Financement des mobilités : le Gart et ses partenaires veulent "sortir des anciens modèles"
Le Gart, la FNCCR et les clubs Logistique & territoires durables et Mobilités durables & territoires viennent de publier un livre blanc pour "sortir des anciens modèles" en matière de financement des mobilités. Si le document propose quelques pistes nouvelles – un fonds de garantie pour "dérisquer" les investissements des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) expérimentant de nouvelles technologies, des schémas directeurs des infrastructures de recharge pour véhicules électriques rendus opposables aux tiers –, les principales restent classiques : faire contribuer davantage l'usager des transports publics, ou des transports tout court (péages autoroutiers… ou urbains, passagers aériens), solliciter l'État (baisse du taux de TVA), plus largement le contribuable (via notamment une hausse du versement mobilité), le pollueur (à travers le marché carbone) ou encore le "passager clandestin", bénéficiant malgré lui des retombées positives de nouvelles infrastructures de transport.

© GART et Adobe stock
Alors que la conférence Ambition France Transports est en cours, le Gart, la FNCCR ainsi que les clubs Logistique & territoires durables et Mobilités durables & territoires viennent de publier un livre blanc sur le financement de la transition énergétique des mobilités, avec pour ambition de "sortir des anciens modèles pour investir sur l'avenir".
Une nécessité, alors que les autorités organisatrices de la mobilité font face "à un besoin de financement important estimé à plus de 100 milliards d'euros d'ici 2030 selon le Sénat – dont environ 60 milliards d'euros pour les AOM hors Île-de-France", met d'emblée en avant Louis Nègre, président du Gart. D'autant plus que l'association estime que les orientations prises jusqu'ici par Ambition France Transports "tendent à privilégier les grandes infrastructures métropolitaines, au détriment des dispositifs quotidiens en territoires ruraux et périurbains".
Le contribuable
Les modèles préconisés dans le document restent néanmoins pour la plupart connus – difficile de réinventer la roue, même dans les transports. À commencer par celui visant à "renfor[cer] l'aide de l'État dans le pays d'Europe qui prélève le plus de taxes et d'impôts", comme l'indique Louis Nègre. Vu que ledit pays est aussi l'un des plus endettés (le 3e de l'UE par rapport au PIB), l'équation est ardue. Si le Gart plaide une nouvelle fois pour rétablir le taux de TVA sur les transports publics du quotidien de 10 à 5,5% afin d'offrir aux AOM de nouvelles marges de manœuvre, il est probable que la proposition reste lettre morte. D'autant que le Gart souligne que cette éventuelle réduction du taux ne devrait pas "engendrer la diminution de la quote-part de TVA reversée aux collectivités locales dans le cadre des mécanismes de financement actuels". L'État serait également mis à contribution pour cofinancer le déploiement du disque vert – qui permet aux véhicules à faibles émissions de stationner gratuitement pendant deux heures.
Le contribuable – en l'espèce, les entreprises – serait également davantage sollicité via une augmentation du versement mobilité (VM), suivant diverses modalités : en abaissant le seuil d'assujettissement pour y inclure les très petites entreprises ; en relevant les taux de plafond hors Île-de-France, en créant un bonus "offre complémentaire" – c'est-à-dire un taux majoré "temporaire" applicable lors de la création de nouvelles lignes, d'extensions de services, etc. – ; en renforçant le VM additionnel, qui serait autorisé sur tous les territoires et dont les recettes seraient fléchées vers les actions favorisant l'interconnexion des modes. Un taux réduit (à 0,3%) pourrait toutefois être instauré par les communautés de communes ne disposant pas de lignes de transport public régulières, "à condition que soient identifiés des services de mobilité active, partagée ou de transport à la demande dans la délibération".
Le pollueur
Autre recette désormais bien établie, faire payer le pollueur, directement ou indirectement. Le Gart préconise ainsi le fléchage d'une partie des recettes des marchés carbone (SEQE 1 et 2) vers les transports publics et les modalités alternatives, en dérogeant ainsi au principe d'universalité budgétaire. Le tout en reprenant progressivement la trajectoire initiale vers un prix de la tonne de CO2 à 100 euros à horizon 2030 (contre 44,60 euros aujourd'hui).
Serait de même en partie fléchée en faveur de la mobilité du quotidien une partie des recettes des péages autoroutiers, lesquels seraient maintenus, avec par ailleurs "une réelle tarification en fonction des émissions polluantes des véhicules".
Le secteur aérien serait lui aussi davantage sollicité, via l'assujettissement progressif à l'échelle européenne du kérosène à la TICPE, la création d'une taxe additionnelle sur les passagers et le renforcement des taxes existantes (sur les passagers, le fret et les nuisances sonores) par des contributions additionnelles.
Les deux premières pistes sont toutefois semées d'embuches (lire notre article du 23 janvier). Et la dernière n'a guère les faveurs de l'actuel ministre des transports (lire notre article du 18 avril).
