Andes : "On nous a promis un héritage des Jeux, le notaire a perdu le testament"

L'Association nationale des élus en charge du sport (Andes) tenait son 27e congrès les 15 et 16 mai à Limoges. Pour Localtis, son président, Patrick Appéré, et son secrétaire général, Vincent Saulnier, reviennent sur la très difficile conjoncture budgétaire du sport.

Localtis - Comment votre association se porte-t-elle ?

Patrick Appéré - L'Andes se porte bien, d'abord sur le plan de sa vie au quotidien. Ici, devant nous à Limoges, un technicien est en train de tondre le gazon du stade Beaublanc. Dans une ville, quand un élu se pose une question du quotidien, il interroge l'Andes et on partage nos bonnes pratiques. Chacun a le souci de faire en sorte qu'on soit les meilleurs possibles sur les pratiques sportives, sur cette idée forte du sport partout et pour tous, sans que nos couleurs politiques n'apparaissent. 

Pourtant tout n'est pas rose si l'on s'éloigne de cette vie du quotidien...

Patrick Appéré - Cela fait un moment que nous alertons les fédérations sur l'après-Jeux olympiques. Avant les Jeux, nous leur avons dit que nous étions dans une parenthèse en or qu'il ne fallait pas louper. Pourtant, pendant cette période-là, il ne s'est pas passé grand-chose. Mais nous avons continué à travailler et quand les mauvaises nouvelles sont apparues, nous étions prêts. Nous nous portons bien parce que nous avons fait un travail auprès des parlementaires pour alerter sur la baisse du budget. Nous, petite structure de huit mille communes adhérentes, nous avons fait le boulot. On a bien pesé sur les débats et quand j'entends la ministre des Sports nous remercier en nous disant "heureusement que vous étiez là", c'est beaucoup de fierté. 

Le budget du sport occupe beaucoup de place dans vos débats. Quelle analyse en faites-vous ?

Patrick Appéré - On peut bien comprendre qu'il y ait une dette et il n'est pas question de vivre au-dessus de ses moyens. Seulement le sport n'a jamais vécu au-dessus de ses moyens. Avec 0,2% du budget de l'État, on n'a jamais endetté le budget du pays, on est trop petit. Et d'autant plus qu'une récente étude du Cosmos nous apprend que quand on investit un euro dans le sport, on fait treize euros d'économies dans les dépenses publiques. J'encourage Bercy à changer de braquet : plus il y aura de sport dans ce pays, moins on aura de problèmes de santé et plus on aura de cohésion sociale. C'est pas beau, ça ?

Vous portez un badge demandant que le budget du sport soit porté à 1% du budget de l'État. Est-ce le bon niveau d'investissement ?

Patrick Appéré - C'est une proposition extrêmement raisonnable si on regarde l'étude du Cosmos. Après de si beaux Jeux olympiques, avec une France fière d'elle-même, des gens heureux ensemble, ce sont des choses qu'il faut valoriser et prendre en compte dans la situation qui est la nôtre.

Vincent Saulnier - Comme le dit Patrick, ce n'est pas le sport qui est à l'origine de la dette publique, au contraire, c'est une richesse qui est de nature à faire des économies, et il faut poser cela pleinement dans le débat. 

Quelle est la réalité budgétaire du sport actuellement ?

Vincent Saulnier - Concrètement, les perspectives sont très mauvaises, à court terme comme à moyen terme. Fin avril, un décret a posé le principe d'un gel de trois milliards d'euros pour tous les ministères. Comment se fait-il que l'effort demandé pour l'ensemble du périmètre du ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative soit identique à celui demandé au ministère de l'Éducation nationale, soit plus de 90 millions d'euros ? Comment se fait-il que l'on pressente un surgel complémentaire qui va sans doute demander au ministère des Sports des efforts disproportionnés au regard du poids qu'il a dans le budget de l'État ? Cela est-il de nature à remettre en cause le Plan 5.000 équipements, alors que c'est un succès ? Aujourd'hui, on croit comprendre que l'État veut se désengager intégralement du financement du sport pour tous pour se concentrer uniquement sur le sport de haut niveau. Est-ce la politique que veut porter l'État ? Notre réalité immédiate, c'est celle-ci. 

Et à moyen terme ?

Vincent Saulnier - On a entendu comme tout un chacun qu'il y a 40 milliards d'économies à faire pour le budget de 2026. Si l'État remet en cause son engagement en faveur du sport, ce serait une hérésie quand un euro investi dans le sport génère treize euros d'économies. L'autre sujet est la question plus globale des collectivités, et on a cru entendre qu'il y aurait déjà un premier effort de 8 milliards demandé aux collectivités, après les 2,2 milliards d'efforts de la dernière loi de finances. Notre récent baromètre sur les subventions sportives [lire notre article du 12 mai] montre déjà des effets, et on peut craindre un effondrement des financements croisés, avec une contraction budgétaire très forte dans les régions et départements qui connaissent une crise systémique liée à leurs recettes.

Au-delà des aspects budgétaires, les ministres de l'Éducation nationale et des Sports cherchent à ouvrir les équipements scolaires aux clubs pour développer la pratique. Est-ce une solution ?

