Zones à faibles émissions mobilité : clarifier, avant de modifier

Le deuxième comité ministériel consacré aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) s’est tenu ce 10 juillet. Jean-Luc Moudenc et Anne-Marie Jean y ont détaillé les 25 propositions contenues dans leur rapport pour faciliter la mise en œuvre de ces zones, qui seront étudiées pendant l’été par le gouvernement. Pour l’heure, ce dernier entend continuer à clarifier l’état du droit, adoptant un nouveau vocable – "les territoires sous vigilance" – pour faciliter la compréhension du dispositif et "chasser les fake news".

Institué en octobre dernier (voir notre article du 25 octobre 2022), le comité interministériel des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m) a tenu sa deuxième réunion ce 10 juillet. L’occasion pour ses membres de prendre officiellement connaissance du rapport – riche de 25 propositions "pour allier transition écologique et justice sociale" (voir notre encadré ci-dessous) – concluant six mois de travaux conduits par Jean-Luc Moudenc, premier vice-président de France urbaine, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole, Anne-Marie Jean, vice-présidente de l’eurométropole de Strasbourg, Éric Hémar, président de l’Union des entreprises de transport et logistique de France, et Daphé Chamard-Teirlinck, chargée de projet au Secours catholique.

Pas de remise en cause des ZFE-m

Ce rapport, explique le maire Toulouse, n’entend "pas remettre en cause les ZFE-m, mais les rendre plus acceptables et supportables socialement, surtout à un moment où une grande partie de nos concitoyens est confrontée à des problèmes de pouvoir d’achat". Et de souligner que les conditions économiques actuelles "n’ont plus rien à voir avec celles de 2019", époque à laquelle a été actée la création des premières ZFE-M, dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM). "Notre obsession est d’aider nos concitoyens à être acteurs de la transition plutôt que de subir la contrainte", assure l’élu. Il évoque encore le souci de "renforcer les alternatives à la voiture individuelle", de "conforter les activités économiques" et de "réaffirmer la finalité première des ZFE-m : la santé publique" – ce que ne traduit pas le titre retenu. "L’enjeu premier, c’est la qualité de l’air", lui fait écho Anne-Marie Jean. "Un enjeu à bas bruit", mais dont le ministre de la Transition écologique rappelle qu’il serait à l’origine de "47.000 décès en 2023" et de "deux ans de perte d’espérance de vie en moyenne" en France. "La pollution ne respecte pas les moratoires", lance-t-il.

Rendez-vous en septembre

Un rapport dont Anne-Marie Jean précise qu’il sera prochainement "enrichi d’annexes, portant notamment sur la question de l’harmonisation des ZFE-m pour les professionnels", mais qui n’aura pas de suite immédiate. "Aujourd’hui, on liste les propositions et on refait l’état du droit. Les réponses seront apportées en septembre", explique Christophe Béchu. Il souligne que certaines préconisations relèvent du domaine de la loi ou du règlement, voire nécessitent d’être prises en compte en loi de finances. Et de citer notamment les préconisations visant à limiter le reste à charge, "y compris en termes d’avance", à augmenter le montant global des aides ou encore à ce que ces dernières puissent bénéficier au rétrofit (c’est en cours – voir notre article du 3 mai) ou à l’occasion. "Il est souhaitable qu’une voiture dure", insiste le ministre, alors que "80% des émissions sont liées à la construction du véhicule". 

Christophe Béchu avance encore la nécessité de prendre en compte d’autres rapports, comme celui présenté en octobre dernier par l’Assemblée nationale (voir notre article du 12 octobre 2022), ceux plus récents du Sénat (voir notre article du 14 juin) ou de l’association Respire (voir notre article du 7 juillet), ou les conclusions à venir de la mission de comparaison internationale confiée à Barbara Pompili (voir notre article du 30 mars), attendues début septembre. Sans compter une proposition de loi présentée le 7 juillet par les députés socialistes qui, contrairement au Rassemblement national (voir notre article du 12 janvier) ou à La France Insoumise, ne demandent pas la suppression des ZFE-m ou leur suspension.

Christophe Béchu observe toutefois que certaines recommandations ne demandent "que de la volonté politique", prenant exemple des dérogations "petits rouleurs", "déjà mises en place à Toulouse ou à Strasbourg". 

"Territoires de vigilance"

Pour le ministre, ce comité constituait aussi une nouvelle occasion de "faire de la pédagogie pour éviter la démagogie" (voir notre article du 10 janvier) et de "tordre le cou à des rumeurs" qui font des ZFE des "zones à forte exclusion". 

