Commande publique - Centres d'entretien routiers en PPP : critère de complexité non rempli, contrat annulé !
Par une décision du 6 novembre 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le contrat de partenariat conclu en 2010 par l'Etat en vue du financement, de la conception, de la construction, de l'entretien, de la maintenance et de la gestion de 63 centres d'entretien et d'intervention (CEI) du réseau routier national.
Dans les faits, tout remonte, dans le cadre de la loi de décentralisation du 13 août 2004, au transfert aux départements de la gestion de 18.700 km de routes et de 950 CEI. Ce transfert impliquait une réorganisation territoriale des services du ministère de l'Ecologie avec la construction de 63 nouveaux CEI pour la gestion des 9.248 km de routes nationales et 3.000 km d'autoroutes restant à la charge de l'Etat.
Pour la réalisation de ce projet, le ministère avait décidé de recourir à la procédure du contrat de partenariat et avait sollicité l'avis de la mission d'appui aux partenariats public-privé (Mappp), avis qui s'était avéré favorable. Un avis d'appel public à la concurrence fut alors lancé selon la procédure du dialogue compétitif, laquelle a abouti à la conclusion d'un contrat de partenariat avec la société Eirenea SAS.
Contestant cette décision, le Conseil national de l'ordre des architectes saisissait le tribunal administratif en vue de l'annulation de la décision d'attribution du contrat de partenariat, estimant que le choix d'opter pour un tel contrat n'était pas justifié dans la mesure où la condition de complexité prévue par l'ordonnance du 17 juin 2004 n'était pas remplie.
La question posée aux juges administratifs concernait donc la réalisation de la condition de complexité exigée pour le recours à la procédure du contrat de partenariat. Cette condition était-elle remplie ?
Complexité technique intrinsèque ou complexité des conditions d'exécution ?
Les juges administratifs vont répondre par la négative sur le fondement des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance, selon lesquelles la complexité est l'une des conditions permettant le recours au contrat de partenariat, procédure dérogatoire au droit commun de la commande publique. Cette condition se traduit par l'incapacité objective de la personne publique "à définir, seule et à l'avance, les moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet […]". Les juges précisent également que "la démonstration de cette impossibilité incombe à la personne publique et ne saurait se limiter à l'invocation des difficultés inhérentes à tout projet".
L'Etat estimait que le recours au contrat de partenariat était justifié au regard du critère de complexité et ce, sur le fondement de plusieurs arguments. Tout d'abord, celui de la complexité organisationnelle jugée "incontestable" par le ministère au vu de l'ampleur du projet et des ressources insuffisantes pour en assurer la réalisation. Mais le tribunal administratif va balayer cet argument, considérant que si le projet se caractérisait par une "lourdeur alléguée", il ne comportait en revanche "aucune innovation ou complexité technique particulière" dès lors qu'il ne portait "que sur la construction de bâtiments largement standardisés non soumis à des contraintes géophysiques et architecturales particulières". Ainsi, le fait de devoir réaliser et gérer 63 CEI de manière simultanée, sur une multitude de sites variés à travers la France et ce, dans un délai restreint de 26 mois, ne constituait pas une complexité technique intrinsèque du projet.
Par ailleurs, l'argument selon lequel les moyens dont disposait le ministère avaient "sensiblement diminué du fait de la réorganisation des services" induite par les nouvelles répartitions de compétences ne saurait être davantage accepté. En effet, cette circonstance porte sur la phase d'exécution de l'opération, "phase étrangère à la question de savoir si la personne publique était à même de procéder à la définition des moyens techniques permettant de répondre à ses besoins", précisent les juges administratifs. L'article 2 de l'ordonnance ne concerne donc pas la complexité des conditions d'exécution d'un projet mais fait uniquement référence à la complexité technique intrinsèque de celui-ci.
Impossibilité pour la personne publique de définir seule et à l'avance ses besoins
Le ministère considérait également que le haut niveau de performance énergétique souhaité pour ces centres d'entretien lui permettait de recourir au contrat de partenariat et au dialogue compétitif, ceux-ci lui ayant même permis "d'aller au-delà des exigences" et d'obtenir divers labels pour la réalisation des ouvrages. En premier lieu, les juges administratifs vont admettre qu'il s'agit bien là d'une complexité technique intrinsèque au projet. Cependant, ils vont ensuite rejeter cet argument, relevant que le ministère n'a pas su démontrer qu'il n'était pas en mesure de déterminer, seul et à l'avance, le niveau d'exigence requis s'agissant de la performance énergétique puisqu'"il ressort des pièces du dossier qu'une telle démarche n'était pas étrangère aux services du ministère chargé de l'Environnement pour la construction de ces bâtiments". Par ailleurs, le fait que le dialogue compétitif "ait permis d'aller au-delà de ces exigences, ne démontre pas en soi l'impossibilité qu'aurait eu le ministère de formuler les spécificités techniques du projet en termes de performance énergétique".
En dernier lieu, la juridiction administrative va écarter l'argument de la complexité du montage juridique et financier du projet en estimant, sur la base du rapport préalable et de l'avis de la Mappp, "que les transferts et partages de risque étaient identifiés, […] que le projet ne nécessitait pas de financement structuré et complexe", ni même que seul le contrat de partenariat permettait une approche en coût global.
La décision permettant le recours au contrat de partenariat est annulée et le PPP est résilié. La gravité du recours illégal à ce type de contrat et l'absence de régularisation possible due au fait que les bâtiments sont d'ores et déjà construits, ne permettaient en effet qu'une seule sanction, celle de la résiliation du contrat qui devait perdurer durant encore 28 ans s'agissant de la maintenance et de la gestion des CEI. Toutefois, dans un souci de continuité du service public routier, la résiliation ne prendra effet qu'à compter du 1er juillet 2015, à moins que le ministère ne décide d'interjeter appel du jugement…
L'Apasp
Référence : tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 6 novembre 2014, n° 1205030 (lien vers le texte du jugement tel que mis en ligne par la rédaction du site lemoniteur.fr)