Transition écologique du monde agricole et soutien aux producteurs bio : le gouvernement tente de ménager la chèvre et le chou

Le monde agricole a besoin de "plus de temps" pour se décarboner que le reste de l'économie, a concédé ce 1er mars le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, après une rencontre au Salon de l'agriculture avec de jeunes exploitants très critiques envers les normes environnementales. Deux jours avant, il avait présenté avec Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture, les mesures gouvernementales pour accompagner les exploitants dans l’adaptation aux effets du dérèglement climatique. Ce même 28 février, Marc Fesneau annonçait de son côté un renforcement du fonds d'urgence destiné à aider les agriculteurs certifiés bio en difficulté ainsi qu'un programme "Ambition bio 2027" pour relancer la filière. Sans vraiment convaincre la profession.

"Ce n'est pas un hasard si dans la planification écologique, on demande, on anticipe, une décarbonation beaucoup plus forte de l'industrie que de l'agriculture", a déclaré Christophe Béchu à l'AFP ce 1er mars, à l'issue d'un dialogue animé au stand des Jeunes Agriculteurs, syndicat allié de la FNSEA, où le ministre de la Transition écologique avait tenté de rassurer ces professionnels. "C'est parce que pour faire pivoter 390.000 toutes petites structures, il faut plus de temps que pour faire bouger les 50 industries les plus émettrices de France", a-t-il ajouté. "J'assume que quand vous travaillez sur le vivant, avec des capacités d'investissement qui sont limitées et avec peu de moyens humains, il faut plus de temps que si vous discutez avec des Alstom et des géants de l'acier."

Trouver le bon rythme

L'agriculture représentait 18% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France en 2021, au deuxième rang des secteurs les plus émetteurs après les transports. "Ce qui compte à la fin, c'est la cohérence du dispositif, c'est qu'on soit à la fois dans le bon rythme sur la baisse des émissions et qu'on soit dans une transition enclenchée, sur laquelle il n'y a pas de recul", a défendu le ministre. "Mais le faire sans [les agriculteurs], si c'est pour continuer à voir une baisse de la production agricole dans notre pays, c'est un non-sens", a-t-il conclu.
Lors de cette nouvelle visite au Salon de l'agriculture, le ministre venait de passer une vingtaine de minutes à écouter les doléances d'exploitants. Ceux-ci lui ont décrit les conséquences de certaines normes jugées excessives ou incohérentes, notamment sur le curage des cours d'eau, les haies ou le débroussaillage. "Ce n'est pas l'écologie contre l'agriculture", a répondu Christophe Béchu aux agriculteurs, concédant que certaines normes sont allées "au-delà du bon sens" et ne sont plus adaptées à l'évolution climatique.
"Le dérèglement climatique nous dit : on va avoir moins d'eau l'été, plus d'eau l'hiver (...) donc faire en sorte qu'une partie de l'eau qui tombe, on la retienne à l'intérieur des terres pour éviter qu'elle aille plus vite dans la mer, ce n'est pas un truc idéologique, c'est du bon sens", a expliqué le ministre aux agriculteurs, dont les demandes de stockage d'eau supplémentaire pour l'irrigation sont devenues un sujet de controverse.

Vers des "diagnostics de résilience agricole"

Deux jours avant, Christophe Béchu avait participé avec Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture, à une conférence organisée par l'Ademe au Salon de l'agriculture pour présenter les principales mesures du gouvernement pour accompagner le monde agricole dans l’adaptation des modes de production aux effets du dérèglement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. 
Parmi les outils déployés, le "label bas-carbone" valorise les modes d’exploitation qui "stockent du carbone". Depuis sa mise en place en 2018, 2,3MtCO2e ont été labellisées sur un ensemble de 918 projets. Le "bon diagnostic carbone" (BDC), dispositif de France relance piloté par l’Ademe avec le ministère de l’Agriculture sur la période 2021-2023, a donné la possibilité aux agriculteurs installés depuis moins de 5 ans de réaliser un diagnostic carbone suivi d’un plan d’actions et d’un accompagnement personnalisé de leur exploitation. Environ 3.400 agriculteurs ont ainsi été accompagnés. 
Les ministres ont annoncé lors du Salon que le pacte d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture et le prochain plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc-3) prévoiront "la mise en place de diagnostics de résilience agricole qui permettront l’accompagnement à la réalisation de diagnostics climat à l’échelle des exploitations agricoles et le développement des approches collectives et territoriales". Dotée de 32 millions d’euros sur 2024, cette mesure doit contribuer à la construction de stratégies climat combinant les volets adaptation et atténuation et sera aussi mise en œuvre par le ministère de l’Agriculture avec l’Ademe.

