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Sport - Infrastructures du sport professionnel : les ligues vont-elles trop loin ?

Alors que les derniers mois avaient été propices à des prises de position pour le moins circonspectes sur la place de l'argent public dans le sport professionnel (voir nos articles des 13 et 26 janvier ci-contre), la Ligue nationale de basket (LNB) vient d'annoncer la réforme des championnats professionnels Pro A et Pro B. Cette réforme prévoit notamment "un passage à 18 clubs [en Pro A] par l’attribution de deux invitations". Pour la LNB, il s'agit d'"une première dans le sport français où l’augmentation du nombre de participants à une compétition ne se fera pas sur des critères sportifs". En effet, le modèle sportif professionnel européen, contrairement à ce qui existe en Amérique du Nord, repose depuis l'origine sur la primauté du résultat sportif : accède à la division supérieure l'équipe qui s'est le mieux classée la saison précédente dans la division inférieure. Pour la saison 2013/14, la LNB envisage au contraire d'attribuer deux invitations pour la Pro A à des clubs de Pro B selon "un cahier des charges basé sur des critères objectifs [capacité d'accueil de la salle, montant du budget, gouvernance, structure administrative, existence d'un centre de formation agréé]". A terme, la LNB envisage l'octroi de deux autres places en Pro A selon ces mêmes critères objectifs en fonction de la qualité des dossiers déposés.

Juger les collectivités, "insupportable"

Cette annonce de la LNB a fait bondir Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport (Andes). Et ce d'autant plus qu'elle intervient quelques jours seulement après une première réunion "de calage" avec l'ensemble des ligues professionnelles (basket, football, handball, rugby, volley-ball) : "J'ai été surpris de cette annonce car cela n'a jamais été abordé dans la réunion que nous avons eue. Cela ne va pas dans le sens du travail que l'on s'est assigné les uns et les autres." Ce que craint l'élu, c'est de voir les clubs désireux de présenter le meilleur dossier possible se tourner vers les collectivités territoriales pour obtenir toutes sortes d'appuis et de garanties, à commencer par des investissements dans les équipements. Et le basket ne fait pas exception. Si une promotion "sur dossier" n'est pas prévue en football, la Ligue professionnelle de football (LFP) a adopté en février la "licence club" qui influera sur la rémunération des clubs par la ligue, organisatrice des championnats de Ligue 1 et Ligue 2. Et pourrait à terme servir de sésame pour accéder à une division supérieure, même si cela n'est pas officiellement à l'ordre du jour. Dans la licence-club du football, les infrastructures du stade au sens large compteront pour 70% de la note donnée à chaque club. Une mesure qui, là encore, inquiète Jacques Thouroude : "Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais vu un club investir dans un bâtiment qui ne lui appartenait pas [sur 20 clubs de Ligue 1, seuls Auxerre et Ajaccio sont propriétaires de leur stade, ce qui n'a pas empêché l'Assemblée de Corse d'octroyer près de 4 millions d'euros au club d'Ajaccio pour rénover son enceinte à l'été 2011, NDLR]. Dernièrement, cela a été la croix et la bannière quand il a fallu acheter des bâches chauffantes pour protéger les pelouses l'hiver. Dès lors que les clubs ne sont pas propriétaires des installations, je ne sais pas comment ils vont appliquer ces règles. Cela veut dire qu'on va juger le propriétaire, c'est-à-dire les collectivités territoriales, et ça, c'est assez insupportable."

"Ne nous poussez pas à légiférer"

La ligne jaune semble même en passe d'être franchie par la Ligue nationale de volley (LNV), dont le président Jean-Paul Aloro, déclarait le 11 février dernier au quotidien L'Equipe que le projet de licence-club pour son sport avait pour but "d'obliger les clubs à respecter un ensemble de critères comme d’avoir une capacité de salle minimale ou présenter un budget plancher". Un discours qui rejoint celui de la LFP qui, dans les recommandations de sa commission des stades pour la saison 2011/12, écrivait : "Il apparaît que les capacités d’accueil retenues dans le règlement des terrains de la FFF sont insuffisantes pour le développement du spectacle produit par les équipes évoluant en Ligue 1 et Ligue 2." Franchissement de la ligne jaune, donc, car non seulement les ligues professionnelles n'ont pas la compétence pour édicter des normes, seule la fédération dont elles dépendent pouvant le faire, mais de plus, les normes fédérales ne peuvent avoir une finalité commerciale, comme une capacité minimale d'accueil. "Au cours de notre réunion, précise Jacques Thouroude, on a rappelé que les ligues professionnelles n'avaient pas à obliger les collectivités à investir. Elles jouent au billard par la bande en imposant des investissements aux clubs qui eux vont se retourner vers les collectivités. On leur a dit : 'Ne nous obligez pas à saisir nos maires qui sont aussi parlementaires, et qui à un moment donné vont se fâcher. Ne nous poussez pas à légiférer.'" Et le président de l'Andes de rappeler, comme un avertissement, le récent épisode de la grève du basket professionnel aux Etats-Unis : "Quand la ligue de basket américaine s'est arrêtée durant une saison, on s'est aperçu qu'il y a eu des reports de dépenses, les gens allant au cinéma ou au théâtre au lieu d'aller au stade. Il n'y a pas eu de pertes sur l'économie locale mais un transfert d'un spectacle vers un autre. Les ligues doivent faire très attention. D'abord parce que nous, on n'y arrivera pas quelle que soit la pression qu'elles nous mettrons. On ne peut pas délaisser les équipements sociaux, scolaires, de transport, pour réaliser des stades qui seraient destinés aux professionnels et aux seuls professionnels, c'est impossible." La balle est désormais dans le camp des ligues.