Carole Delga : "La décentralisation est l'une des réponses à la crise"
Développement économique et industrie, transition écologique, cohésion des territoires, mobilités, éducation… A l'approche du congrès de Régions de France, Carole Delga, présidente de l'association et présidente de la région Occitanie, évoque pour Localtis les problématiques auxquelles sont aujourd'hui confrontées les régions dans leurs principaux champs d'action. L'exigence d'une décentralisation renforcée est plus que jamais d'actualité. Sauf qu'à l'heure du projet de loi de finances pour 2026 – mais aussi de la maquette budgétaire présentée par la Commission européenne –, l'élue craint des reculs en termes de moyens d'intervention.
© Régions de France/ Carole Delga
Localtis – Alors que le Premier ministre annonce un projet de loi sur la décentralisation pour le mois de décembre et entend dans ce cadre identifier "un seul responsable par politique publique", quelles sont les priorités portées par Régions de France sur le terrain ?
Carole Delga – Les régions de France n'ont cessé de plaider pour un nouvel acte ambitieux de décentralisation et de renforcement des libertés locales. Notre pays est l'un des plus centralisés d'Europe. L'Etat peine à se réformer et à gérer efficacement l'ensemble des politiques publiques. Les régions ont démontré leur capacité à mener des politiques publiques au plus près du terrain qui transforment la vie de nos concitoyens. C'est le cas en matière de mobilité, de formation, d'emploi, de développement économique ou encore d'éducation et de santé. Nous sommes à la pointe des solutions pour l’efficacité budgétaire, la réactivité et l’adaptabilité de la décision. Le temps est enfin venu de faire confiance aux territoires ! La décentralisation est l'une des réponses fortes à la profonde crise de confiance et budgétaire que nous traversons.
Jusqu’au faut-il aller en matière de décentralisation des aides aux entreprises ?
Même s'il peut y avoir débat sur le montant des aides aux entreprises – un rapport sénatorial évoque un chiffre de 211 milliards d'euros –, il ne fait aucun doute que les régions sont en position de mieux les gérer, notamment en ce qui concerne les conditionnalités en termes d'emploi ou d'investissement. Par ailleurs, en raison de leur connaissance fine des bassins d'emplois et des acteurs industriels, les régions peuvent mieux cibler ces interventions. On supprimerait ainsi des doublons qui coûtent cher, et l'État pourrait se concentrer sur une stratégie économique forte à moyen-long terme, à l’heure où nous sommes confrontés à une guerre commerciale mondiale. Nous demandons également de longue date une compétence pleine et entière en matière d'orientation des élèves. Les régions assureraient ainsi un continuum logique de compétences alliant éducation-orientation-formation-emploi.
La copie initiale du projet de loi de finances pour 2026 reprend pour une bonne part les mesures d'économies annoncées en juillet par François Bayrou. Entre le Dilico et la réinstauration d'une part régionale de DGF en lieu et place d'une fraction de TVA… on peut supposer que vous allez batailler sur pas mal de points ?
La copie budgétaire qui nous a été présentée est tout simplement inacceptable. L'effort global demandé aux collectivités territoriales (4,7 milliards pour 2026) est disproportionné, soit 15% de l’effort national, sans aucun rapport avec notre poids dans la dette publique (environ 6%). Les présidentes et présidents de région, qui ont le sens des responsabilités et une pleine conscience de la situation de notre pays, plaident pour un effort – raisonnable – de 2 milliards. Dans le détail, nous nous opposons fortement au retour à une DGF des régions à la place d'une fraction de TVA. Cette mesure technocratique imaginée par Bercy, sans aucune concertation, constitue un recul majeur. Il en va de même de la nouvelle baisse de la Dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCRTP) qui est ciblée sur une poignée de régions – les plus pauvres ! Quant au Dilico 2, les modalités de reversement se trouvent conditionnées à des encadrements de dépenses tout à fait ubuesques, qui font que les 500 millions ne seront jamais redistribués. C’est un regret. À ce stade, le PLF 2026 et la hausse des cotisations pour les collectivités se traduisent par un impact de 925 millions d'euros pour les régions : c’est l’équivalent de l’acquisition de 75 trains ou de dizaines de milliers de communes qui ne seront plus aidées !
Alors que la Cour des comptes, dans son premier rapport public annuel consacré à la transition écologique, reconnaît le rôle des régions comme cheffes de file sur la plupart des volets de cette transition, comment peuvent-elles selon vous conforter ce rôle face aux multiples enjeux posés par l’adaptation au changement climatique ?
Les régions ont pris de l’ampleur sur les politiques environnementales et énergétiques, où leur échelle d’action permet de mobiliser et d’aligner les parties prenantes autour d’objectifs partagés face aux multiples défis du changement climatique. Aucune région n’est épargnée : de façon transversale, les régions investissent en moyenne plus de 18 euros par an et par habitant, avec des succès très reconnus. Je souhaite que le rôle stratégique et coordonnateur des régions dans la planification écologique, tout comme leurs responsabilités très opérationnelles, par exemple en matière de politique d’aires protégées, soient pleinement assurés et dotés par la loi, et qu'on nous permette d'agir davantage pour concilier transition écologique et développement économique. Le coût économique et social de l'inaction ou de la mal adaptation est très élevé. Les régions accompagnent déjà très concrètement les territoires et les filières impactés via des appels à manifestation d'intérêt et des études de vulnérabilités pour ouvrir sur des perspectives de diversification.
