Santé des sols : un sujet qui monte, qui monte au sein des politiques publiques 

Très prolifique sur la problématique de l’artificialisation, le Sénat a tenu ce 13 décembre, au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, une table ronde consacrée à la santé des sols. Disposer de référentiels territoriaux pour évaluer l’état écologique des sols et leur multifonctionnalité constitue un enjeu essentiel pour améliorer le suivi de l’artificialisation, lutter contre le changement climatique et préserver la biodiversité.

"La santé des sols et les évolutions normatives relatives à l’occupation et aux usages des sols", tel était l’intitulé d’une table ronde organisée, ce 13 décembre, au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. "Un sujet qui me tient bien à cœur mais qui occupe encore une place trop réduite dans les débats parlementaires et nos politiques publiques", a d’emblée constaté son président, Jean-François Longeot. "Si les enjeux de la pollution atmosphérique et aquatique sont relativement bien identifiés ainsi que leurs effets sur la santé humaine et les manières d’agir pour réduire les pressions issues des activités humaines, on ne peut pas en dire autant des sols", remarque-t-il.

Les lignes sont toutefois en train de bouger. Partant du constat que 60% à 70% des sols européens ne sont pas en bonne santé, la Commission européenne a présenté lors de la publication de la stratégie de l’Union européenne pour la protection des sols à l'horizon 2030, un projet de directive sur "la surveillance et la résilience des sols". Il s'agit de répondre à la pression croissante qui s'exerce sur les sols et de prévenir leur dégradation. Cette situation qui concerne tous les États membres a des conséquences sur les services rendus par les écosystèmes, et donc sur les défis environnementaux et climatiques à relever. 

Les sols concentrent 59% de la biodiversité 

Le sol héberge 59% de la biodiversité de notre planète et à ce titre rend de nombreux services écosytémiques en tant que support de la production agricole (95% des nos aliments), pour le stockage du carbone ou encore la régulation de la qualité et des flux d’eau.

L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) s’est beaucoup investi depuis une quinzaine années pour fournir des preuves environnementales de l’intérêt de cette biodiversité. "Nous avons démontré qu’une baisse de 30% de la diversité microbienne (bactéries et champignons) au niveau d’un sol entraîne une baisse de 40% de la minéralisation de la matière organique [c’est-à-dire la capacité d’un sol à transformer la matière organique en  minéraux assimilables par les plantes], ce qui entraîne généralement une baisse de 50% de la productivité végétale et une baisse de 15% de la capacité de récupération des plantes après une sécheresse", explique Lionel Ranjard, directeur de recherche écologie du sol-agroécologie. Autre conséquence : "on perd 50% de la capacité structurale du sol, c’est-à-dire sa capacité à résister à l’érosion, à résister au tassement, sa capacité à faire un réservoir utile pour l’eau et notamment pour les plantes".

La France est parmi les leaders européens sur les études concernant la microbiologie des sols à grande échelle et sur le développement d’indicateurs de qualité microbiologique des sols. C’est l'un des seuls pays a avoir des inventaires cartographiques nationaux notamment de la quantité de micro-organismes. Et les territoires commencent aussi à rentrer dans cette dynamique de caractérisation de leurs sols. L’élaboration de référentiels territoriaux de la qualité des sols permet ainsi "une évaluation beaucoup plus fine de l’usage des sols urbains et agricoles", relève Lionel Ranjard.

"ProDij" un projet pilote porté par Dijon Métropole

Sur ce territoire de plus de 3.000 km2, 600 sites vont être expertisés pour créer un référentiel de la valeur biologique des sols. L’objectif de cet inventaire fin de la qualité des sols sur le territoire de Dijon Métropole dans le cadre du projet Territoire d’Innovation Alimentation durable 2030 (dit "ProDij") est de mieux comprendre l’impact des modes d’usage des sols sur leur qualité pour en déduire la durabilité des pratiques de production agricole et d’aménagement urbain. Ce projet pilote table à la fois sur la labellisation alimentaire et l’établissement d’un cahier des charges pour éclairer les collectivités dans l’usage des sols, et notamment dans les politiques d’urbanisme, en rentrant ces notions de santé des sols au niveau des ScoT et des PLU. 

