Construire "la ville sur la ville" sera long et coûteux

L’objectif de zéro artificialisation nette a été au cœur des débats sur la mobilisation du gisement du renouvellement urbain, le 6 octobre au Congrès des EPL à Tours. Pour répondre au défi, les intervenants plaident pour une refonte de la fiscalité foncière et, plus largement, pour un soutien volontariste de l’État aux collectivités territoriales.

On a beaucoup parlé financement et fiscalité foncière lors de la conférence sur la mobilisation du gisement du renouvellement urbain organisée dans le cadre du Congrès des entreprises publiques locales (EPL), les 4, 5 et 6 octobre à Tours (voir aussi notre article du 7 octobre 2022). La publication, cet été, des premiers décrets de la loi Climat et Résilience pour l’application du "zéro artificialisation nette" (ZAN), fournissait une actualité récente aux débats.

Si personne ne remet en question la nécessité de freiner, avant de la stopper, l’appropriation de nouvelles terres, notamment agricoles, dans le but de les urbaniser – chaque année, une surface correspondant à deux fois la ville de Paris est artificialisée en France –, le chapitre de la loi sur le ZAN et son application suscitent des appréciations très mitigés.

Sophie Primas, sénatrice des Yvelines et présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat, s’étonne de "l’écart fondamental entre la loi et les décrets d’application. Il y a eu une démarche à partir des territoires pour écrire le texte, mais ce qu’il y a dans les décrets, c’est l’inverse. Ce sont en fait les régions qui décident". Elle y voit "une trahison de la commission mixte paritaire qui s’est penchée sur la question des ZAN".

"En matière d’aménagement, il faut du temps long"

Patrick Jarry, maire de Nanterre et président des EPL, considère qu’on ne peut réduire la question de la disponibilité et du coût du foncier à la récente loi : "Ces vingt dernières années, le prix du foncier s’est emballé et on ne peut pas l’attribuer au ZAN." Pour l’élu, il est surtout nécessaire d’inscrire l’action du législateur dans la durée : "L’État doit mettre en place un fonds friche de longue durée. En matière d’aménagement, il faut du temps long et ne pas changer les règles en permanence."

Sophie Primas, qui a lancé une consultation en ligne sur le sujet – elle a recueilli 1.245 réponses d’élus locaux –, relaie leur inquiétude sur l’absence d’aide financière et technique relative aux ZAN : "Quand on doit refaire les documents d’urbanisme (PLUi ou PLU, Scot…), les démarches sont complexes et les élus ont du mal à les financer. Il sera difficile de les mener à bien sans ingénierie et sans argent public."
Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement (2016-2017) et actuelle présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), s’insurge contre le fait "qu’on mette à égalité les communes, celles qui n’ont rien construit depuis vingt ans et celles qui ont laissé les supermarchés s’installer en périphérie, celles en déprise démographique et celles qui ont connu une forte augmentation de leur population".
Elle rappelle que la question du foncier est sous-tendue par deux débats : celui de sa valorisation, qu’elle veut remettre à plat – "c’est une bombe à retardement, cela fait trente ans qu’on ne veut pas le voir", souligne-t-elle – et celui de sa fiscalité : "On doit tenir compte de l’intérêt général en taxant la rétention foncière et les locations saisonnières. Plutôt que de supprimer la taxe d’habitation, il aurait fallu modifier son mode de calcul et laisser aux collectivités les moyens d’investir."
Patrick Jarry insiste sur la valorisation immobilière. "Il y a 55 millions de m2 de bureaux en Île-de-France. Si on en récupère seulement 10%, on peut construire 85.000 à 90.000 logements. Mais cela n’avance pas à cause du prix exigé par les propriétaires qui ont exploité pendant trente ou quarante ans ces immeubles. Ils doivent accepter de les dévaloriser pour rendre la transformation de leur usage économiquement supportable".
Jean-Baptiste Blanc, auteur récemment d’un rapport sénatorial sur "les outils financiers pour soutenir l’atteinte de l’objectif de ZAN", propose la création "d’un guichet unique" pour définir une stratégie territoriale des ZAN, un peu sur le modèle de l’Anru ou de l’ANCT. Rejoignant les précédents intervenants, il requiert le transfert d’impôts nationaux pour ne pas se limiter aux seuls fonds friche et fonds vert.

Le parlementaire conjure aussi de ne pas oublier les territoires en déprise, au nom du principe constitutionnel d’égalité entre les territoires : "Il y a un système de péréquation à imaginer, suggère-t-il. J’ai lancé une piste, celle des pactes financiers et fiscaux à l’échelle intercommunale."
Pour faire face à ce défi des ZAN et de la reconstruction "de la ville sur la ville", tous les intervenants ont plaidé pour un assouplissement de l’objectif, notamment dans sa partie règlementaire, et un soutien sans faille de l’État, tant en ingénierie qu’en financement.