépit de quelques divergences régionales. Les habitants de la moitié nord du pays ont ainsi une appréciation plus négative que ceux du Sud. Ces différences "se recoupent avec les disparités de concentration de l'eau de certains polluants (nitrates et pesticides) au niveau régional", note le CGDD. La moitié des personnes interrogées considèrent toutefois que les ressources en eau se sont dégradées ces dix dernières années et qu'elles vont continuer à se détériorer dans les dix années à venir, même si "cette perception va à l'encontre de nombreuses observations de terrain", souligne le CGDD. Les secteurs agricole et industriel sont pointés du doigt comme principaux responsables de la pollution générale des ressources en eau. L'agriculture en particulier est jugée responsable n°1 de la pollution par les nitrates et les pesticides.

Une majorité de Français conscients de la baisse des ressources à venir

Les trois quarts des personnes interrogées considèrent que la quantité d'eau disponible en France est suffisante pour satisfaire les besoins des ménages et des secteurs agricole, industriel et énergétique mais là encore, des divergences régionales apparaissent qui "ne correspondent pas aux déficits hydriques constatés par le passé", note le CGDD. Ce sont encore les personnes interrogées originaires du nord de la France qui ont une vision plutôt pessimiste de la disponibilité des ressources en eau alors qu'elles résident dans une région où la pression quantitative sur les ressources en eau est faible. Par contre, les habitants des principales zones de déficit hydrique (sud-ouest, bassin parisien) n'ont pas de vision plus pessimiste que le reste des Français sur la disponibilité des ressources en eau. L'industrie et l'agriculture sont chacune désignées par un quart des personnes interrogées comme étant le secteur utilisant le plus d'eau. Un autre quart estime que les quatre usages de l'eau (agricole, industriel, énergétique et domestique) sont à égalité en termes de quantités utilisées. Deux tiers des Français considèrent que la quantité des ressources en eau disponibles a diminué ces 10 dernières années et que cette tendance va se poursuivre à l'avenir. Pour le CGDD, "cette appréhension va à l'encontre de ce qui a été observé lors des 10 dernières années mais est en adéquation avec les projections futures". La majorité des personnes interrogées associent la diminution à venir de la quantité d'eau disponible à la hausse de la demande. "Ce résultat correspond aux projections de l'offre et de la demande en eau à l'horizon 2070", commente encore le CGDD.

Méfiance vis-à-vis de l'eau du robinet

Concernant la consommation d'eau, la France compte autant de buveurs d'eau du robinet non filtrée que de buveurs d'eau en bouteille (40% dans chaque cas) et "les modes de consommation d'eau pour l'usage boisson sont influencés par l'âge des individus et par la perception qu'ont ces derniers de la qualité des milieux aquatiques qui les entourent", souligne le CGDD. Le mauvais goût et la dureté restent les principaux freins à la consommation d'eau du robinet mais une part non négligeable n'en consomme pas par crainte d'une pollution. Dans la majorité des cas, les personnes rétives à la consommation d'eau du robinet redoutent une contamination par les résidus de produits utilisés dans l'agriculture (nitrates et pesticides). Même si 60% des Français déclarent ne pas boire directement l'eau du robinet, celle-ci est toutefois considérée comme globalement bonne par l'ensemble de la population, les régions du Sud ayant une opinion plus positive de la qualité de l'eau du robinet que celle du Nord. Celle-ci est considérée comme plutôt chère mais "cette appréciation doit être nuancée par le fait que seulement 20% des Français estime correctement le prix de l'eau", insiste le CGDD. Une part très restreinte des personnes interrogées connaît les différences existant entre les trois types d'eau en bouteille (eau de table, eau de source et eau minérale) ou encore l'efficacité réelle des systèmes de filtration domestique. L'enquête montre aussi que les habitudes de consommation semblent figées : à titre d'exemple, une grande majorité de consommateurs d'eau en bouteille affirme qu'elle continuera à la faire en cas de baisse significative de revenu.

Une large majorité de Français favorables à la réutilisation des eaux de pluie

Sur les aspects quantitatifs des consommations d'eau, on peut noter qu'un tiers des Français ne connaissent pas le circuit de l'eau domestique et pensent qu'après traitement, les eaux usées sont directement redistribuées au robinet alors qu'en réalité, elles sont rejetées dans le milieu naturel. L'acceptabilité de la réutilisation des eaux usées dépend fortement de l'usage considéré, souligne l'enquête. 45% des Français accepteraient que les eaux usées soient redistribuées directement au robinet pour qu'elles redeviennent potables afin de participer aux efforts de préservation de la ressource en eau. En toute logique, cette proportion est plus importante chez les personnes qui pensent que la quantité d'eau disponible en France n'est pas suffisante. Une large majorité des Français (68%) accepteraient de consommer des fruits et légumes arrosés avec des eaux usées traitées. Le CGDD souligne au passage que l'on consomme déjà sans nécessairement le savoir des fruits et légumes importés de pays comme l'Espagne où la réutilisation des eaux usées pour l'irrigation est fréquente.
Concernant les eaux de pluie, une part beaucoup plus importante des personnes interrogées (9 sur 10) est favorable à leur réutilisation. Trois quarts des Français déclarent préférer diminuer leur niveau actuel de consommation d'eau plutôt que le conserver moyennant une augmentation de prix. Ce sont les personnes au niveau de vie le plus élevé qui accepteraient le plus facilement une hausse du prix de l'eau. "Le consentement à payer (CAP) moyen des Français pour conserver leur niveau actuel en cas de baisse de la quantité d'eau disponible s'élève à 14,5 euros par personne et par an ce qui correspond à 0,26 euro/m3 (8% du prix de l'eau)", indique le CGDD. Selon lui, la faiblesse du CAP provient probablement du fait que les sondés ont eu du mal à se projeter dans une véritable situation de raréfaction des ressources, une majorité d'entre eux pensait que la quantité d'eau disponible en France est suffisante et le sera également à l'avenir.
En conclusion de l'enquête, le CGDD estime que plusieurs démarches devront être entreprises pour faire face aux futurs défis de la gestion de l'eau. "Un changement durable des consommations d'eau des Français ne pourra se faire que par l'association d'instruments de communication et économiques", souligne-t-il. Outre la mise en place d'une plus grande information du public concernant l'état général des ressources en eau, comme cela est d'ailleurs demandé dans la directive-cadre sur l'eau, "le prix de l'eau devrait, à travers toutes ses composantes (rémunération du service d'eau et du service d'assainissement, taxes et redevances) refléter au mieux les pressions s'exerçant sur la ressource à un instant donné", estime-t-il.


Anne Lenormand


*Enquête réalisée en ligne du 8 avril au 1er mai 2013 auprès d'un échantillon de 4.000 individus représentatif de la population de la France métropolitaine âgée de 18 ans et plus selon la méthode des quotas.