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Sport - Clubs professionnels et collectivités : une relation à rééquilibrer

Les premières auditions de la mission sénatoriale sur le sport professionnel ont notamment permis de plaider pour un rééquilibrage des relations entre clubs professionnels et collectivités. Qu'il s'agisse de contrôle des subventions ou de redevance d'utilisation des équipements, les collectivités n'ont en effet pas toujours de prise directe sur les clubs qu'elles soutiennent... Ces propositions pourraient inspirer la future loi de modernisation du sport.

Prévue pour le premier trimestre 2014, la loi-cadre de modernisation du sport a allumé de nombreux foyers. Conseil national du sport, commission Glavany pour un "football durable", mission d'évaluation interne au ministère des Sports, rapports Huet-Juanico et Braillard-Buffet-Deguilhem-Huet à l'Assemblée nationale... Dans ce foisonnement, le Sénat y va de sa contribution : la mission commune d'information  sur les rapports entre le sport professionnel et les collectivités locales, qui s'est constituée à la mi-octobre (voir notre article du 17 octobre), a mené ses premières auditions le 31 octobre.
Premiers à prendre la parole, Michel-Pierre Prat, conseiller à la Cour des comptes, et Alain Serres, conseiller à la chambre régionale des comptes de Languedoc-Roussillon, auteurs en 2009 du rapport "Les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels", ont rapidement fait émerger deux thèmes centraux : celui du contrôle des subventions, d'une part, celui de la redevance d'utilisation des équipements, de l'autre. Le tout dans un rapport de force financier que les deux magistrats ont qualifié de "globalement défavorable pour les collectivités locales."

Subventions : les clubs pointés du doigt

Sur le volet subventions, Michel-Pierre Prat et Alain Serres avaient déjà, en 2009, recommandé aux collectivités territoriales de définir avant toute chose un outil de suivi sous la forme d'une convention. Car les problèmes concernant les subventions sont multiples. "Très souvent, les collectivités se trouvent dans une situation où elles ne peuvent pas faire autrement que de soutenir le club, et dans une situation de faiblesse car elles n'ont pas une connaissance approfondie de l'utilisation faite de leurs concours financiers. Un premier problème se pose car plusieurs collectivités participent au financement d'un club. Faute de se réunir avec le club, elles ne savent pas, prises isolément, si elles vont dépasser ou non les montants autorisés [2,3 millions pour les subventions au titre des missions d'intérêt général ; 1,6 million pour les prestations de services, ndlr]. On ne sait même pas si ce plafond est hors taxes ou TTC, les textes ne le précisent pas !", explique Alain Serres, qui cite, entre autres abus constatés, le cas du club de rugby de Montpellier qui a vu la subvention de son centre de formation multipliée par dix l'année où le club était en difficulté...
Egalement auditionné par le Sénat, Stanislas Bourron, sous-directeur à la direction générale des collectivités locales, confirme que la DGCL n'a "pas de chiffrage" sur les sommes versées par les collectivités aux clubs professionnels et note que si les plafonds de subventions autorisées sont "assez satisfaisants", il existe "parfois des interrogations sur les conditions concrètes d'application de ce droit". En cause donc, des clubs qui rendent mal compte de l'utilisation des subventions publiques.

Une convention simple

La convention proposée par les deux magistrats fixerait des objectifs extrêmement précis, évaluables. Il s'agirait, selon Michel-Pierre Prat, d'"une convention simple, avec l'obligation de rendre compte devant l'assemblée délibérante, qui faciliterait grandement les choses et ne mettrait pas le maire dans une position défavorable. Dans les quelques endroits où cela s'est fait, il y a une amélioration". Bien entendu, une telle évaluation conditionnerait le versement des subventions pour les années suivantes. "S'il y avait un élément à mettre dans un texte, ce serait au moins cela. Cela permettrait de mettre en œuvre un équilibre des relations. Cela permettrait aussi aux clubs d'avoir une garantie des engagements de la part des collectivités", a plaidé Michel-Pierre Prat devant le Sénat.
Alain Dufau, sénateur du Vaucluse, verrait une telle mesure d'un bon œil : "Le phénomène majeur qui nous préoccupe est le manque d'appareil de suivi. Que se passe-t-il sur le terrain ? Il y a une assemblée générale du club par an. C'est à peu près le seul moment où les élus sont invités. Et si le commissaire aux comptes signale un déficit, les collectivités sont automatiquement appelées pour boucher ce déficit. C'est comme ça que ça se passe, je vous le garantis !"

Redevances : beaucoup d'anomalies

Le cas des redevances pour l'utilisation des équipements sportifs - qui appartiennent au bloc communal pour 85% des cas - pose des problèmes symétriques : si les bases juridiques de la fixation des redevances existent, leur application est souvent biaisée par le rapport de force défavorable entre collectivités et clubs. "Comment fixe-t-on la redevance ?, s'est interrogé Alain Serres. On sait, par la jurisprudence, qu'une part fixe correspond à l'amortissement de l'équipement et au prorata de l'occupation pour les frais d'entretien et de fonctionnement, et qu'une part variable peut être constituée du produit de l'utilisation : recettes de billetterie, etc. On sait donc comment faire, mais ce mode de calcul n'est pas fixé par un texte. Peut-être faudrait-il imaginer de donner des indications aux collectivités locales pour fixer les redevances d'occupation de leurs équipements."
Au sujet des redevances encore, "nous avons observé beaucoup d'anomalies, a pointé Michel-Pierre Prat. Soit les mises à disposition étaient quasiment gratuites, soit aucune convention n'existait pour l'utilisation de ces installations, et cela était source de difficultés et de conflits". Au Stade vélodrome de Marseille, alors que les travaux en vue de l'Euro 2016 ont gelé environ un quart des places, le montant de la redevance a par exemple été divisé par dix ! Et le haut magistrat de demander "qu'un certain nombre de principes prudentiels soient donnés par l'Etat pour la fixation des redevances". Autre possibilité : le droit à l'expérimentation. "Rien n'empêche de signer une convention expérimentale de un an, quitte à la corriger pour s'engager ensuite sur une plus longue période, assortie d'une évaluation régulière des résultats par rapport à l'objectif", a proposé Michel-Pierre Prat.
Dans un système où une entreprise privée - le club - bénéficie de moyens de production appartenant à la collectivité, "il ne paraît pas exagéré que la puissance publique ait quelques exigences", a conclu Michel-Pierre Prat, partisan "d'une présence un peu plus forte de l'Etat" sur ces sujets. Auditionnée après lui par le Sénat, Claudie Sagnac, adjointe au directeur des sports du ministère des Sports, a précisé que la gouvernance et la régulation du sport professionnel, ainsi que l'intervention des collectivités sur la question essentielle des équipements, figuraient bien parmi les priorités de Valérie Fourneyron.