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Culture - Valorisation du patrimoine : attention à ne pas aller trop vite et trop loin

Sous l'impulsion de l'Etat et de son Agence du patrimoine immatériel de l'Etat (Apie) créée en mai 2007, les acteurs publics, y compris les collectivités territoriales, sont vivement invités à valoriser leur patrimoine culturel, au sens premier du terme. Autrement dit, en louant bâtiments et monuments pour accueillir des tournages ou des manifestations événementielles. En ces temps de disette budgétaire, le message a été entendu et les intéressés ne rechignent plus à mettre à disposition leurs locaux contre rétribution. Le nombre de tournages dans le patrimoine public a, par exemple, fortement progressé (voir notre article ci-contre du 20 avril 2012).

Ralph Lauren et Charlotte Gainsbourg aux Beaux-Arts

Mais la mésaventure survenue à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensbap) rappelle qu'il convient de ne pas aller trop vite, ni trop loin. Durant deux ans, le couturier américain Ralph Lauren a financé la rénovation de l'amphithéâtre d'honneur de l'Ecole. Le mécène y a notamment investi 1,5 million d'euros en matériels audiovisuels. Le 8 octobre, une soirée de gala était organisée au sein de l'hôtel de Chimay - qui abrite une partie de l'Ecole - en présence de toute la jet set, avec défilé de mode, dîner et concert privé de Charlotte Gainsbourg.
Problème : pour organiser la manifestation, il a fallu fermer l'accès à quatorze ateliers de l'école durant cinq jours. Une situation peu appréciée des étudiants, qui ont monté une coordination, vite rejointe par les professeurs. Lors d'une réunion organisée le 10 octobre avec le directeur - dans l'amphithéâtre rénové -plus de 200 élèves et professeurs ont ainsi multiplié les griefs contre cette "privatisation" des lieux.

Faste du gala et manque de moyens au quotidien

C'est moins la mise à disposition des lieux en contrepartie d'une action de mécénat qui a choqué les étudiants et professeurs, que le contraste criant entre le faste du gala et de ses invités et le manque de moyens de l'école pour son fonctionnement quotidien. Elèves et enseignants ont ainsi fait valoir le manque de matériels pédagogiques, les fuites d'eau dans certaines salles, les conditions de travail dégradées... Tout en défendant le principe du mécénat, Nicolas Bourriaud, le directeur de l'école, a reconnu s'être fait déborder. L'incident pourrait avoir des conséquences, car l'Ensbap pourrait bien renoncer à son projet d'installation d'un café-restaurant - comme le font déjà nombre de musées -, ouvert aux étudiants le jour à des conditions préférentielles, mais privé le soir. Un projet qui aurait pourtant dû apporter des recettes complémentaires à l'école.
Conclusion, un peu oubliée dans la précipitation autour de la valorisation du patrimoine : ce genre de projet doit être préparé en amont et prendre en compte les personnes qui travaillent ou étudient au sein de l'établissement ou du monument. Une remarque qui vaut pour les manifestations événementielles comme pour les tournages, tout aussi envahissants.