Commande publique - Vers des sanctions financières du travail dissimulé dans les contrats publics
La proposition de loi Warsmann de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a été adoptée en première lecture par le Sénat le 14 décembre 2010. Son article 54 prévoit d’introduire dans le Code du travail un nouvel article L.8222-6 qui rend obligatoire, dans tous les contrats conclus par une personne morale de droit public, l’insertion d’une clause infligeant des pénalités financières - pouvant aller jusqu'à 10 % du montant du contrat - aux entreprises ayant recours au travail dissimulé.
En l’état actuel du droit, si une collectivité est informée par l’inspection du travail que son cocontractant emploie du personnel non déclaré ou rémunéré au noir, elle doit enjoindre à ladite entreprise de mettre fin à cette situation (version actuelle de l'art. L.8222-6). Si l’entreprise mise en demeure n’apporte pas la preuve qu’elle a mis fin à cette situation délictuelle, la seule option "contractuelle" dont dispose la collectivité consiste à résilier le contrat, sans indemnités, aux frais et risques de l’entrepreneur (art. L.8222-5).
La résiliation pure et simple du contrat pose toutefois des difficultés pratiques : une collectivité locale préfère parfois ne pas résilier un contrat de travaux publics pour ne pas retarder de six mois ou de un an la construction d’un équipement dont elle a un besoin urgent. La possibilité d’infliger des pénalités constitue donc, pour le gouvermenent, à l'origine de l'amendement, une sanction plus "pragmatique" et plus adaptée aux réalités du terrain.
Mais l’adoption de cet amendement gouvernemental n'a pas fait l'unanimité au Sénat. Sous l’impulsion du sénateur Jean-Pierre Sueur (Loiret, PS), un certain nombre d’élus ont dénoncé la philosophie même de cet article, le qualifiant de "dérive majeure" permettant de prévoir "a priori, dès la signature du contrat, la violation du Code du travail" sous couvert d’un arrangement financier entre le donneur d’ordre et son cocontractant.
Le garde des Sceaux Michel Mercier a fait valoir que ces pénalités n’exonéraient pas le cocontractant fautif des sanctions pénales existantes. Le représentant de la collectivité publique qui aura connaissance de l’infraction pourra encore décider de résilier le contrat et devra toujours, en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, en informer le procureur de la République. Si les faits sont avérés, ce dernier pourra, sur le fondement de l’article L.8224-1 du Code du travail, condamner l’entrepreneur ayant eu recours au travail dissimulé à trois ans d’emprisonnement et à une amende de 45.000 euros. Cette sanction peut être assortie d’une interdiction d’exercer ainsi que d’une exclusion des marchés publics pour cinq ans ou plus.
Enfin, il est à noter que si ce dispositif est définitivement adopté par les parlementaires en deuxième lecture, la responsabilité du maître d’ouvrage pourra être engagée si ce dernier ne remplit pas ses obligations et si la situation perdure. Pour ne pas être condamnée solidairement avec l’entreprise fautive, la personne publique devra donc impérativement respecter à la lettre les prescriptions du futur article L.8222-6 du Code du travail.
Référence : article 54 de la proposition de loi modifiée par le Sénat de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, adoptée le 14 décembre 2010 ; Sénat, compte rendu des débats, 14 décembre 2010.
Article 54
L' article L.8222-6 du Code du travail est ainsi rédigé :
"Art. L.8222-6. Tout contrat écrit conclu par une personne morale de droit public doit comporter une clause stipulant que des pénalités peuvent être infligées au cocontractant s'il ne s'acquitte pas des formalités mentionnées aux articles L.8221-3 à L.8221-5. Le montant des pénalités est, au plus, égal à 10 % du montant du contrat et ne peut excéder celui des amendes encourues en application des articles L.8224-1, L.8224-2 et L.8224-5.
"Toute personne morale de droit public ayant contracté avec une entreprise, informée par écrit par un agent de contrôle de la situation irrégulière de cette dernière au regard des formalités mentionnées aux articles L.8221-3 et L.8221-5, l'enjoint aussitôt de faire cesser cette situation. L'entreprise ainsi mise en demeure apporte à la personne morale de droit public la preuve qu'elle a mis fin à la situation délictuelle.
"La personne morale de droit public transmet, sans délai, à l'agent auteur du signalement les éléments de réponse communiqués par l'entreprise ou l'informe d'une absence de réponse.
"A défaut de correction des irrégularités signalées dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, la personne morale de droit public en informe l'agent auteur du signalement et peut appliquer les pénalités prévues par le contrat ou rompre le contrat, sans indemnité, aux frais et risques de l'entrepreneur.
"A défaut de respecter les obligations qui découlent du deuxième, troisième ou quatrième alinéa du présent article, la personne morale de droit public est tenue solidairement responsable des sommes dues au titre des 1° et 3° de l’article L.8222-2, dans les conditions prévues à l’article L.8222-3."