Un nouvel indicateur pour mesurer les risques de désindustrialisation
Face à la reprise du déclin industriel de la France, malgré un faible rebond en 2024, le Centre de recherche appliquée de l'Ecole de guerre économique a décidé de mettre au point un nouvel indicateur destiné à anticiper les risques de désindustrialisation. A partir de neuf critères spécifiques, il s'agit d'identifier en amont les entreprises sur le point de fermer ou de se délocaliser. Déjà appliqué à dix entreprises, le périmètre de ce nouvel indicateur sera élargi courant septembre.
Le Centre de recherche appliquée de l'Ecole de guerre économique (CR451) a planché sur la constitution d'un outil permettant d'anticiper, au sein des grandes entreprises industrielles en France, les risques économiques. "Les indicateurs classiques ne suffisent plus à mesurer l'ampleur du phénomène, indique le centre, et si le baromètre mis en place par la Direction générale des entreprises montre des signes de reprise, il est un outil qui constate une évolution, il ne permet pas de l'anticiper". L'idée est de travailler sur cet aspect, l'anticipation, en s'appuyant sur neuf critères particuliers : le positionnement stratégique, la vulnérabilité technologique, la politique et la réglementation, la situation financière, la fiscalité et les financements publics, la structure actionnariale et la gouvernance, l'emploi et les compétences, l'ancrage territorial, l'image et la notoriété.
Objectif : identifier en amont les entreprises sur le point de fermer ou de se délocaliser et en informer les parties prenantes, à savoir l'Etat, les collectivités territoriales, les syndicats et autres acteurs économiques, pour pouvoir agir. "En cas d'hémorragie, il ne suffit pas de faire une perfusion, il faut d'abord arrêter la perte de sang", souligne le centre.
Dix entreprises passées au crible du nouvel indicateur
L'outil a été appliqué à un panel initial de dix entreprises emblématiques, représentatives des enjeux industriels actuels : Alstom, Arkema, ArcelorMittal, Danone, Renault, Michelin, Sanofi, Seb, Schneider Electric et Valeo. Des couleurs, allant du rouge pour signifier des risques élevés, au vert, pour des risques moins importants, permettent de visualiser les risques de désindustrialisation pour chacune de ces entreprises. Certaines parmi les dix sont ainsi situées en rouge. Arcelor (score de 3,5 et 5 vulnérabilités) se montre ainsi très vulnérable à cause des risques liés à la géopolitique, du surcoût lié à la réglementation, de sa structure actionnariale (une famille étrangère comme premier actionnaire, un capital flottant majoritaire, une très faible présence française au comité exécutif), de sa fiscalité, fortement exposée à la fiscalité liée aux émissions de COE et aux pollutions, et de son financement, dépendant des subventions pour les projets de transition écologique. Renault (score de 3,5, et 3 vulnérabilités) est quant à elle percutée de plein fouet par la stratégie du tout électrique, l'évolution vers la conduite autonome, les réglementations de l'Union européenne et la concurrence chinoise. Michelin (score risque moyen pondéré de 2,8 et un nombre de vulnérabilités évalué à 3) est considérée comme vulnérable car confrontée à une concurrence mondiale et pénalisée par les coûts de l'énergie et des normes européennes. L'entreprise diminue son outil industriel français et doit évoluer vers des produits plus durables. Elle a aussi une forte sensibilité aux aides publiques.
Un panel élargi dès septembre
Alstom (score de 2,5 et 1 vulnérabilité) fait quant à elle partie des entreprises situées en orange. Le groupe ferme des sites et il existe un risque important lié au résultat opérationnel et aux dysfonctionnements sociaux sérieux que l'entreprise vit. D'autres entreprises, situées en vert, ont des résultats meilleurs sur chacun des neuf items analysés : pour Schneider Electric, le score risque est de 2,1 avec une seule vulnérabilité identifiée. Si le groupe procède à des fermetures de sites et des licenciements et se redéploie à l'étranger, contribuant à la désindustrialisation de la France, il a une base de clients diversifiée, peu de fournisseurs critiques, une situation financière confortable, une forte capacité interne d'innovation, et une faible dépendance à l'import de technologies étrangères… Même chose pour Danone (2,1 en score, pas de vulnérabilité identifiée), qui dispose de clients et canaux de distributions très variés, d'une base fournisseurs très large, avec peu de fournisseurs critiques, un chiffre d'affaires en hausse, une rentabilité forte, des compétences à forte valeur, une faible dépendance à des innovations de rupture majeures, et un ancrage local reconnu.
L'indicateur devrait être appliqué à un panel élargi dès ce mois de septembre et un observatoire des risques de désindustrialisation devrait être créé pour poursuivre ces analyses.