Tri à la source des biodéchets : un vrai faux départ ?

Depuis ce 1er janvier, les déchets alimentaires ne doivent plus être jetés à la poubelle, mais cette obligation européenne transposée par la loi Agec de 2020 restera encore de longs mois très théorique pour une majorité d'habitants faute d'une solution locale pour collecter séparément leurs biodéchets. Mais de part et d'autre du territoire, des collectivités ont pris les devants pour déployer des dispositifs.

Depuis ce 1er janvier, conformément au droit européen et à la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020, les collectivités territoriales, ont l'obligation de proposer à leurs administrés une solution de tri des biodéchets (soit tous les déchets alimentaires, jusqu'alors incinérés ou enfouis) pour que ceux-ci soient valorisés en compost ou en biogaz. Mais comme l'Ademe le prédisait déjà en octobre dernier (lire notre article), le ministère de la Transition écologique a reconnu en ce début d'année que seuls 27 millions de Français, soit 40% de la population, auraient en 2024 une solution à leur portée - une collecte porte-à-porte, un point d'apport volontaire proche de chez soi, ou la mise à disposition d'un bac de compostage sur la base du volontariat.

Un "manque de volonté politique", pour l'ONG Zero Waste Europe

"Moins d'un Français sur trois aura effectivement accès à une solution de tri à la source dans sa collectivité", regrette l'ONG Zero Waste Europe, rappelant que "cette obligation est connue depuis 2015 !". L'association, qui dénonce "un retard inacceptable" en la matière, traduisant  selon elle "un manque de volonté politique des collectivités locales comme de l'Etat", "exhorte" le gouvernement à "rendre contraignants les critères de tri à la source des biodéchets", à "compléter ces critères en fixant des seuils quantitatifs pour la baisse progressive de la quantité de biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles" – soit 39 kg par habitant et par an en 2026, 25 kg en 2030 et 15 kg en 2035 - et à "définir des sanctions pour les collectivités n'atteignant pas ces objectifs", comme elle le réclamait déjà en septembre dernier (lire notre article).

L'association estime "salutaire" mais "insuffisante" la publication tardive par le gouvernement, le 6 décembre dernier, d'un simple avis sur les "solutions techniques applicables pour la mise en place du tri à la source des biodéchets dans le cadre du service public de gestion des déchets". Car si certaines de ses préconisations sont reprises dans le texte, "un avis n'a pas la valeur juridique d'un décret", souligne Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable des affaires juridiques de l'ONG.

Deux grandes catégories de solutions

"L’avis ne prévoit ni sanctions ni objectifs de résultat, analyse aussi Intercommunalités de France. Il précise néanmoins qu’une collectivité ne pourra pas être considérée comme étant dans une démarche de tri à la source des biodéchets 'si elle ne dispose pas d’éléments démontrant qu’elle a décidé, au plus tard à la date d’échéance fixée par législation, c’est-à-dire le 31 décembre 2023, de lancer une étude de préfiguration permettant un tel tri'".

Le texte signé du directeur général de la prévention des risques du ministère de la Transition écologique rappelle que deux grandes catégories de solutions de tri des biodéchets existent et peuvent être "déployées de manières complémentaires selon les territoires" : la collecte séparée et la gestion de proximité.

En collecte séparée, les traitements des biodéchets sont réalisés dans des sites dédiés (méthaniseurs, sites de compostage…). La collecte peut s'organiser en porte-à-porte. Dans ce cas, les ménages sont équipés par la collectivité d'un bac de collecte dédié aux biodéchets et le service de ramassage doit être organisé par la collectivité "à une fréquence au moins hebdomadaire", souligne l'avis. La collecte séparée peut aussi s'effectuer en point d'apport volontaire (PAV). L'avis recommande dans ce cas trois configurations pour que les distances soient les plus faibles possibles "afin de faciliter le geste de tri pour les ménages" : dans les communes rurales, un maximum de 250 habitants par PAV ; dans les communes urbaines, un accès à un PAV dans un rayon situé à une distance maximale de 150 m ; dans les communes urbaines denses et les communes touristiques, un accès dans un rayon maximum de 150 m, avec une distance préconisée de 100 m.  

