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Formation professionnelle - Apprentissage : le modèle allemand connaît les premiers signes d'essoufflement

Deuxième volet de notre enquête sur l'apprentissage en Allemagne : si le modèle "dual" a fait ses preuves, il connaît les premiers signes d'érosion, avec une baisse du nombre de contrats depuis 2013. Les jeunes privilégient les études universitaires et certaines entreprises ont tendance à fermer leurs activités de formation. Etat, patronat et syndicats tentent d'y remédier à travers une "alliance pour la formation professionnelle".

Fort de ses 1,3 million d'apprentis, le système allemand d'apprentissage, dit de "formation professionnelle" ou "système dual", attire chaque année la moitié des 850.000 jeunes allemands qui sortent de l'école, les autres se dirigeant vers des études universitaires.
530.000 nouveaux contrats sont signés chaque année. D'une durée de trois ans, ces formations, qui sont prévues pour couvrir 330 métiers, permettent aux apprentis d'avoir une pratique en entreprise (3 à 4 jours par semaine) et des cours théoriques (1 à 2 jours par semaine) en école professionnelle, l'équivalent des centres de formation d'apprentis (CFA) français. A la différence de la France, ce sont les entreprises qui sont responsables de la formation des jeunes, en même temps qu'elles assurent leur rémunération (voir aussi notre article du 17 décembre 2014). Elles peuvent ainsi former leur future main d'oeuvre, en fonction de leurs besoins. Et à la sortie du contrat, le jeune est quasiment sûr de trouver un emploi dans l'entreprise d'accueil ou ailleurs, sa formation répondant aux besoins du marché économique.
Résultat : le taux de chômage des jeunes en Allemagne est très faible, 7,5%, d'après le ministère allemand de l'Economie. Un taux bien loin de celui de la France qui frôle les 25%.

"Un certain essoufflement du système"

Pourtant, depuis quelques années, ce modèle de formation en alternance tant vanté semble en perte de vitesse. "On observe un certain essoufflement du système", affirme ainsi Mario Patuzzi, chef de division politique générale en matière de formation professionnelle et de formation continue à DGB (la fédération des syndicats allemands).
Un constat partagé par le patronat allemand. D'après Barbara Dorn, chef de la direction de la formation professionnelle au sein de la Confédération des associations patronales (BDA), "en 2013, il y a eu 4% de moins de contrats signés qu'il y a dix ans".
Les chambres de commerce et d'industrie allemandes, fortement impliquées dans le système, s'inquiètent aussi de cette tendance. D'après la chambre de commerce et d'industrie de Berlin, le nombre d'entrées en apprentissage est en effet en baisse depuis plusieurs années.
Parmi les explications : de plus en plus de jeunes souhaitent suivre des études universitaires. "De nombreux parents veulent que leurs enfants fassent des études après le bac, ils pensent que l'université est mieux que la formation professionnelle", explique-t-on au ministère de l'Economie allemand. Et souvent, la question de la rémunération entre en jeu, les étudiants universitaires étant censés gagner davantage par la suite dans leur carrière professionnelle que les apprentis. Les études de l'OCDE semblent aller dans ce sens, mais "il s'agit d'informations générales, qui ne sont pas différenciées par métier", tempère Stefan Schnorr, sous-directeur artisanat et politique de formation au ministère. "Or cela varie beaucoup en fonction des métiers exercés. Il y a des ingénieurs dans le domaine technique qui gagnent beaucoup d'argent car les entreprises ont besoin de ces professions."
Difficile d'y voir clair car aucune statistique ne fait réellement le comparatif entre les deux. Seule information disponible : durant leur formation, les apprentis sont rémunérés en moyenne 400 euros par mois. Une somme qui évolue durant les trois ans de formation et qui peut aller jusqu'à 1.000 euros.

