Décentralisation portuaire - Une mission sénatoriale réclame une stratégie nationale pour les ports décentralisés
C’est en 2007 que s’est achevé le transfert des derniers ports d’intérêt national métropolitains aux collectivités. Et que s’est affirmée la compétence régionale en matière de ports maritimes de commerce. Cette date, la sénatrice socialiste Odette Herviaux la rappelle en introduction d’un rapport très bien construit, qui a été remis le 24 juin à Frédéric Cuvillier, lequel a salué son travail visant à "renforcer la cohérence entre les places portuaires de notre pays, quel que soit leur statut". Un premier constat s’impose aussi dès l’introduction, à savoir le lien étroit, la proximité avec la ville plus marquée pour ces 26 ports décentralisés que pour les sept grands ports maritimes (GPM), sur lesquels pourtant se focalise souvent l’attention. Mais aussi le poids de la pêche et de la plaisance.
Reconnaître leur rôle
Situés en cœur d’agglomération, ces ports ont conduit autorités portuaires et collectivités locales "à construire un partenariat alors même que leurs intérêts ne convergent pas nécessairement, les retombées du port dépassant, notamment en termes économiques, le périmètre de l’agglomération siège". Leur place dans l’économie française est peu reconnue dans son ensemble et leur représentation au niveau national quasi inexistante. Pourtant, leur poids se résume en quelques chiffres : ces ports décentralisés pèsent pour 80% du trafic passagers, 20% du trafic de marchandises de l’ensemble des ports français, ils voient transiter 70% du trafic national en ferry ou navire roulier et génèrent environ 30.000 emplois directs. Leur impact au niveau local est donc fort : à Boulogne-sur-Mer, le port de pêche représente 10% de l’emploi et à Bayonne, son activité pèse autant que le tourisme au niveau de l’agglomération.
Plus de robustesse aux DSP portuaires
Excepté Dieppe (régie) et Sète (doté d’un établissement public régional), les 26 ports décentralisés sont gérés en délégation de service public (DSP). Certaines de ces DSP sont classiques, d’autres vont jusqu’à instituer "des fonds alimentés par le délégataire et abondés par le délégant pour réaliser des acquisitions foncières au profit du port", ou à "attribuer au délégataire pressenti la maîtrise d’ouvrage complète de l’extension", comme c’est le cas pour le port de Calais-Boulogne, dont la DSP d’une durée record (50 ans) et déjà unique car commune à Calais et à Boulogne, devrait être formalisée cet été. "Le délégataire (y) serait une société groupant la CCI, la CRCI, des partenaires financiers et le GPM de Dunkerque pour une participation limitée mais signifiante", dévoile ce rapport. Face à la diversité des situations, la sénatrice préconise qu’un travail mutualisé entre autorités portuaires soit conduit, avec l’appui de l’Etat, "pour définir les principes et cadres de ces DSP portuaires", afin qu’elles soient "robustes juridiquement" tout en répondant aux spécificités de chaque port.
Simplifier les choses
Plus globalement, l’heure est à la formalisation, "avec les parties prenantes" dont font partie les collectivités, de stratégies portuaires et de conseils portuaires à la composition actuellement hétérogène. "Il n’existe qu’un cas où la synthèse politique est faite au sein de l’autorité portuaire : Dieppe, où elle regroupe la région, le département, l’agglomération et la ville […] En termes de gouvernance, il convient de rechercher les modèles les plus simples possibles". Actuellement, parmi les multiples configurations envisageables, plusieurs départements ou collectivités sont généralement associés, mais rarement les associations environnementales. Par ailleurs, ces ports accueillent parfois des activités industrielles (sidérurgie à Bayonne) et font à ce titre l’objet d’un plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Mais se pose la question de l’adaptation de leur cadre d’élaboration à la spécificité des ports. Certains se positionnent sur les énergies marines renouvelables (Brest, Cherbourg). Des sujets sur lesquels les ports "attendent de l’Etat à la fois un cadrage et un appui".
De lourds investissements
Les collectivités ont hérité de ports nécessitant de lourds investissements. Ce rapport fait ainsi état de "plusieurs régions reprochant à l’Etat un sous-investissement depuis un certain nombre d’années". Une situation qui, à Boulogne, a conduit la région à attaquer l’Etat au tribunal administratif "pour vice caché"… Ces investissements atteignent de 30 à 60 millions d’euros en Bretagne, en Aquitaine et dans le Languedoc-Roussillon. Autre exemple : la région Basse-Normandie, qui "a dépensé sur le port de Dieppe de l’ordre de dix fois ce que l’Etat avait apporté sur la période précédente". Sur l’ensemble des ports, "les investissements annuels sur cinq ou six ans ont été de cinq à dix fois supérieurs a ceux engagés par l’Etat les dix années précédentes". Certains investissements sont-ils orientés dans le développement de trafics ferroviaires portuaires ? Cela concerne surtout les GPM, note le rapport. "Seul Bayonne a un vrai potentiel, avec un tiers de son trafic terrestre assuré par le fer". Les réseaux ferroviaires sont en mauvais état et les demandes de transfert effectuées auprès de Réseau ferré de France (RFF) semblent buter sur un mur. En outre, ces ports ne sont pas reliés au réseau fluvial, "à l’exception de Sète et dans une moindre mesure de Calais".
Des enjeux de coopération
Entre ces petits ports et les GPM qui leur font de l'ombre, ou entre ports de commerce voisins, la coopération reste un terrain glissant. Selon ce rapport, elle gagnerait à être raffermie sur des sujets tels que "le développement du cabotage (Bayonne-Le Havre, liaisons intéressant le port de Brest ou de Cherbourg), la mutualisations d’expertise, notamment au niveau environnemental, et de divers services comme le dragage ou remorquage".