En gestion de proximité, les usagers assurent eux-mêmes le traitement de leurs biodéchets et l’avis présente également deux types de solutions : les installations de compostage domestique individuel (composteur chez les particuliers) et les installations de compostage partagé (composteur en pieds d’immeuble ou de quartier). Les premières sont une solution jugée "acceptable" dans les milieux ruraux ou résidentiels pavillonnaires avec jardin. Dans ce cas, la collectivité doit pouvoir proposer des composteurs et mettre en place "une sensibilisation à leur utilisation". L’avis préconise dans ce cadre de réaliser un "état des lieux des pratiques de compostage sur le territoire de la commune" permettant d’identifier les ménages ayant déjà recours à cette solution. Les installations de compostage partagé sont, elles, jugées appropriées dans les centres-villes ou centres-villages. Dans ce cas, une personne doit être désignée responsable du site et être "formée aux règles de bonnes pratiques du compostage". Il n'est pas précisé dans l'avis si cette personne est un agent de la collectivité. "A titre indicatif, sont présumés conformes, les composteurs partagés ayant une capacité minimale de 60 l/hab. (volume des bacs d’apport, bacs de stockage du structurant et bacs de maturation) et situés dans un rayon maximal de 150 m", note l'avis.

Le recours à un lombricomposteur n'est pas considéré comme une solution de gestion de proximité des biodéchets à part entière mais "peut être une solution d’appoint […] en complément d’une solution de tri à la source des biodéchets (gestion de proximité ou collecte séparée)". En termes de suivi, l’avis recommande à chaque collectivité de mesurer "l’impact des actions mises en place (prévention et tri à la source des biodéchets en observant les quantités d’OMR produites au regard des quantités comptabilisées."

Pour Intercommunalités de France, l'avis fixe "un niveau de maillage ambitieux pour lequel les délais de mise en œuvre risquent d’être considérables". À ce titre, l'association appelle à "poursuivre le soutien financier et en ingénierie afin d’accompagner les intercommunalités dans un déploiement progressif". Elle dit toutefois s'interroger sur "la réelle liberté de choix laissée aux collectivités", l'avis laissant entendre selon elle que la priorité doit être donnée à la collecte séparée. Un nota bene indique en effet que "pour des motifs liés à l’accessibilité, à la qualité et à la performance du geste de tri, la collecte en porte-à-porte est, dans la mesure du possible, privilégiée". "En outre, poursuit-il, les collectivités ayant recours à des points d’apport volontaire sont en mesure de justifier d’un taux de participation satisfaisant, en lien avec la bonne accessibilité de leur dispositif."

Des collectivités loin d'avancer au même rythme

Pour l'heure, les solutions proposées dans les différentes collectivités sont encore à des degrés d'avancement très variables.

A Paris, la ville a expérimenté la collecte dans les immeubles comme à Milan où cela fonctionne bien, mais est déçue par la faible utilisation. A la place, elle installera d'ici fin 2024 environ 500 nouveaux bacs à biodéchets dans les rues, où les Parisiens devront apporter leurs épluchures et restes alimentaires, en espérant qu'ils n'y jetteront rien d'autre.

Rien ne change dans l'immédiat non plus pour les 1,9 million d'habitants de la deuxième métropole française, Aix-Marseille. Des points de collecte en extérieur existent déjà comme expérimentations, et d'autres seront installés progressivement en 2024.

La métropole de Lyon a entamé les démarches dès 2021. Selon l'agglomération d'1,4 million d'habitants, des bornes de compostage ont été installées tous les 150 mètres, soit 1.300 en tout pour l'instant.

Dans la communauté urbaine du Grand Besançon existent des composteurs individuels en maison, des bacs partagés pour les copropriétés et des chalets de compostage prévus pour des quartiers entiers, à l'accès réservé aux riverains munis d'un code. Dans l'hypercentre, une collecte par vélo cargo des seaux à biodéchets, expérimentée depuis 2022, doit être étendue à 15.000 riverains en 2024. Conséquence, les habitants de l'agglomération n'auront plus à sortir les poubelles d'ordures résiduelles qu'une fois tous les 15 jours. Pour pérenniser les actions de compostage en pied d’immeuble, le Sybert (syndicat mixte de Besançon et de sa région pour le traitement des déchets) accompagne les référents de site. Ces derniers sont accompagnés la première année à raison d’une visite par mois par un prestataire. Un guide pratique leur est distribué sur l’approvisionnement en broyat, le remplacement du matériel... D’autres actions sont déployées - suivi à distance (un par an) et sur place en cas de besoin (visites de site ou en porte-à-porte, actions de communication, renouvellement des outils signalétiques…). Les référents participent aussi aux visites de suivi, rappellent les bonnes pratiques, corrigent les erreurs de tri, ajoutent du broyat, transfèrent le bac d’apport, récoltent le compost et sollicitent le Sybert si besoin. Le temps passé par chaque référent est de 24 minutes par semaine en moyenne pour la réalisation de ces différentes tâches.