Agriculture bio : le fonds d'urgence rehaussé

Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a en outre présenté ce 28 février de nouvelles mesures en faveur de l'agriculture biologique, qui pâtit depuis deux ans d'une consommation en berne dans un contexte de forte inflation. Le gouvernement a ainsi décidé de porter le nouveau fonds d'urgence destiné à aider les agriculteurs certifiés bio en difficulté à 90 millions d'euros, tout en maintenant les objectifs de conversion à ce système sans pesticides ni engrais de synthèse. Ce fonds, qui doit être encore approuvé par la Commission européenne, s'ajoute aux 104 millions d'euros d'aides versées en 2023 aux exploitants de ce secteur.
"Le Premier ministre avait posé (fin janvier) les bases d'un fonds à 50 millions d'euros et on va (le) rehausser à hauteur de 90 millions d'euros", a annoncé le ministre de l'Agriculture au Salon de l'agriculture. "On a considéré que, compte tenu de la nature de la crise qui dure, il y avait besoin de mettre des moyens complémentaires à hauteur en gros de ce qu'on a déjà fait en 2023", a-t-il justifié auprès de la presse en insistant sur la nécessité de surtout faire repartir la consommation. Les agriculteurs bio ayant enregistré une baisse de leur excédent brut d'exploitation ou de chiffre d'affaires d'au moins 20% pourront déposer une demande dès le feu vert européen, pour un versement d'ici fin juin.

La double peine des exploitants

Le montant du fonds reste toutefois loin des doléances de la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab). "En 2023 avec 104 millions d'euros, on a aidé 4.300 fermes sur 60.000", a souligné son président Philippe Camburet juste après l'intervention du ministre. "Je ne comprends pas qu'on puisse annoncer des aides à 10% ou 15% des fermes alors qu'avec la baisse des ventes, on aurait besoin d'en toucher 30% à 40%", a-t-il ajouté.
L'organisation avait fait part début février de son sentiment d'être un des grands perdants du récent mouvement de grogne des agriculteurs, entre un fonds d'urgence largement insuffisant à ses yeux et de nombreuses annonces, notamment sur les pesticides, considérées comme des "régressions environnementales".
Après une croissance soutenue pendant plusieurs années, les ventes de produits bio, réputés plus chers et concurrencés par des labels aux critères moins exigeants ou des produits locaux, ont commencé à se retourner en 2021. En 2022, elles ont baissé de 5%.
"C'est un petit renversement de tendance qu'on espère momentané", a indiqué Jean Verdier, président de l'Agence bio. Le dernier baromètre de cet organisme public chargé de promouvoir le secteur, rendu public ce 28 février, fait part d'un "coup de frein dans la transition alimentaire". Les préoccupations sur la santé et l'environnement, jusqu'à présent la principale motivation pour la consommation de bio, prennent moins d'importance dans l'esprit des 4.000 Français interrogés, qui accordent en revanche plus de valeur à la dimension plaisir de l'alimentation, selon ce baromètre.
"On sent la fatigue des consommateurs qui ne retournent plus autant les paquets pour lire l'étiquette", estime Laure Verdeau, la directrice de l'Agence bio. Les prochaines campagnes de promotion du bio devront, selon elle, "miser sur la charge émotionnelle et la proximité".

Un programme "Ambition bio 2027" qui peine à convaincre

Les chiffres ne sont pas encore disponibles pour 2023 mais le secteur redoute un léger mouvement de "déconversion" d'agriculteurs bio, qui couvrent désormais 10,7% de la surface agricole utile (SAU) en France, vers le conventionnel. 
L'objectif reste toujours que 18% des terres agricoles soient dédiées au bio en 2027, affirme pourtant le cabinet de Marc Fesneau en prévoyant une consolidation des conversions cette année avant une reprise. Dans cette optique, le gouvernement a aussi présenté ce 28 février un programme "Ambition bio 2027" autour de trois axes : stimuler la demande en bio, consolider les filières bio, accompagner les agriculteurs face aux enjeux sociaux et environnementaux.
Le gouvernement veut notamment pousser les acteurs de la restauration collective publique et privée à atteindre les obligations de la loi Egalim de 20% d'approvisionnement en bio, et encourager les restaurants à ajouter du bio à leur menu. Il veut aussi renforcer la place du bio dans les territoires, en créant des synergies entre bio et local. La place du bio pourrait ainsi être favorisée dans les projets alimentaires territoriaux (PAT). Mais pour la Fnab, le plan reste en deçà des attentes du secteur. 
"Cela fait deux ans que nous attendons un nouveau plan d’action pour la bio. Vu la situation dans laquelle se trouve le secteur, nous nous attendions à une réelle vision stratégique et une politique de soutien en conséquence. Force est de constater que sur ce point, le compte n’y est pas", regrette Philippe Camburet. Selon lui, "il faudrait sans doute plusieurs centaines de millions d’euros pour atteindre les 18% de SAU bio et les 20% restauration collective de la loi Egalim." La Fnab pointe aussi l'absence de mesures "pour assurer la pérennité dans le temps des fermes bio" ou "la rémunération des aménités positives de la bio". 
"Le point positif, c’est le lancement du travail sur le financement de l’indemnisation des contaminations des cultures bio par les pesticides utilisés en conventionnel. C’est un point brûlant que la Fnab revendique depuis de nombreuses années", retient toutefois Olivier Chaloche, membre du bureau de la Fnab.