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Finances du bloc local : le tableau n'est peut-être pas si rose

Flambée des prix de l'énergie, prise en charge des centres de vaccination… les dépenses de fonctionnement du secteur public local repartent à la hausse. Or simultanément, certaines ressources, tarifaires notamment, n'ont pas retrouvé leur niveau d'avant crise. Des élus réunis ce 26 janvier par Intercommunalités de France ont témoigné de leurs difficultés à élaborer leur budget. Ils ont aussi pointé les risques liés à la volatilité des recettes de TVA affectées aux groupements de communes depuis l'an dernier.

Dans le cadre d'une matinée d'échanges dédiée au financement de l'investissement public local, organisée en ligne le 26 janvier, Intercommunalités de France (ex-ADCF) a dressé un état des lieux des budgets intercommunaux (voir aussi notre autre article de ce jour, sur le volet CRTE de cette matinée). En apportant des bémols au constat de la bonne santé financière des collectivités locales que le gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale mettent en avant depuis plusieurs mois. Les deux années qui viennent de s'écouler se sont certes terminées sur des bilans meilleurs que prévu. Mais tout est loin d'être rose et les situations locales s'avèrent très hétérogènes, ont insisté les élus.

Pour la communauté d'agglomération Ardenne métropole par exemple, qui rassemble 58 communes - dont Charleville-Mézières - et compte 122.000 habitants, "les facteurs difficiles ont tendance à se cumuler", a déclaré son président (LR) Boris Ravignon. Les conséquences de la pandémie ne sont pas terminées. Les recettes tarifaires du territoire continuent à être inférieures à "la moitié des prévisions de recettes d'avant la crise", alors que dans le même temps, les charges liées au fonctionnement des équipements recevant du public n'ont pas baissé. À ces dépenses s'ajoutent les frais spécifiques liés à la pandémie, comme le fonctionnement des centres de vaccination. Une dépense à laquelle l'agence régionale de santé (ARS) aurait apporté une contribution "très mesurée". "Nous sortons de l'épisode Covid en étant bien touchés, alors que nous avions déjà des fragilités structurelles", analyse Boris Ravignon. Depuis plusieurs années, Ardenne métropole fait face notamment à une déprise démographique se traduisant par une baisse des dotations que l'État accorde au territoire.

Pas d'autre choix que d'augmenter les impôts ?

Au sein de son budget de fonctionnement, la communauté de communes Saint-Pourçain Sioule Limagne (60 communes et 34.000 habitants, dans l'Allier) voit quant à elle ses dépenses progresser plus vite que ses recettes. Certes, l'accélération actuelle des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) apporte une petite bouffée d'oxygène, mais elle sera provisoire, estime sa présidente (LR). Véronique Pouzadoux souligne la nécessité, pour l'attractivité du territoire, que l'intercommunalité continue de financer une école de musique et un cinéma. Les investissements à réaliser pour le renouvellement des réseaux représentent par ailleurs un enjeu de taille. Or, face à de tels enjeux, les prévisions sont alarmantes : le budget de la communauté de communes pourrait connaître un effet de ciseau "dans trois ou quatre ans".

En 2022, de nouvelles difficultés apparaissent, poursuit Boris Ravignon. L'élu pointe "l'augmentation vertigineuse de la taxe générale sur les activités polluantes" (TGAP) – qui renchérit les coûts de gestion des déchets – ainsi que la hausse des prix de l'énergie. S'agissant de l'électricité, la facture d'Ardenne métropole est multipliée cette année par 3,2 par rapport à l'an dernier. Le surcoût équivaut à la totalité de l'excédent brut que la communauté d'agglomération a dégagé en 2021.

Avec de telles contraintes budgétaires, le président d'Ardenne métropole s'interroge sur la capacité à tenir en 2022 l'engagement qui a été pris de ne pas augmenter les impôts sur les ménages. La promesse serait encore plus difficile à tenir si l'intercommunalité devait – du fait de la décision de ses élus et/ou celle du gouvernement – augmenter les salaires de ses agents.

Renforcer "la résilience" des finances locales

Dès la fin de l'année dernière, les dépenses de fonctionnement du "bloc communal" ressortaient en hausse d'environ 3% par rapport à fin 2019, a indiqué le ministre délégué chargé des Comptes publics dans une brève intervention, qui avait été préalablement enregistrée. Mais les recettes de fonctionnement ont augmenté elles aussi en 2021, et ce "de manière très dynamique", a-t-il souligné. La fraction de TVA transférée aux intercommunalités dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale (près de 7 milliards d'euros en 2021) a connu une hausse, qui doit se poursuivre en 2022 (+ 6%). La nouvelle ressource doit procurer aux intercommunalités un supplément de recettes de 400 millions d'euros cette année.

Toutefois, l'évolution de la TVA est liée aux aléas de l'économie nationale, a souligné Thomas Rougier, secrétaire général de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL). Il y aura "des années de retournement" et celles-ci ne peuvent être anticipées, a-t-il prévenu. Pour éviter ces "à-coups", un système de "serpent budgétaire" pourrait être mis en place, a suggéré le député (LREM) Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée. Lors des années favorables, les collectivités mettraient en réserve une partie de leurs recettes supplémentaires. Et celles-ci seraient utilisées lorsque la conjoncture est moins bonne. Confier la responsabilité de ce dispositif aux élus locaux serait "un signe fort de décentralisation", a estimé Thomas Rougier. La situation des collectivités qui connaissent "plus de mauvaises années que de bonnes" années, resterait toutefois "difficile", a critiqué pour sa part Boris Ravignon.

Mais celles dont le panier de recettes "baisse fortement" – par exemple du fait de la fermeture d'une usine – pourraient être aidées via un "fonds d'aide exceptionnel", a suggéré Jean-René Cazeneuve. Cela reviendrait à pérenniser le "filet de sécurité" qui avait été mis en place pour aider les communes et les intercommunalités les plus affectées par la crise en 2020. Et ce serait un outil – parmi d'autres – permettant de favoriser l'investissement public local. Le secrétaire général de l'OFGL l'a en effet rappelé : les collectivités s'engagent dans des projets d'investissement "quand elles sont sereines sur leur santé financière".