Se loger en Europe, un besoin de plus en plus complexe à satisfaire
Une augmentation constante et régulière des loyers, un taux d’effort excessif pour accéder au logement qui touche plus d’un quart des ménages les plus pauvres… Comme en France, à l’échelle européenne, les manifestations de la crise du logement se multiplient. C’est ce que chiffre le 10e regard sur le mal-logement en Europe, rendu public ce 9 octobre par la Fondation pour le logement des défavorisés et la Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abris (Feantsa). Le futur plan européen pour le logement abordable leur pose question et l'objectif affiché par l'UE sur le sans-abrisme leur paraît peu réaliste.

© FEANTSA - FONDATION POUR LE LOGEMENT et Adobe stock
Louer un logement en Europe coûte 14% plus cher en 2024 qu’en 2018. En acheter un revient, pire encore, à payer 39% de plus, sur la même période. Les coûts de l’énergie ont eux aussi bondi en 2022-2023 et même si depuis ils se stabilisent, ils restent plus hauts qu’en 2018. Les revenus des ménages, eux, ne suivent pas la même courbe ascendante. Résultat : se loger devient, pour certains ménages européens, purement et simplement inabordable.
C’est en tout cas l’analyse de la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-fondation Abbé-Pierre) et de la Feantsa, ONG européenne de lutte contre le sans-abrisme. Dans leur dernier baromètre du mal-logement en Europe, rendu public ce 9 octobre, les deux associations proposent un focus sur cet enjeu du logement abordable.
Leur premier constat ? La part croissante des revenus qu’il faut consacrer au fait de se loger pénalise inégalement les diverses classes sociales. Les 20% des ménages les plus pauvres sont plus d’un quart (28%) à vivre en concédant un effort excessif pour se loger, soit plus de 40 % de leurs revenus, a fixé Eurostat. À l’opposé du spectre, les 20% des ménages les plus riches sont 7,5 % à fournir ce même taux d’effort excessif.
De même, si de façon générale, la part des logements de qualité augmente en Europe, reste que près de 29% des ménages les plus pauvres vivent dans un logement surpeuplé (12 points de plus que la population européenne dans son ensemble). Et 23,5% des ménages dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté occupent un logement insalubre, contre 15,5% des Européens dans leur ensemble.
Logement abordable, sans-abrisme : qu'attendre de l'UE ?
En dépit de ces chiffres, les deux ONG se montrent sinon optimistes, en tout cas combatives. Heureuses de constater qu’une prise de conscience se dessine, au niveau des instances européennes, quant au caractère systémique de la crise du logement. La nomination d’un haut-commissaire européen dédié à ce sujet en la personne de Dan Jørgensen en témoigne à leurs yeux. De même que le plan européen pour le logement abordable qui s’annonce, peut-être d’ici la fin de l’année.
Le terme de "logement abordable" leur pose toutefois question. Cette notion "peut parfois tout dire et rien dire car elle est très consensuelle et très vague", a estimé Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement. Financer des logements dédiés aux classes moyennes ne risque-t-il pas de signifier un moindre soutien au logement des ménages à bas revenus ? "Le plan européen doit protéger et soutenir le logement social, qui est sous pression dans certains pays", a défendu Ruth Owen, directrice adjointe de la Fédération européenne, qui craint de voir le logement social "dilué". Autre inquiétude, l'appel "aux investisseurs privés", via une "plateforme de financement", qui risquent de vouloir "une rentabilité financière suffisante" au détriment des locataires, a pointé Sarah Coupechoux, responsable de la mission Europe à la Fondation pour le logement.
Autre perspective : l'élaboration par l'UE de sa première stratégie de lutte contre la pauvreté. Les fédérations voudraient y voir des mesures fortes permettant de tenir l’engagement européen d’en finir avec le sans-abrisme d’ici 2030. Un objectif "idéal" qui leur semble, pour l’heure, "difficilement atteignable, peut-être pas réaliste", tel que l'a exprimé Margaux Charbonnier, chargée de projet à la Feantsa. Car les tendances sont "inquiétantes" quant au nombre de sans-abri, qui progresse dans différents pays européens, notamment en Finlande, au Danemark et en Irlande, constatent les auteurs du rapport, dénombrant près de 1,3 million de personnes sans abri dans l'UE. Selon Margaux Charbonnier toutefois, "même si on n'est pas sur la bonne voie, ce n'est pas une raison de raison de renoncer, cela doit inciter à redoubler d'efforts, à construire une feuille de route plus réaliste".