Donner du sens au ZAN 

Chloé Girardot-Moitié, vice-présidente du conseil départemental de Loire-Atlantique en charge des milieux naturels et de l’action foncière, en est également convaincue : "agir pour le climat et la biodiversité passe par la protection des sols". Le département de Loire-Atlantique fait d’ailleurs partie des lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) de l’Ademe pour porter une dynamique territoriale autour de l’objectif ZAN. "Toutes les fonctionnalités des sols sont finalement assez peu connues même si l’on voit que la loi ZAN [loi Climat et Résilience] a mis un éclairage très fort mais plus avec une approche de stock, à savoir quelles sont mes réserves de foncier?", relève-t-elle. Autrement dit, le manque de connaissance des élus est "flagrant" sur la question de la santé des sols, souligne-t-elle, au point de confondre par exemple "l’imperméabilisation et l’artificialisation". Conséquence : la problématique de richesse du sol et de séquestration carbone est "beaucoup moins prise en compte et maîtrisée dans les politiques publiques". Chloé Girardot-Moitié fait remonter "un besoin de prioriser là ou l’effort aura le plus de vertus", c’est-à-dire "de faire des arbitrages pour regagner de la fonctionnalité écologique". Contrats "cœur de bourg", périmètres de protection d'espaces agricoles et naturels (PÉAN), obligations réelles environnementales (ORE) font entre autres partie, selon elle, des outils intéressants à disposition des collectivités pour répondre à ces enjeux.

Pour François Descoeur, maire d'Anglards-de-Salers, administrateur de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), on a pris le problème à l’envers. "Il aurait fallu connaître un peu plus ce sujet de la santé des sols avant de travailler le ZAN", estime l’édile, qui insiste lui aussi sur le "besoin de formation" des acteurs de l’aménagement. "Il serait important puisque les ScoT vont gérer la mise en place du ZAN que ce volet des sols soit abordé de manière très forte", ajoute-t-il. 

Fournir un cadre juridique 

C’est le sens de la proposition de loi visant "à préserver des sols vivants" déposée au Sénat en octobre denier par Nicole Bonnefoy (Charente-SER). Il y est notamment envisagé de consacrer la qualité des sols comme patrimoine commun de la nation, au même titre que l'eau et l’air. Le sol est en effet "l’arlésienne du droit", comme l’explique le professeur de droit public, Philippe Billet, directeur de l'Institut de droit de l'environnement de Lyon. A quelques exceptions près (la protection d’espaces particuliers), le code de l’environnement ne reconnaît pas le sol au titre des milieux physiques comme il le fait pour l’eau et l’air et ne règle que le sort du sol "malade" (réhabilitation des sols pollués) au titre notamment de la responsabilité environnementale et d’une batterie de polices spéciales. 

Il reste d’après le juriste à mener un chantier pour "promouvoir les services systémiques des sols par leur identification effective, par un rattachement particulier - soit la propriété, soit comme patrimoine commun - et jouer comme avec le projet ProDij à Dijon avec des indicateurs, des référentiels qui permettraient de dire que tels types de sols ne peuvent être affectés qu’à tels types d’usages et pas tels autres".

Pour Philippe Billet, on gagnerait également à améliorer le ZAN dans sa fonctionnalité sur la question de la réhabilitation des sols en s’inspirant de la loi Biodiversité de 2016, notamment à propos de la compensation écologique. Ou encore s’agissant de "l’additionnalité écologique pour ne pas faire simplement 'un net' mais 'un net plus' en termes de désartificialisation ou de remise en bon état de fonctionnalité des sols". Il ne faut pas éluder le problème du retour effectif à la fonctionnalité, car si l'artificialisation est "immédiate", la désartificialisation, c’est-à-dire la restauration des fonctions écologiques, "peut prendre plusieurs années voire décennies".