Cloud et IA : l'Arcep appelle à une régulation européenne plus ambitieuse
Sans maîtrise du cloud et de l'IA, l'Europe risque d'accroitre ses dépendances numériques. Face à ce risque, l'Arcep appelle l'Europe à mettre en œuvre une régulation pro-investissement, inspirée des télécoms, intégrant toute la chaine de valeur numérique, l'IA générative et les enjeux environnementaux.

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L'Arcep s'est invitée dans le débat sur la souveraineté numérique en publiant le 3 juillet 2025 une contribution à une consultation publique organisée par Bruxelles sur la régulation du cloud et de l'IA. Avec pour fil conducteur la nécessité d'une approche globale de la chaine de valeur numérique, des centres de données à l'IA générative en passant par le cloud et la maitrise de l'empreinte environnementale du numérique.
De nouvelles dépendances numériques
Faute d'investissements et d'un cadre réglementaire suffisamment anticipé, l'Europe est aujourd'hui massivement dépendante des solutions américaines dans le domaine du cloud et des logiciels. Cette dépendance s'accompagne de phénomènes de verrouillage du marché par quelques "hyper-scallers" qui multiplient les barrières pour enfermer leurs utilisateurs dans leurs solutions.
Les tendances qui se dessinent sur les services d'IA ne sont guère plus réjouissantes. Les modèles d'intelligence artificielle les plus performants sont développés par une poignée d'acteurs américains contrôlant toute la chaîne de valeur. Cette concentration verticale crée des rapports de force défavorables aux challengers européens. L'accès aux ressources essentielles du numérique – centres de données, puissance de calcul, licences, compétences… - devient de plus en plus difficile pour les entreprises qui ne font pas partie de l'écosystème dominant.
Répliquer le modèle des télécoms au cloud et à l'IA
Pour rattraper le retard européen, l'Arcep propose de s'inspirer des télécoms. Elle souligne le succès de la régulation des télécoms qui a permis d'assurer à l'Europe un haut niveau d'investissement (50 milliards par an), de déployer une infrastructure fibre performante et un écosystème d'opérateurs diversifié. Or, comme les télécoms il y a vingt ans, les infrastructures cloud et IA "nécessitent des capitaux importants et une vision de long terme" pointe l'Arcep.
Concrètement, il s'agirait de favoriser le co-investissement et de mettre en place des aides publiques ciblées pour créer un effet de levier sur le marché ou pallier les carences géographiques des acteurs privés. Elle appelle aussi à la mise en place d'un cadre réglementaire "stable et prévisible "pour rassurer les investisseurs européens sur le long terme.
L'Arcep insiste ensuite sur l'urgence d'appliquer le Digital Markets Act (DMA) aux services cloud pour conférer aux leaders du cloud américains le statut de "gatekeepers", autrement dit de plateformes soumises à des obligations renforcées de transparence et d'interopérabilité. L'Arcep suggère aussi de faire converger la stratégie énergétique de l'UE avec les projets d'infrastructures numériques particulièrement énergivores. Elle incite à orienter les investissements en priorité vers les datacenters optimisés pour l'IA et respectueux de l'environnement.
Réglementer davantage l'IA générative
Sur l'IA, l'Arcep appelle à une surveillance renforcée des services d'IA générative avant qu'ils ne viennent renforcer des positions déjà dominantes. Elle s'inquiète plus particulièrement de "l'IA agentique" (IA multi-tâches/ multi-applications) qui pourrait renforcer la dépendance aux éditeurs américains. Au-delà de la portabilité du cloud, elle demande d'introduire des garanties sur la "portabilité des modèles d'IA", notamment quand un modèle fait l'objet d'une adaptation par l'utilisateur, comme l'entrainement sur ses propres données. Il s'agirait aussi de réguler les API (connecteurs) des IA pour s'assurer de leur bon fonctionnement sur différentes plateformes cloud.
Elle invite enfin l'Europe à se différencier du reste du monde en utilisant le levier environnemental. L'Arcep suggère de promouvoir les modèles d'IA "légers et spécialisés" et d'adopter à l'échelle européenne les référentiels déjà en vigueur en France en matière d'écoconception des services numériques et d'IA frugale. Elle propose également une approche sous forme de "communs numériques" comme alternative aux solutions propriétaires.
IA act : Les leaders européens de l'IA veulent une pauseSi l'Arcep veut davantage de régulation de l'IA, les entreprises européennes en veulent moins. Dans une lettre ouverte publiée le 3 juillet 2025, 45 grands groupes et entreprises technologiques européennes ont appelé la Commission à instaurer une "pause" de deux ans dans la mise en œuvre des principales obligations du règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act). Les signataires, regroupés sous l’initiative "EU Champions", estiment que la législation, telle qu’elle doit entrer en vigueur le 2 août 2025 pour les modèles d'IA à usage général, menace la capacité de l'Europe à rester compétitive face aux États-Unis ou à la Chine. Pour mémoire, Bruxelles planche sur des obligations de transparence et un guide de bonnes pratiques pour les IA génératives. Celles-ci auraient dues être publiées en mai pour entrer en application le 2 août. |