Avec la CNIe, l'État imagine un écosystème de services de confiance

Août 2021. La date butoir pour déployer la carte nationale d'identité électronique (CNIe) est celle fixée par le règlement européen de juin 2019. D'ici là, l'État espère enfin bâtir l'offre de services d'identité sécurisés promise depuis plus de dix ans.

Après plus de dix ans d'atermoiements - les archives de Localtis en attestent, voir nos articles ci-dessous... -, la carte nationale d'identité électronique (CNIe) devrait enfin voir le jour. Au format carte bancaire, les premiers exemplaires devraient être délivrés en août 2021, a confirmé le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, le 31 janvier dernier à Lille. Aux côtés du permis de conduire, de la carte vitale et de la carte de séjour, ce titre "à puce" devrait être généralisé en 2022.
Un calendrier serré contraint par le règlement européen du 20 juin 2019. Ce texte impose en effet à l'ensemble des pays européens de créer une identité numérique régalienne sécurisée et interopérable d'ici août 2021. En pratique, ce titre ne devrait pas être très différent du passeport biométrique en embarquant, sur une puce "sans contact", la photo et deux empreintes digitales.

La CNIe complémentaire de France connect 

Cette carte d'identité, le gouvernement l'imagine comme le maillon central d'une offre de services de confiance, publics comme privés. Interrogé en novembre dernier par la mission identité numérique de l'Assemblée nationale, Fabrice Mattatia, conseiller identité numérique pour le ministère de l'Intérieur, expliquait que ce titre vient d'abord compléter l'offre en rendant possible "une authentification en ligne forte", permettant par exemple de réaliser un dépôt de plainte en ligne ou de permis de construire, voire de signer une donation ou d'effectuer des démarches liées à l'état civil.
Le dispositif France connect, adopté par plus de 10 millions de français pour accéder à des services administratifs en ligne, évite aux usagers de mémoriser d'innombrables identifiants et mots de passe, mais n'est pas adapté à des procédures exigeant une authentification forte. Pour un acte notarié ou un prêt bancaire, il faut en effet que l'utilisateur puisse prouver qu'il est bien celui qu'il prétend être.
Cette CNIe pourra donc fournir une identité pivot (comme le passeport) à d'autres dispositifs d'authentification forts, proposés par le secteur public ou privé. Parmi ceux-ci, Alicem, le très critiqué système d'authentification par reconnaissance faciale sur mobile conçu par l'ANTS  (voir notre article) qui est pour le moment toujours en attente. Quel que soit le devenir d'Alicem, la vocation de la CNIe est cependant d'être pleinement interopérable avec les systèmes d'identification/ authentification privés des industriels européens, "pour être en mesure de contrer les Gafam qui ont les moyens de proposer des systèmes d'authentification forts pouvant rivaliser avec ceux des États".  À ce titre, la CNIe figure en bonne place dans le contrat de filière signé par l'État fin janvier avec les industriels de la sécurité (lire notre encadré ci-dessous). 

Le risque des bugs au démarrage

À court terme, la diffusion de la nouvelle CNIe suscite des interrogations au niveau des communes. La nouvelle carte sera en effet délivrée par les mêmes canaux qu'actuellement, et notamment les 2.157 communes équipées de stations d'acquisition des données biométriques, au nombre de 3.833 selon le rapport de la loi de finances pour 2020. Aussi la CNIe demandera-t-elle une évolution de l'application "titre électronique sécurisé" (TES), d'ores et déjà utilisée pour les passeports biométriques et, plus prosaïquement, des compensations financières versées par l'État aux communes pour l'exercice de cette mission.
Parmi les autres questions en suspens, on notera aussi l'effort financier demandé aux usagers, la CNIe étant logiquement plus coûteuse à produire que sa version actuelle. En novembre 2019, le sénateur Jérôme Bascher (LR) plaidait pour que la nouvelle CNIe "représente un budget raisonnable pour nos concitoyens" et ne se traduise pas – comme cela s'était produit pour les passeports – par des délais à rallonge pour l'obtenir. Le sénateur Michel Dagbert (PS) s'inquiétait pour sa part des habitants des communes rurales qui doivent faire des kilomètres pour obtenir ces sésames et plaidait, comme le propose la Cnil, pour "des méthodes alternatives d'identification, comme un face-à-face en préfecture ou en mairie, ou un appel vidéo en direct avec un agent de l'ANTS".

La CNIe dans le contrat de filière

A l'occasion d'un déplacement à Lille, le ministère de l'Intérieur a signé fin janvier avec les industriels de la sécurité un contrat stratégique de filière  sur des thématiques qui intéressent directement les territoires : 

  • Sécurité des grands événements et des JO Paris 2024 : sites olympiques, transports, fan zone… 
  • Cybersécurité et sécurité de l'internet des objets : fédération des acteurs, promotion d'une approche RGPD, label France Cybersecurity...
  • Identité numérique : développer une offre française de l’identité numérique, dérivation de l’identité régalienne (la CNIe), création de services et promotion des usages
  • Territoires de confiance : assurer un leadership français éthique sur la sécurité de la ville intelligente et connectée, au travers de solutions globales pour les collectivités et les sites (expérimentations sur un territoire urbain et dans le secteur de la santé)
  • Numérique de confiance : structurer des offres industrielles de confiance compétitives pour répondre aux besoins des entreprises et de l’État dans le numérique, notamment dans le domaine du cloud computing.