Patrick Appéré - C'est bien d'aller voir du côté des équipements utilisés par les scolaires, peut-être que certaines communes n'ont pas de bonnes relations avec l'Éducation nationale, mais globalement, c'est déjà fait. Et puis, les équipements sportifs appartiennent aux communes, pas aux écoles. Je ne vois donc pas comment l'école déciderait de ne pas prêter ce qui ne lui appartient pas. On laisse les équipements aux écoles en journée et le mercredi, mais le reste du temps, c'est à nous, on les prend. Dans beaucoup de villes aujourd'hui, les services font du Tétris. On peut toujours dire qu'il y a de la place dans les équipements, oui, mais de 13 à 14 heures le lundi après-midi. Si vous trouvez quelqu'un pour faire du sport à cette heure-là... Les clubs organisent tous les entraînements à peu près au même moment. À côté de ça, en ruralité, quand il y a une seule équipe de foot, la plupart du temps, le terrain ne sera pas utilisé. On ne peut pas gérer le modèle sportif qu'à partir d'un tableau Excel.

Vincent Saulnier - Il y a une expérimentation lancée dans quelques académies. On va l'apprécier, mais on pense que cela restera à la marge. On a aussi pointé les aspects réglementaires, pour mettre en sécurité juridique les responsables des établissements scolaires. Il y a une injonction paradoxale. On veut sacraliser l'équipement scolaire jusqu'à 17 heures et ensuite le rendre accessible sans difficulté. Le deuxième point est lié à l'optimisation des créneaux. On entend qu'il y a peut-être des choses à améliorer, mais globalement on s'emploie déjà à essayer d'optimiser tout cela.

Avez-vous observé un effet Jeux olympiques dans la fréquentation des clubs ?

Vincent Saulnier - Oui, il y a eu un engouement des Jeux avec une augmentation des licenciés dans un certain nombre de fédérations. Simultanément, on entend des fédérations partenaires, comme le basket, nous dire qu'elles ont refusé 180.000 licenciés depuis deux ans, avant même les Jeux. Et pour la fédération de natation, le sujet est tout simplement l'accès à des couloirs de nage alors que le parc des piscines français est aujourd'hui très obsolète et énergivore. Les limites sont là, même s'il y a eu de vrais efforts réalisés avec l'accélération donnée par les Jeux. Le plan 5.000 est un succès. Il était prévu sur trois ans, il a été réalisé sur deux ans, son déploiement est opérationnel, même s'il y a aujourd'hui un sujet budgétaire qui n'est pas anodin. Sur les équipements structurants, avec le Plan 5.000-Génération 2024, il y a plus de difficultés de mise en œuvre car on est sur des dossiers plus compliqués qu'un city stade ou un terrain de basket 3x3, avec des niveaux de décaissement différents. Je veux attirer l'attention sur l'alerte lancée par le député Benjamin Dirx selon lequel – c'est là le scandale – le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes demande l'annulation de l'ensemble des autorisations d'engagement non engagées en 2024, soit 44 millions d'euros, et des crédits de paiement non exécutés, soit 178 millions. Cela va se traduire potentiellement, nous le disons dès à présent, par une année blanche pour le sport au titre des équipements en 2026-2027. Or des engagements ont été pris, des équipements vont sortir et à un moment, il va falloir les décaisser. Et si on les décaisse en 2026-2027, on ne financera pas d'autres projets. Est-ce cela que l'État nous annonce ? Par ces actes, il contredit toutes les belles promesses de Paris 2024. On nous a promis un héritage des Jeux, mais le notaire a perdu le testament.

On le comprend, des nuages noirs s'amoncellent. N'y a-t-il pas cependant des pistes de réflexion pour revoir le financement du sport ?

Vincent Saulnier - Si, le 22 mai, à l'occasion d'une journée consacrée aux équipements sportifs au ministère des Sports, l'Andes présentera le projet "fonds Bleu" qui consiste à redéployer les certificats d'économie d'énergie (CEE). Alors que ce programme va sortir pour les quatre prochaines années, il y a sans doute une piste de financement pour les piscines en créant une fiche dédiée à ces équipements pour alimenter un fonds Bleu. Les CEE sont des outils sur lesquels on a de la visibilité et de la pérennité, sachant que la rénovation d'une piscine, c'est minimum cinq ans. Au seuil des élections municipales, il faut donner quelques marqueurs, des engagements forts aux équipes qui vont arriver. Et cela alors qu'il existe quatre cents intercommunalités rurales qui n'ont aucun équipement pour nager. Ce n'est pas parce que c'est compliqué qu'il faut s'interdire d'aller chercher d'autres sources de financement.

Une des ambitions de la réforme de la gouvernance du sport de 2019 était aussi d'avancer sur le financement privé du sport. Où en est-on ?

Patrick Appéré - L'idée à travailler aujourd'hui pour le mouvement sportif est de mieux s'engager dans l'économie sociale et solidaire du sport, pour que les clubs soient capables de conserver la notion d'intérêt général tout en construisant une économie qui leur permette de trouver des financements et de développer le sport fédéral dans les meilleures conditions. Prenons l'exemple du padel. Je connais des clubs de tennis dont la ville a construit le court de padel. Le club en a ensuite pris la gestion, a construit un modèle économique autour de cette pratique, et, grâce à cette manne financière, s'est retrouvé avec des possibilités de financement nouvelles et permanentes pour le développement du tennis. Il y a donc besoin aujourd'hui d'innovation pour créer les conditions d'un nouveau modèle économique du club.

Vincent Saulnier - On est sur une période transitoire. Alors que les clubs vont être interrogés au titre des missions de service public attendues, simultanément, ils devront résoudre l'équation économique, même si ce ne sera pas une réalité pour tous les territoires et toutes les disciplines. Le modèle de l'économie sportive et solidaire va de plus en plus émerger car on identifie clairement le club comme un acteur économique au même titre que le sport-loisir marchand. Et ce alors que, plus que jamais, les Français font du sport.

 

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