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Communication - Vichy ne veut plus de Vichy

Certaines communes - comme aujourd'hui celle de Laguiole en Aveyron (voir notre article ci-contre du 27 septembre 2012) - luttent pour récupérer le libre usage de leur nom. Mais d'autres se battent au contraire pour le faire oublier ou - plus précisément - pour faire oublier des événements qui y sont associés et dans lesquels la commune n'a aucune part de responsabilité. Gérard Charasse, député de l'Allier (groupe radical, républicain, démocrate et progressiste), vient ainsi de déposer une proposition de loi "visant à substituer, dans les communications publiques invoquant la période de l'Etat français, aux références à la ville de Vichy, l'appellation 'dictature de Pétain'".
Dans l'exposé des motifs, le député de l'Allier précise : "Tandis que, d'année en année, l'opposition des quatre-vingts parlementaires ayant voulu défendre la République reçoit un hommage grandissant, l'utilisation du nom de la ville de Vichy dans un sens négatif s'étend, allant jusqu'à prendre des formes substantivées censées désigner la trahison ou l'esprit de capitulation."
Pour sortir de cette métonymie, l'article Ier de la proposition de loi prévoit notamment que "la dénomination 'dictature de Pétain', de nature à rappeler le mode d'avènement du régime de l'Etat français et son caractère autocratique, est destinée à remplacer, dans les communications publiques, les références à la ville de Vichy". Cette dénomination est également adoptée dans les textes officiels se référant à cette période. Afin de convaincre les récalcitrants, la proposition de loi précise que toute utilisation d'une appellation du régime de l'Etat français faisant référence à la ville de Vichy ou à ses habitants, permet d'invoquer un droit de réponse, au sens de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même, le texte assimile à une imputation portant atteinte à l'honneur ou à la réputation (article 13-1 de la loi de 1881) "toute appellation tendant à assimiler le nom de la ville ou de ses habitants à des comportements de trahison, de capitulation ou d'outrage au régime républicain".
Cette proposition de loi n'est pas la première tentative législative du député de la circonscription de Vichy pour essayer de libérer le nom de la sous-préfecture de l'Allier de l'image qui s'y rattache. Gérard Charasse avait notamment déposé un texte quasi similaire en mars 2003. Avec une originalité supplémentaire : la proposition de l'époque était également signée par une vingtaine de députés, de gauche comme de droite (dont Gérard Bapt, Noël Mamère, Paul Giaccobi, Eric Raoult...). Le texte avait alors été transmis à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, qui ne l'a jamais examiné...
Peut-être la nouvelle proposition de loi poursuivra-t-elle son parcours un peu plus loin, mais son sort final semble pour le moins incertain. Sur un plan historique, la relation établie par l'article Ier entre le terme de dictature et "le mode d'avènement du régime de l'Etat français" pose problème : le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, le 10 juillet 1940, est en réalité le dernier vote parlementaire de la IIIe République, l'Assemblée nationale et le Sénat ayant été régulièrement réunis et ayant librement délibéré (d'où le vote des 80 réfractaires), malgré la pression des événements et les manœuvres en coulisses de Pierre Laval. Mais c'est surtout l'échec assuré de la mesure qui risque de refroidir les ardeurs parlementaires. En termes de communication, il est en effet douteux qu'une expression aussi profondément ancrée dans l'histoire nationale et dans l'inconscient collectif que "le régime de Vichy" puisse disparaître par la seule grâce d'un texte de loi.

Jean-Noël Escudié / PCA

Références : proposition de loi visant à substituer, dans les communications publiques invoquant la période de l'Etat français, aux références à la ville de Vichy, l'appellation "dictature de Pétain" (enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012).