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Habitat - 150.000 logements sociaux par an : comment fait-on ?

L'objectif politique de construire 150.000 logements sociaux par an sur la durée du quinquennat est rarement remis en cause. Les acteurs du logement s'interrogent toutefois, dans un esprit constructif, sur la manière d'y parvenir. Les deuxièmes Rencontres du fonds d'épargne ont évoqué des pistes. Aucune n'est miraculeuse. Une chose est sûre : il va falloir travailler sur beaucoup de leviers et faire dans la dentelle.

"Le macro-organisme HLM va bien, il n'est pas en situation financière fragile", a confirmé Catherine Pèrenet, directrice des prêts et de l'habitat à la Caisse des Dépôts, lors des deuxièmes Rencontres du fonds d'épargne, le 13 novembre à Paris. "Il n'y a pas de sujet sur la liquidité des fonds d'épargne", avait déjà rassuré Benjamin Dubertret, directeur des fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts, en septembre dernier lors du 73e Congrès HLM, où il avait déjà été question du changement de modèle qu'implique l'objectif gouvernemental de construire 150.000 logements sociaux par an contre 90.000 aujourd'hui (voir notre article du 26 septembre 2012).
Pour mémoire, Marie-Noëlle Lienemann, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), avait alors déclaré que le mouvement HLM avait besoin d'un milliard d'euros supplémentaire pour remplir son objectif de 120.000 logements sociaux (le solde pour parvenir à 150.000 étant du ressort des Sem). L'USH avait fait ses calculs, c'était possible avec : 600 millions d'euros d'augmentation des aides publiques (dont 100 millions d'euros sollicités auprès des collectivités locales), 500 millions d'euros de subventions d'Etat ("grosso modo, la multiplication par deux des aides à la pierre") et 400 millions qui proviendraient d'une baisse de 20 points de base des taux des prêts de la Caisse des Dépôts au logement social "de 2,85% à 2,65%, par exemple" (voir notre article du 27 septembre 2012 ci-contre).

"Pas un problème de liquidités mais de coût de construction"

Le ton de Dominique Hoorens aux deuxièmes Rencontres des fonds d'épargne était naturellement moins revendicatif que celui de sa présidente un mois et demi plus tôt. Le responsable des études économiques et financières de l'USH reconnaît que "le problème n'est pas un problème de liquidités", pour aussitôt ajouter, "mais de coût de construction". Et cela, dans un contexte où "tous les partenaires ont été mis sous tension".
En dix ans, les coûts de construction ont grimpé de 85%, tandis que les loyers augmentaient de 30%. Un effet de ciseau d'autant plus inquiétant quand on sait que c'est le loyer futur qui détermine la capacité d'endettement des organismes HLM sur une opération. "Dans le modèle actuel, tout part des loyers", déplore Dominique Hoorens : la capacité d'endettement, le niveau d'emprunt, la capacité à lever des subventions et des garanties des partenaires… C'est comme cela qu'on en arrive à produire du logement social aux loyers de plus en plus élevés, alors que les revenus des locataires ont tendance à stagner (voire à baisser pour ce qui concerne les nouveaux arrivants dans le parc social, si l'on en croit le rapport 2012 de l'Onzus). Si bien qu'aujourd'hui, "c'est le patrimoine des années 70 qui assure le parc accessible", observe Dominique Hoorens.
C'est oublier aussi que le "modèle HLM" ne se réduit pas à un "modèle de production" et que la gestion des logements produits par le passé, et amortis depuis (par exemple ceux construits durant le pic des années 70), contribue à sa bonne santé financière. "Il existe une très forte relation entre la gestion et la production", insiste l'économiste de l'USH. Etienne Crépon est d'accord : "Aujourd'hui, une opération de logements sociaux ne s'équilibre qu'en mettant des fonds propres issus des loyers du parc ancien : c'est le parc amorti qui contribue à l'offre nouvelle", résume le directeur de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP, ministère de l'Ecologie).

"Il faut changer le mode de raisonnement"

"Il faut changer le mode de raisonnement : ne plus partir du loyer ", en conclut Catherine Pèrenet. Selon la directrice des prêts et de l'habitat à la Caisse des Dépôts, "la capacité d'endettement ne doit plus se définir à l'opération" mais "à partir d'une vision globale au niveau de l'opérateur". Car "si on ne regarde que les programmes neufs, on ne voit que des pertes", tandis que si on regarde "l'exploitation existante, qui repose sur les loyers du parc amorti", la perception du potentiel financier n'est plus la même.
Catherine Pèrenet invite alors à s'interroger sur l'arbitrage entre puiser dans les fonds propres et recourir à l'emprunt : "Peut-on accepter d'emprunter plus et à plus long terme, pour ne pas vendre les 'vaches à lait', sachant que ce patrimoine amorti doit être entretenu" (plus qu'entretenu, une partie de ce patrimoine, véritable passoire thermique source de charges énormes pour les habitants, devrait même être démoli et reconstruit, a expliqué Fabrice Ouvrard, directeur d'Habitat Sud Deux-Sèvres, ce qui pose encore d'autres problèmes…).
Naturellement, pour un organisme HLM, emprunter davantage signifie qu'il sera moins bien portant à l'avenir : "Acceptons-nous de faire cet effort supplémentaire durant cinq ans ?" interroge Catherine Pèrenet.
La question est posée. Elle ne répond que partiellement à la problématique ("aucun levier n'a la réponse à lui seul", a d'ailleurs conclu Catherine Pèrenet). Quant aux leviers à activer sur le terrain, le congrès HLM avait là encore ouvert les pistes : mutualiser les trésoreries des organismes, mutualiser certains achats, poursuivre les regroupements d'organismes (et en améliorer le processus), réviser les modèles de gestion de proximité, développer la conception-réalisation pour réduire les coûts de construction, développer l'usufruit locatif social, vendre des logements HLM à leurs habitants… Tout ou presque a été de nouveau cité.

Il y a coût de gestion et... coût de gestion

Interrogé sur les éventuelles économies possibles dans les coûts de gestion des organismes HLM, Dominique Hoorens a d'abord précisé qu'elles ne se résumaient pas aux frais administratifs, avant de suggérer de "voir si certaines de ces dépenses ne peuvent pas être relayées par d'autres politiques publiques. [...] Par exemple la sécurité : doit-elle être payée par les loyers des locataires ou par d'autres politiques publiques ?" Une réponse qui a bien failli clore le débat sur les coûts de gestion…
Etienne Crépon y est toutefois revenu, en y entrant par la maîtrise d'ouvrage. Il y a selon lui des économies d'échelle à réaliser, entre petits et grands organismes HLM, car l'exercice est de plus en plus compliqué et nécessite un haut niveau d'ingénierie que les petites tailles ne peuvent pas se payer. En deçà d'un certain volume de production, on peut selon lui gagner 1 à 3% sur les coûts de construction.
Autre piste, effleurée par Emmanuelle Cosse, celle du foncier. "Si on avait des EPF [établissements publics fonciers, ndlr] sur des territoires qui font sens…", a rêvé la vice-présidente du conseil régional d'Ile-de-France, chargée du logement, de l'habitat, du renouvellement urbain et de l'action foncière. Le foncier, son coût et sa disponibilité, ses outils pour le mobiliser : voici bien d'autres leviers en perspective, explorés deux jours après par le Réseau des acteurs de l'habitat et l'Adef (Association des études foncières), dans le cadre d'une rencontre intitulée "Le foncier, un verrou à la mixité sociale : quelles solutions locales et nationales ?" A lire dans notre prochaine édition.