Archives

Commande publique - Acheteurs publics : restez connectés !

Dans un arrêt du 17 octobre 2016, le Conseil d'Etat a examiné une affaire suscitant plusieurs questions : enchaînement des procédures de référés précontractuels et contractuels au regard de l'utilisation de "Télérecours", signature des candidatures et des offres, et office du juge du référé contractuel.
En l'espèce, la "plate-forme achats-finances Ouest", relevant du ministère de la Défense, avait lancé une procédure d'appel d'offres pour un marché de traitement des déchets. La société Tribord avait candidaté au lot n°2 de ce marché. A la suite du rejet de son offre, elle décida de saisir le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Rennes. Le ministre de la Défense a toutefois signé le contrat avec la société Marc, sans attendre que le juge statue. L'article L. 551-4 du Code de justice administrative (CJA) interdit pourtant au pouvoir adjudicateur de signer le contrat jusqu'à la notification de la décision du juge du référé précontractuel. Dans une telle situation et en vertu de l'article L. 551-14 du même code, la société évincée pouvait donc introduire un référé contractuel. Le juge de l'urgence a fait droit à sa demande d'annulation du contrat et le ministre de la Défense a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.

Recevabilité d'un référé contractuel et "Télérecours"

Le ministre de la Défense soutenait que la voie du référé contractuel avait été ouverte à tort à la société évincée. Selon lui, la société requérante ne lui ayant pas notifié le référé précontractuel qu'elle avait initialement introduit, elle ne pouvait pas se plaindre par la suite de la signature du contrat avant que le juge ait pu statuer. Le Conseil d'Etat a ici rappelé que si l'article R. 551-1 du CJA imposait bel et bien à l'auteur d'un référé précontractuel de le notifier au pouvoir adjudicateur, le greffe, par l'application "Télérecours", pouvait satisfaire à cette obligation. En effet, depuis le 2 décembre 2013, l'application "Télérecours" permet aux juridictions administratives et aux parties d'échanger de manière dématérialisée les pièces d'un dossier. Les parties pouvant utiliser cette application sont celles représentées par un avocat ainsi que les administrations (Etat, collectivités territoriales) et les organismes de droit privé chargés d'une mission de service public. En l'espèce, le greffe avait notifié le recours de la société évincée au ministre de la Défense qui, quelques heures plus tard, signait le contrat pour le lot n°2.
La Haute Juridiction administrative a rappelé les termes de l'article R. 611-8-2 du CJA qui dispose notamment que lorsque le juge doit statuer dans un délai inférieur à un mois, "la communication ou la notification est réputée reçue dès sa mise à disposition dans l'application". Le juge du référé précontractuel statuant dans un délai de vingt jours, le ministre de la Défense ne pouvait donc soutenir que la requête ne lui avait pas été notifiée, bien que moins de quatre heures séparaient la notification de la signature. Dès lors, le juge du référé contractuel pouvait être valablement saisi par la société évincée, faute pour le pouvoir adjudicateur de ne pas avoir respecté le délai de "stand still".
Cette affaire permet d'attirer l'attention des utilisateurs de "Télérecours" sur la nécessité d'une vérification sur l'application avant la signature d'un contrat, afin de s'assurer qu'un référé précontractuel n'ait pas été déposé : il faut rester connecté !

Signature des candidatures et des offres

En l'espèce, le ministre de la Défense avait rejeté l'offre de la société évincée pour défaut de signature du DC1 et de l'acte d'engagement. Devant le juge du référé contractuel, le pouvoir adjudicateur avait ensuite soutenu que l'offre avait été considérée comme irrégulière, non pas parce qu'elle n'était pas signée, mais parce qu'il n'avait pas pu vérifier la validité de la signature électronique. L'instruction avait toutefois révélée que la société évincée avait bien respecté la procédure relative à la signature électronique et que l'impossibilité d'en vérifier la validité n'était pas due à une erreur de sa part. Le Conseil d'Etat a donc confirmé l'irrégularité de la procédure de passation sur ce point.
A ce titre, il convient de rappeler l'évolution apportée par la réforme des marchés publics. Désormais, l'ordonnance et le décret Marchés publics n'imposent plus la signature de l'offre, ni dans la version papier, ni dans la version dématérialisée. Seul le marché public devra être signé. L'acheteur peut toutefois continuer à imposer aux soumissionnaires la signature de leur offre à condition de le mentionner dans le règlement de la consultation ou dans l'avis de publicité.

Office du juge en cas de méconnaissance du délai de "stand still"

Dans son pourvoi en cassation, le ministre de la Défense avait demandé au Conseil d'Etat, réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de la société à titre principal et à titre subsidiaire, "d'infliger à l'Etat une pénalité financière d'un montant de 1.000 euros en application des dispositions de l'article L. 551-20 du CJA". Ce dernier définit les pouvoirs du juge en cas de non-respect du délai de "stand still" par le pouvoir adjudicateur. Le juge du référé contractuel peut alors procéder à l'annulation du contrat, à sa résiliation, à la réduction de sa durée ou à l'attribution d'une pénalité financière.
Le ministre de la Défense reprochait ici au juge du référé contractuel de ne pas avoir fait usage de son pouvoir de modulation de sanction en choisissant l'annulation du contrat. Le Conseil d'Etat rappelle toutefois que cet article ne pouvait s'appliquer en l'espèce. En effet, le juge de l'urgence avait retenu, pour annuler le marché, non pas seulement la méconnaissance du délai de "stand still" mais également la perte de chance de la société évincée d'obtenir le contrat. Dans ce cas, c'est l'article L. 551-18 du CJA qui s'applique et qui impose au juge du référé de prononcer la nullité du contrat. Une dérogation est admise si l'annulation "se heurte à une raison impérieuse d'intérêt général" mais ce n'était pas le cas en l'espèce. Le juge du référé contractuel n'a donc "pas commis d'erreur de droit en ne faisant pas usage de son pouvoir de modulation de la sanction prévu par les dispositions de l'article L. 551-20 du CJA". Le pourvoi du ministre de la Défense a été rejeté.

L'Apasp

Référence :  CE, 17 octobre 2016, n°400791