En Ile-de-France, après une première expérimentation à Romainville en mai 2023, la communauté d'agglomération Est Ensemble, composée de neuf villes de Seine-Saint-Denis (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville, totalisant 435.582 habitants) a décidé en octobre dernier de généraliser la collecte des déchets alimentaires et prévoit d'installer en 2024, des centaines de points d’apport volontaire sur son territoire. Sur un territoire moins peuplé, le SIOM de la Vallée de Chevreuse (21 communes, 200.000 habitants) collecte séparément les biodéchets en vue de leur valorisation depuis 2022 après avoir équipé les foyers de bioseaux et de bacs dédiés. Tout a commencé, sur la base du volontariat, auprès des habitants de maisons individuelles, qui représentent 45% de la population couverte par le SIOM. 3.500 candidats se sont portés volontaires à l'issue d'une campagne de communication menée en janvier 2022, relate le président du syndicat, Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette (Essonne) et vice-président de l'Association des maires de France (AMF). "En novembre 2022, nous avons décidé de déployer la collecte dans l'habitat collectif toujours sur la base du volontariat et le service est aujourd'hui pleinement opérationnel auprès de 4.500 pavillons et de 20 résidences collectives, soit plus de 10% des habitants", indique l'élu. La collecte représente aujourd'hui 63 kg/habitant/an mais pour Jean-François Vigier, "il faut accélérer". Avec l'entrée en vigueur des dispositions de la loi Agec, "on va capter davantage  d'usagers en pavillons et en collectif et on peut arriver à un taux de 30% mais il y a un risque de plafonnement", estime-t-il. D'où la nécessité selon lui de continuer à communiquer auprès des usagers – ce que l'Etat et l'Ademe, doivent aussi faire, souligne-t-il – et de "déployer massivement des points d'apport volontaires dans les communes".

L'expérience d'une pionnière

D'autres collectivités ont une pratique beaucoup plus ancienne du tri des biodéchets et en dressent un bilan largement positif. "Pour nous, c'est rentable", affirme Odile Bégorre-Maire, élue de Lay-Saint-Christophe (Meurthe-et-Moselle) qui a près de 30 ans de recul. L'intercommunalité du bassin de Pompey (environ 40.000 habitants), dont elle est vice-présidente, a inauguré une plateforme de compostage dès 1999. La collecte en porte-à-porte touche deux tiers des habitants. En coeur d'agglomération, là où il n'y a ni courette ni jardin et des cages d'escaliers trop étroites, des points d'apport volontaire ont été placés dans la rue dans un rayon de 100 à 150 mètres des habitations. Tout n'est pas parfait et "il y a encore 20% de biodéchets qui pourraient encore être éliminés du sac contenant les ordures ménagères résiduelles, et toujours 10% de lieux où les gens ne s'y mettent pas vraiment", dit-elle à l'AFP. Mais depuis janvier 2023, les éboueurs ne passent plus qu'une fois tous les 15 jours pour les ordures ménagères résiduelles. Pour les biodéchets et le recyclage, le ramassage a lieu chaque semaine. Et l'élue de vanter in fine le bénéfice financier de cette pratique : "Les gens ont eu seulement 2 ou 3% de hausse de la taxe d'enlèvement des ordures depuis 2016, alors que, sinon, la taxe aurait grimpé de 25%".

Initiatives mises en avant par l'Ademe

Dans son guide sur le tri à la source des biodéchets , l'Ademe présente d'autres initiatives émanant de niveaux de collectivités très divers, en milieu rural ou urbain.  En adoptant une tarification incitative, la communauté de communes du pays de Lunel (Hérault) a suscité une nouvelle demande des particuliers, entreprises et institutions pour les diverses pratiques de compostage. Un guide-composteur a été recruté. En 2020, 39,9% des foyers individuels étaient équipés en composteurs, 26 sites pratiquaient un compostage partagé et 28 entreprises et établissements publics le compostage en établissement.