D’abord en rappelant le texte de la loi, dont il observe qu’il "prévoit deux critères : l’état de la pollution et un nombre d’habitants". Et de déplorer que l’attention se focalise sur le second alors que, comme l’indique Jean-Luc Moudenc, "le critère fondamental, c’est la pollution réelle". Le ministre décrypte : "Que dit la loi ? Qu’il y a des agglomérations qui, si elles sont en dépassement de seuil [de dioxyde d’azote], ont l’obligation de prendre des mesures pour repasser sous les seuils. Et qu’il y a des agglomérations qui, si elles ne sont pas en dépassement, n’ont aucune obligation légale à remplir, si ce n’est de définir des zones dont seront exclus au 1er janvier 2025 les seuls véhicules non classés, c’est-à-dire ceux immatriculés avant le 1er janvier 1997, soit 3% du parc." 

Ensuite, et pour "éviter les confusions", le ministre propose de ne parler de "territoires ZFE" que pour évoquer les premières, qui doivent durcir leurs normes. La France en compte cinq actuellement : Paris, Lyon, Marseille, Rouen et Strasbourg. Et il suggère de baptiser les secondes "territoires de vigilance", au sein desquels émargent les 37 agglomérations restantes, qui n’ont à ce jour "aucune obligation légale d’élargir les restrictions de circulation aux véhicules Crit’air 3". Et le ministre de préciser que "si ces listes sont vivantes", pour l’heure "seul Perpignan risque de basculer" en territoire ZFE. 

4,3 millions de véhicules exclus "au pire"

Le ministre conteste en conséquence vertement le nombre de "13 millions de véhicules qui seraient privés de mobilité en 2025" avancé par les opposants aux ZFE-m, puisqu’il prend en compte "l’ensemble du parc automobile national", et non les seuls véhicules potentiellement concernés par les ZFE-m – "Pourquoi ne pas retenir le parc européen, pendant qu’on y est ?". Il relève en outre au passage que ce nombre n’intègre pas le renouvellement de véhicules qui sera opéré d’ici 2025. 

Christophe Béchu avance ses propres calculs. Au 1er janvier 2025, en tenant compte des cinq agglomérations ne respectant pas les seuils de qualité de l’air, seuls 326.469 véhicules non classés (immatriculés avant le 1er janvier 1997) ne pourront plus circuler dans ces zones (147.043 dans les "territoires ZFE-m", le solde dans les "territoires de vigilance"). Sans amélioration d’ici là, seraient également interdits dans les "territoires ZFE-m" 67.243 véhicules Crit’air 5, 370.146 Crit’air 4 et 1.352.614 Crit’air 3. "Soit un maximum de moins de 2 millions de véhicules à ce jour" (1.937.406). Et de relever que si par malheur les 42 agglomérations de plus de 150.000 habitants devaient dépasser les seuils et restreindre en conséquence les restrictions de circulation aux véhicules Crit’air 3, "cela concernerait au maximum 4,3 millions de véhicules". Un nombre que le ministre ne sous-estime pas pour autant, en le rapprochant des "1,3 million d'immatriculations de voitures neuves" par an (1,577 million en 2022 selon les chiffres du ministère, en baisse de plus de 30% par rapport à 2019). D’où le fait que "le rétrofit et le marché de l’occasion sont cruciaux", insiste-t-il. 

 

  • Les 25 propositions du rapport

- rendre éligibles aux aides de l’État les habitants et les usagers des territoires voisins impactés par la mise en place d’une ZFE ;

- doubler les aides de l’État ;

- permettre, grâce aux aides, l’acquisition d’un véhicule d’occasion ;

- simplifier l’accès aux aides ;

- doubler les aides au report modal ;

- soutenir financièrement les acteurs territoriaux mettant en place un compte mobilité́ ;

- instaurer, avec l’intercommunalité́ comme pilote, un guichet unique dans le territoire en charge de la mise en œuvre de la ZFE pour permettre un accompagnement de proximité́ ;

- optimiser "l’aller-vers" ;

- proposer des formations aux acteurs sociaux ;

- agir sur le prêt à taux zéro et le microcrédit ;

- multiplier massivement les services express métropolitains ;

- promouvoir et rendre attractif le covoiturage ;

- accélérer le déploiement de voies dédiées au covoiturage ;

- favoriser, soutenir et garantir la pratique du vélo ;

- financer massivement les mobilités durables ;

- proposer une autorisation de circulation jusqu’en 2030 pour les véhicules Crit’Air 0, Crit’Air 1 et Crit’Air 2 pour les poids lourds et les véhicules utilitaires légers ;

- engager un processus de lisibilité́ nationale des dérogations ;

- faciliter le leasing social ;

- faciliter le réemploi ;

- faciliter le rétrofit ;

- faire évoluer la vignette Crit’Air ;

- instaurer des dérogations "petit-rouleur" ; 

- contrôler les immatriculations étrangères au même titre que les immatriculations françaises ;

- rendre compte des progrès constatés et encourager à de nouveaux effort ;

- mener des actions de communication efficaces et de proximité.