Le nombre d'entreprises qui forment tend à baisser

Autre explication de la baisse des contrats : le nombre d'entreprises qui forment des jeunes en alternance a tendance à diminuer. En 2014, 20% des entreprises ont une activité de formation, contre 25% il y a dix ans et 30% il y a vingt ans. Le coût des formations, supporté principalement par les entreprises, explique en partie ce phénomène. Un apprenti coûte en moyenne 15.000 euros par an et par personne. "Nous essayons de convaincre les entreprises de ne pas fermer leurs activités formation. Il s'agit souvent de petites entreprises ou d'entreprises non allemandes, qui n'ont pas cette culture et qui voient surtout le coût que cela représente", explique Andreas Truglia, conseiller en formation, hôtellerie et restauration à la chambre de commerce et d'industrie de Berlin. Il faut dire que les entreprises, contrairement à ce qui se passe en France, ne reçoivent aucune aide ni prime de la part de l'état pour prendre en charge les apprentis. Par ailleurs, "ces vingt dernières années, les structures des entreprises ont changé (filiales, holding), et les activités de formation professionnelle en ont fait les frais, explique Mario Patuzzi, certaines n'ont pas besoin des apprentis pour assurer leur relève, elles recourent au travail intérimaire."
Autre problème : un grand nombre de places de formation restent vacantes (37.000 d'après le ministère de l'Economie) alors que beaucoup de jeunes ne trouvent pas de postes d'apprentis. Le nombre d'apprentis sans employeur est évalué différemment selon les acteurs concernés. Pour le ministère, les jeunes sans contrat d'apprentissage représentent 21.000 personnes. Pour les syndicats, qui font entrer dans le calcul tous les jeunes à la recherche d'un emploi, le chiffre s'établit plutôt autour de 280.000 ! L'adéquation difficile entre l'offre et la demande explique ces données. "Il y a une répartition inégale des opportunités en fonction des régions, détaille Stefan Schnorr, il y a en effet plus d'entreprises, et donc plus de places pour les apprentis, dans le sud de l'Allemagne que dans le nord."

Des formations mixant études universitaires et formation professionnelle

Le manque d'aptitude des jeunes pour entrer en formation professionnelle peut aussi expliquer ce décalage. "Aujourd'hui, les entreprises ne veulent recruter que les plus doués ; il y a un effet d'écrémage", assure Mario Patuzzi. Des programmes de transition, permettant aux jeunes d'acquérir les compétences pour suivre une formation en alternance, sont mis en place par le gouvernement. Mais pour Mario Patuzzi, ce système "sert surtout de file d'attente pour ces jeunes". "Ils y restent entre deux à quatre ans, et nombreux sont ceux qui n'auront rien, et qui seront exposés au plus grand risque sur le marché du travail."
Pour pallier cette tendance à la baisse de l'apprentissage, une "alliance pour la formation professionnelle", entre le gouvernement, les syndicats et le patronat est en cours de négociation, qui ferait suite à un premier pacte national sur le sujet. Destinée à relancer cette voie, l'alliance nécessite toutefois de mettre tout le monde d'accord, ce qui n'est pas encore le cas. Le ministère espère pouvoir la finaliser en début d'année 2015. Pour les syndicats, les choses sont plus compliquées. Le DGB demande ainsi la mise en place d'une garantie de formation pour les jeunes. Par ce biais, des offres de places seraient proposées aux jeunes par l'agence fédérale pour l'emploi. Le patronat n'est quant à lui pas du tout prêt à accepter cette proposition, qui limiterait la liberté des entreprises dans ce domaine…
Quoi qu'il en soit, les acteurs se mobilisent pour tenter d'endiguer la baisse. Des formations pour les personnes immigrées sont ainsi proposées et de nouveaux types de formation sont expérimentés. Le patronat travaille ainsi avec les universités sur des programmes mixant les études universitaires et la formation professionnelle. 60.000 jeunes suivent déjà ces formations, contre 3.000 il y a dix ans. "Nous avons tendance à enchevêtrer les deux mondes, mais dans certains domaines seulement, explique Barbara Dorn, nous espérons que cela va se développer encore."

Emilie Zapalski, à Berlin

Les jeunes et l'apprentissage en France
D'après un sondage OpinionWay pour Agefa PME, publié en novembre 2014, 91% des jeunes français ont une bonne image de l'apprentissage et des formations en alternance. Ils considèrent en majorité (95%) que l'apprentissage leur permet d'apprendre les codes de l'entreprise, mais aussi de se confronter aux réalités de l'entreprise (94%), de s'autonomiser plus vite de leurs parents (84%) et de trouver un emploi plus facilement (81%). 89% des jeunes interrogés, apprentis ou anciens apprentis, sont satisfaits de leur formation. La formation en apprentissage leur a été utile pour comprendre le fonctionnement d'une entreprise (97%), apprendre un métier (92%) et avoir confiance en eux et en leurs capacités professionnelles (84%).

E.Z.

 

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