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Sortir de la "course aux armements" pour une véritable "collaboration" entre collectivités

La décentralisation et la catégorisation des territoires n'ont pas que des vertus. Lors d'une table ronde organisée le 17 juillet 2019 au Sénat, des universitaires ont plaidé pour la coopération territoriale, pour limiter la concurrence entre les territoires créée par les politiques publiques.

Décentralisation, catégorisation des territoires selon leur taille : lors d'une table ronde organisée par la commission du développement durable du Sénat le 17 juillet 2019 sur les inégalités territoriales, des universitaires se sont largement exprimés sur ces politiques publiques qui empêchent, selon eux, les territoires de se développer correctement.
Premier point critiqué : la décentralisation et les récentes réformes territoriales. Pour Olivier Bouba-Olga, chercheur en sciences sociales et professeur d'économie à l'Université de Poitiers, "ce qui fait beaucoup de mal aux territoires français, c'est cette notion de concurrence territoriale, où Nantes se sent en concurrence avec Bordeaux et Toulouse, où Poitiers se sent en concurrence avec Niort, La Rochelle, Limoges et cela conduit à ce qu'on appelle la course aux armements". C'est-à-dire que les collectivités dépensent "des sommes faramineuses" pour que "telle entreprise s'implante chez elle et pas à côté". Selon l'universitaire, il faut absolument "sortir de cette concurrence territoriale" qui est en partie le produit des réformes territoriales : les responsables des différentes échelles administratives veulent être plus forts que le territoire d'à côté. Outre ces effets négatifs de concurrence, Bernard Pecqueur, économiste, professeur à l'Université de Grenoble, a noté le coût de ces décentralisations. "Il n'y a pas de périmètre administratif pertinent, a-t-il assuré. Et en plus il évolue ; on a besoin de changer périodiquement, et cela coûte cher car on rajoute des niveaux sans supprimer les précédents." Pour Olivier Bouba-Olga, la notion de "territoire pertinent" n'est même plus d'actualité. "Il n'en existe pas, le périmètre pertinent dépend du sujet sur lequel on a à travailler." 

Les catégories de territoires font rater les choses essentielles

Autre problème : la catégorisation des territoires créée par les politiques publiques. Pour Olivier Bouba-OIga, le concept selon lequel l'avenir économique de la France serait dans les très grandes villes et les métropoles ne serait pas exact. "Ce discours-là ne résiste pas à l'épreuve des faits, a-t-il insisté durant son intervention. L'idée selon laquelle la capacité de création de richesses et d'emploi serait plus forte dans les très grandes villes que dans les villes moyennes ou les espaces ruraux est contestable." De très grandes villes vont plutôt bien, comme Toulouse, Nantes, Rennes, Bordeaux, Montpellier, mais d'autres grandes villes, comme Aix-Marseille, Paris, Strasbourg, sont dans la moyenne, et d'autres "sous-performent", comme Nice, Saint-Etienne et Rouen. A l'inverse, certains petits territoires, comme Vitré en Bretagne (toujours cité en exemple), vont très bien. "Ce sont des catégories de territoires qui structurent les représentations et nous font rater les choses essentielles", a affirmé l'universitaire. Des catégorisations qui peuvent aussi favoriser les mouvements sociaux tels que celui des gilets jaunes, car "beaucoup d'acteurs de ces territoires qui vont bien, parce qu'ils ne sont pas métropoles, se désespèrent eux-mêmes", a souligné Olivier Bouba-Olga.

Pour une collaboration territoriale

Au cœur des propositions de ces universitaires : la collaboration territoriale. Dans ce domaine, "cela bouge un peu", a observé Olivier Bouba-Olga. "La métropole Bordeaux a ainsi mis en place un service de coopération territoriale et commence à discuter avec Marmande, Libourne, Angoulême pour dire il faut travailler ensemble." Pour l'universitaire, il faudrait un système d'incitation à la coopération pour que "Metz par exemple ait envie de collaborer avec d'autres territoires", car à l'heure actuelle, quand cela se fait, cela repose souvent sur la volonté d'un élu.
Les universitaires ont aussi interrogé l'efficacité des grands plans, type Scot (schéma de cohérence territoriale), Sraddet (schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire) ou SRDEII (schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation) qui se résument trop souvent à un exercice de style. "Parfois sur trop de territoires, on rédige un Scot. Il y a plein d'éléments d'informations intéressants dessus et après on met ça dans un placard", a insisté Olivier Bouba-Olga forçant volontairement le trait. Plutôt que ces schémas, l'économiste plaide pour une approche plus pragmatique, partant des problématiques rencontrées sur les territoires et visant à "faire travailler ensemble les gens qui ont les moyens financiers et les compétences pour résoudre les problèmes observés".
Dans ce domaine, Bernard Pecqueur a relevé les atouts des "pays", initialement créés pour faire entrer la société civile dans les discussions et décisions des collectivités territoriales.
Les pays "étaient une innovation considérable dont on n'a peut-être pas perçu l'importance", a ainsi signalé l'universitaire. "C'était le surgissement de la société civile, avec les conseils de développement, dans la discussion avec les collectivités sur le développement. Malheureusement très souvent il y a le rapport du conseil de développement, une réunion se tient, et ensuite on n'en parle plus jamais. C'était une tentative de modifier le rapport société civile et collectivités territoriales qui a pratiquement échoué ; c'est un des éléments des échecs de la décentralisation."

 

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