Depuis 2017, Grenoble-Alpes Métropole déploie la collecte séparée des biodéchets en porte-à-porte pour les particuliers sur les zones urbaines comprenant plus de 25% d’habitat collectif. Afin de sensibiliser les foyers et de faire adhérer au nouveau geste de tri, la collectivité distribue un kit de tri (bioseau ajouré, sacs biodégradables, plaquette consigne de tri) et un bac de 120L avec cuve réductrice. Les sacs compostables sont renouvelés gratuitement pour les habitants desservis par la collecte. Sur l’habitat individuel, la collectivité propose des composteurs bois avec un bioseau lors de visites de sensibilisation en porte-à-porte par les ambassadeurs biodéchets. Depuis 2020, des PAV situés à proximité des PAV verre, emballages/papiers sont en phase de test dans certaines communes.

Le Syndicat Mixte de Thann–Cernay (68) a mis en place une collecte séparée des biodéchets depuis 2010, tout en réorganisant ses collectes en 2020 avec des bennes bi-compartimentées. Le territoire a également mis en place la redevance incitative qui concerne la totalité de la population desservie (42.000 habitants). La quantité moyenne de biodéchets collectés s'élève à 60 kg/an/hab. et celle d'OMR à 98 kg/hab. en 2020, soit largement moins que la moyenne nationale (246 kg/habitant en 2021, selon le dernier rapport de l'Ademe.

Toujours en Alsace, la Communauté d'Agglomération de Colmar a, elle, conçu et mis en place des PAV dans les zones urbaines de forte et moyenne densité depuis 2013 (une borne inox de 240 litres pour 20 foyers). Les nouveaux PAV sont contigus aux différentes colonnes pour OMR, recyclables secs des ordures ménagères, verre. La collecte moyenne est de 40 kg/an/hab.

En Occitanie, le Sictom de Pézenas Agde a déployé, en janvier 2018, une collecte séparée des biodéchets. Pour faire la promotion du dispositif et accompagner les changements de comportement, il a mis en place un large dispositif de communication multi-supports (presse, radio, internet, réseaux sociaux,  réunions publiques, sensibilisation et communication en distribuant les outils de pré-collecte, permanences d’information dans les communes…) et multi-cibles (formation des agents du Sictom et des agents des mairies en amont de la mise en place de la collecte, recrutement d’une équipe d’ambassadeurs pour sensibiliser les usagers, communication dédiée aux gros producteurs…).

Brest Métropole Océane a, elle, créé un réseau de guides-composteurs/pailleurs afin de disposer de relais sur l’ensemble de son territoire depuis 2011. La formation des guides s'effectue en 4 demi-journées, avec délivrance d’un diplôme. Une réunion bimestrielle du réseau des guides est organisée et les guides organisent des animations de stands d’information toute l’année. Depuis 2020, la métropole dispose de 141 aires de compostage partagées en 2020 et 23,9% des foyers sont équipés en composteurs individuels.

Autre exemple de sensibilisation : le syndicat mixte de valorisation des déchets Préval Haut-Doubs a mis en place trois placettes de démonstration pour mieux faire connaître le compostage domestique et compléter les opérations de vente de composteurs individuels. Avec un investissement de 4.000 euros/placette, le syndicat touche environ 300 personnes par an par placette. L'opération vise aussi bien le grand public que les élus, les services collectivités ou les écoles.

"Adopter une démarche globale"

L'Ademe rappelle dans sa dernière lettre d'informations que le Plan de relance 2021/2022 a permis à plus de 500 porteurs de projets de développer la collecte et le tri des biodéchets, avec un budget de 100 millions d’euros pour les deux ans. En 2023, presque 200 dossiers se sont partagé l’enveloppe de 60 millions d’euros du Fonds vert, "un dispositif exceptionnellement prolongé en 2024", indique l'Agence. "Parmi les collectivités qui s’engagent, il y a autant de zones rurales qu’urbaines"souligne Muriel Bruschet, ingénieure Biodéchets à l'Ademe. Mais le surcoût de la collecte des biodéchets - actuellement estimé à 15/25 euros par habitant pour la collecte séparée – est encore perçu comme un frein, malgré les bénéfices environnementaux et agricoles à la clé, constate l'experte.  Selon elle, "pour que le dispositif fonctionne, il faut réussir à collecter suffisamment, mobiliser les habitants, bref, adopter une démarche globale et pas simplement proposer une solution de collecte".