Spectacle vivant : une démocratisation inachevée malgré la hausse des financements des collectivités

La hausse des financements des collectivités et le maintien du soutien de l'État n'y fait rien : l'objectif de démocratisation de l'accès au spectacle vivant n'est pas encore réalisé, juge un rapport de la Cour des comptes. Des inégalités territoriales demeurent et les créations ne sont pas suffisamment diffusées. En tout cas, les collectivités - principalement le bloc local - apportent désormais près des trois quarts des financements au secteur.

Le bilan de la démocratisation culturelle, au cœur de la politique du spectacle vivant depuis plus de soixante ans, malgré des efforts soutenus et des financements accrus, apparaît "en demi-teinte", selon un rapport de la Cour des comptes intitulé "Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant" et publié ce 27 mai.

Cette "demi-teinte" tient même de l'euphémisme si l'on considère les courbes de l'un des tableaux présentés dans le rapport et consacré à la fréquentation du spectacle vivant selon l’âge de 1973 à 2018. On y apprend qu'entre 2008 et 2018, la part des 15-24 ans ayant assisté au moins une fois par an à un spectacle vivant est passée de 51% à 41%. Quant aux 25-39 ans, leur fréquentation du spectacle vivant diminue également : 47% en 2018 contre 49% dix ans plus tôt. Autrement dit, seules les personnes âgées de 40 ans et plus vont de plus en plus voir du théâtre, de la danse, du cirque, des arts de la rue ou écouter de la musique, tandis que les plus jeunes prennent l'habitude inverse.

À l'inégalité générationnelle, il faut ajouter l'inégalité territoriale. Ici encore – et même si on peut se féliciter que les pratiques culturelles se soient "homogénéisées entre milieux urbains et ruraux" – , une carte présentée dans le rapport est éloquente : quand l'Île-de-France concentre 355 des 1.251 principaux lieux de création et de diffusion du spectacle vivant (soit 28% du total), neuf régions en comptent moins de cent, et parfois beaucoup moins, à l'image de la Bourgogne-Franche-Comté (49), du Centre-Val de Loire (44) et surtout de la Corse (6). Et encore, cette carte ne rend-elle pas compte de la concentration de ces équipements dans et autour des métropoles ou des disparités entre les disciplines. "Les théâtres et les lieux interdisciplinaires sont ainsi surreprésentés en Île-de-France", pointe le rapport. 

Les collectivités, premiers financeurs

Cette incapacité à "donner un large accès à toutes les disciplines du spectacle vivant sur l’ensemble du territoire" et "à élargir et développer les publics" ne s'explique pas par un manque de moyens. La Cour des comptes explique que l’action du ministère de la Culture se caractérise "par une grande variété de modes d’intervention, sans équivalent à l’étranger". Elle juge plus globalement le secteur culturel "riche et varié". En 2019, "le poids économique du spectacle vivant était évalué à 12,3 milliards d'euros, dont 7 milliards au titre de la production non marchande, c’est-à-dire bénéficiant d’un financement public représentant plus de 50% des coûts", ajoute la cour.

Dans le détail, le soutien à la production et à la diffusion du spectacle vivant était en 2019 principalement financé par les crédits budgétaires du ministère, pour 766 millions d'euros (portés à 839 millions en 2020 pour aider le secteur durant la pandémie), des taxes parafiscales avoisinant les 150 millions, et surtout les subventions des collectivités territoriales estimées entre 2,47 milliards et 4,06 milliards selon le périmètre retenu. Et cela sans compter les aides à la création émanant des organismes de gestion collective des droits d’auteur ni le régime de l’intermittence qui constitue "une modalité significative du soutien à l’activité du secteur".

Financements à géographie variable 

Dans cet "écosystème en croissance", la Cour des comptes estime que l’État est désormais "financeur minoritaire d’un secteur qui lui échappe en partie". En effet, tandis que le soutien financier du ministère de la Culture est demeuré "relativement stable" entre 2011 et la crise sanitaire, on observe "un financement considérable" des collectivités territoriales au spectacle vivant, essentiellement porté par les communes et les EPCI. En considérant le périmètre de dépenses le plus large, leurs financements sont passés d’environ 2,6 à 3,2 milliards d'euros entre 2014 et 2019, soit une hausse de 25%, alors que dans le même temps, la part des régions stagnait à 450 millions et celle des départements baissait d'environ 10% pour s'établir à 390 millions.

Cette montée en puissance des communes et EPCI n'est pas sans poser une fois de plus la question de l'égalité territoriale : "Les dépenses de fonctionnement des communes et des EPCI par habitant au titre du spectacle vivant en 2019 sont beaucoup plus hétérogènes d’une région à l’autre que les dépenses de l’État et font apparaitre des inégalités territoriales notables", admet la Cour des comptes. Les dépenses de fonctionnement moyennes par habitant des communes et EPCI en faveur du spectacle vivant sur la période 2014-2020 s'échelonnent ainsi de 34,1 euros en Provence-Alpes-Côte d'Azur ou 32,7 en Île-de-France à 19,3 euros en Bourgogne-Franche-Comté, 16,8 en Occitanie et 10,9 en Corse.

Si les collectivités locales apportent désormais près des trois quarts des financements du spectacle vivant, la Cour des comptes estime que "l’État continue à jouer un rôle d’impulsion". Par ailleurs, "les relations avec les collectivités locales apparaissent, dans l’ensemble, constructives et bien structurées".

Des créations financées mais mal diffusées

Il n'empêche, malgré, d'un côté, un engagement soutenu de l'État, et de l'autre, un financement en forte hausse des collectivités, l'objectif de démocratisation n'est toujours pas atteint. La Cour des comptes constate à ce sujet deux phénomènes. D'abord, les "fractures de la société" et "une évolution des pratiques défavorable au spectacle vivant" qui appellent "des articulations renforcées avec d’autres politiques publiques, et notamment l’Éducation nationale". Ensuite, un manque de  diffusion de ce qui a été créé et financé, sachant qu'en 2019 le nombre moyen de représentations pour un spectacle était de 3,7 dans un centre dramatique national et de 2,3 pour une scène nationale. 

La Cour des comptes plaide donc pour "un rééquilibrage au plan économique, budgétaire et artistique", "une approche globale" qui permette de "réaliser les changements souhaitables". Outre la définition de grandes orientations de la politique de l’État en faveur du spectacle vivant et une association plus étroite des Drac (directions régionales des affaires culturelles) à l’élaboration de ces orientations, le rapport préconise d'établir des objectifs de diffusion plus ambitieux en associant l’ensemble des parties prenantes (État, collectivités, organisations professionnelles).