Quelles sont vos principales craintes sur l’avenir de la politique de cohésion et de la PAC ?
La présidente de la Commission européenne a dévoilé en juillet dernier un Cadre Financier Pluriannuel pour la période post-2027. Cette maquette budgétaire nous inquiète au plus haut point. D'abord, sur les montants car il y a un fort risque de diminution des enveloppes destinées à la PAC, à la pêche-aquaculture et à la politique de cohésion, qui sont trois politiques structurantes de l'UE sur des secteurs stratégiques : la souveraineté agricole et alimentaire d'une part, la cohésion des territoires de l'autre. Nous nous battrons pour obtenir des garanties en la matière. Sur le plan de la gouvernance, la commission propose une forme de recentralisation au niveau de l'Etat qui ne nous convient pas. Les régions ont acquis une expérience solide en matière de gestion des fonds européens. Sur la période précédente, 2014-2020, le taux de consommation a été supérieur à 99% ! J'ai par ailleurs demandé à ce qu'on réalise une étude flash pour établir la réalité du niveau de la programmation et de la consommation sur la période en cours, qui est tout à fait satisfaisante. Les régions de France sont donc attachées à conserver un cadre d’intervention régionale pour l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion de ces politiques historiques à fort impact territorial et sauvegarder une Europe tournée vers l'action et l'investissement sur les territoires qui ne soit pas seulement un ensemble de normes à respecter.
Vous aviez appelé en juin à "révolutionner" le financement du rail pour sauver les petites lignes. Pensez-vous que les propositions retenues à l’issue de la conférence Ambition France Transports soient suffisantes pour financer la modernisation des infrastructures et maintenir les dessertes ferroviaires sur l’ensemble du territoire ? Et en termes de mobilités toujours… les projets de SERM semblent aujourd’hui freinés par le manque de moyens financiers. Quelles sont vos attentes en la matière ?
Les régions se sont fortement engagées en faveur de la mobilité, en doublant leurs investissements depuis 2018 (4,6 milliards d'euros en 2024). Le succès est au rendez-vous avec une forte hausse de la fréquentation des TER (+10% par an ces dernières années). Il nous faut cependant aller plus loin pour permettre la mise en place des SERM, sauver les "petites lignes" et poursuivre le désenclavement économique par les lignes à grande vitesse. La conférence Ambition France Transports, pilotée par Dominique Bussereau, a accompli un travail remarquable au début de l'été dernier. Le ministre Philippe Tabarot avait effectué un certain nombre d'annonces lors de la remise du rapport. Nous sommes depuis en attente d'une loi-cadre permettant notamment de flécher les ressources tirées du renouvellement à venir des concessions autoroutières, notamment vers les SERM, qui demeurent à ce stade dépourvus de financements clairs. Nous défendons également la possibilité de mettre en place une écotaxe pour les poids lourd en transit international et d'affecter au financement des transports une partie des ETS 2. En tant que premier utilisateur et exploitant du réseau ferré national, nous souhaitons être associés davantage à l’écriture de ce projet de loi-cadre.
Entre la rénovation énergétique des lycées, la sécurité des établissements, l'évolution de la carte des formations et la décentralisation de l’orientation… les régions ont de nombreux chantiers en cours dans le champ de l’éducation. Quelles sont aujourd'hui les priorités définies par Régions de France ?
Le cadre budgétaire restreint nous a imposé de renforcer notre capacité d'adaptation et d'innovation. Notre pays connaît à la fois des zones de déclin démographique et d'autres où la croissance se poursuit. Nous construisons et nous reconfigurons pour mieux répondre aux besoins des citoyens. Nous innovons aussi pour réduire considérablement le coût de la rentrée scolaire par la mise à disposition de matériel. En 2025, les régions ont consacré 7,9 milliards d'euros en faveur de l'enseignement des lycéens et des étudiants. C'est le deuxième poste de dépenses de nos budgets.
Alors que l’investissement régional est à la peine, faut-il enclencher un changement d’échelle pour soutenir l’industrie ? La nomination d'un élu local au ministère délégué à l'industrie est-elle pour vous un bon signal ?
Nous nous réjouissons de la nomination au gouvernement d'élus locaux connaissant bien les enjeux et les réalités de nos territoires, qu'ils soient ruraux ou urbains. S'agissant de l'industrie, le nouveau ministre Sébastien Martin sait la force du couple intercommunalité-région dans la défense et la promotion de notre tissu industriel. Je souhaite qu'il puisse obtenir d'aller plus loin dans la déconcentration et la décentralisation des aides économiques.
Plusieurs régions (Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Normandie…) ont mis en place des fonds qui visent à mobiliser l’épargne régionale. Quel premier bilan en tirez-vous ?
Nous tirons de ces initiatives un bilan positif dans la mesure où elles permettent aux Françaises et aux Français, selon différentes modalités, d’utiliser leur épargne pour investir dans les entreprises en développement de leur région et pour financer des projets qui n'attirent pas toujours l'attention des grands réseaux bancaires. Encore une fois, les régions ont démontré, dans ce domaine comme dans d'autres, leurs capacités à innover, à créer du lien et à trouver des réponses très concrètes aux défis de notre temps.
> En prévision du 21e Congrès des Régions, organisé jeudi 6 novembre au Palais des Congrès de Versailles (et pouvant être suivi en direct sur le site internet de Régions de France), Localtis publiera au fil de ses prochaines éditions trois autres interviews d'élus régionaux. |