Le passager clandestin (malgré lui)
Autre piste proposée par le Gart, déjà maintes fois évoquée, solliciter les bénéficiaires des retombées positives des nouvelles infrastructures de transport. Quatre pistes sont identifiées : "instaurer une taxe sur les plus-values immobilières et foncières, notamment [nous soulignons] dans le cadre de grands projets immobiliers, dans un périmètre autour de nouvelles infrastructures de transport" ; "créer des taxes additionnelles à la fiscalité existante (taxe foncière, taxes spéciales sur les propriétés bâties et non bâties)" ; "généraliser la taxe sur les surfaces de bureaux" (donc sans lien ici avec de nouvelles infrastructures de transport) ; "élargir les possibilités de captation de la valorisation foncière afin de faciliter le financement par les AOM, les collectivités et les opérateurs de transport des projets d'infrastructures".
L'usager ou l'utilisateur de transports…
Traditionnellement opposé à la "gratuité", le Gart continue par ailleurs de plaider pour l'augmentation de la contribution des usagers des transports publics – "l'une des plus faibles d'Europe" –, en précisant que la politique tarifaire doit répondre à un triple objectif : couvrir les coûts de production du service ; favoriser le report modal et la fidélisation des usagers ; garantir un accès équitable. Autre proposition choc à l'heure où sont vertement contestées les "Zones à Forte Exclusion", la réintroduction des péages urbains à l'échelle locale.
Le Gart propose encore d'appliquer une écocontribution sur chaque colis distribué et de faire contribuer directement les entreprises de e-commerce ou leurs transporteurs. De son côté, le club logistique durable & territoire prône une écocontribution sur les livraisons de moins de 24 heures, pour financer la logistique à moindre impact (il faudra déterminer si la livraison ultra-rapide, mais par véloporteur, devra être ou non assujettie).
… quand il est au rendez-vous
Reste qu'il faut encore que l'usager soit au rendez-vous. Les auteurs pointent ainsi qu'en dépit des aides, notamment "de la Banque des Territoires", "très peu de collectivités" assurent le "petit équilibre" financier (couvrir la seule exploitation) du service public de la recharge, l'atteinte du "grand équilibre, CAPEX plus OPEX", n'étant pas envisageable à la vue du nombre de recharges vendues". Un déficit d'autant plus problématique que "les bornes implantées il y a 10 ans sont déjà à renouveler", est-il pointé. Pour éviter que les opérateurs privés ne se focalisent sur les zones les plus rentables, la FNCCR propose en conséquence de rendre opposables aux tiers les schémas directeurs des infrastructures de recharge pour véhicules électriques (SDIRVE) – lesquels, d'après le vice-président de la FNCCR, Dominique Ramard, n'ont jusqu'ici "servi à rien" – et de créer un fonds de péréquation pour chaque demande de raccordement.
Soutenir l'innovation
Ce qui est vrai pour la recharge électrique l'est "quelle que soit l'énergie", est-il souligné. Notamment pour une filière hydrogène dans le dur en général (lire notre article du 26 mars), et en particulier dans la mobilité routière (lire notre article du 10 juin). "Malgré les difficultés rencontrées dans le déploiement de la mobilité hydrogène […], la CDC poursuit les investissements aux côtés des collectivités dans cette technologie, même si le retour d'expérience n'est pas optimal sur le plan financier", est-il relevé. Mais aussi pour le BioGNV, qui est, lui, remis en cause par la réglementation européenne. Et ce, "alors que "les collectivités et les AOM ont investi depuis des années dans des écosystèmes territoriaux autour du biogaz". Les corédacteurs du livre blanc suggèrent en conséquence :
- la création d'un fonds de garantie, géré par l'État, "pour dérisquer les investissements des AOM lorsqu'elles expérimentent de nouvelles technologies en faveur du report modal ou de la transition énergétique de leur parc roulant". François Rage, premier vice-président de Clermont-Auvergne Métropole, suggère ainsi de "réserver une part des subventions reçues au départ pour alimenter une caisse de secours pour faire face quand ça tourne mal", par exemple "lorsque des acteurs industriels disparaissent ou que des choix techniques nouveaux sont plus prometteurs" ;
- une action résolue de l'État auprès de l'UE en faveur du biogaz et des biocarburants pour décarboner les flottes de véhicules ;
- ou l'étude d'un "programme CEE intégrant l'impact carbone par une analyse cycle de vie des carburants, notamment bioéthanol et bioGNV, et l'ensemble des leviers permettant de décarboner les flottes d'entreprises et de collectivités, comme l'hybridation des moteurs, l'écodiagnostic et éco-entretien des véhicules ou encore l'écoconduite".
De la visibilité et de la stabilité législative et réglementaire
Au-delà de l'existence des financements mêmes, les auteurs du livre blanc insistent par ailleurs sur l'importance de "disposer d'une visibilité sur le long terme des mécanismes de financement mis en place pour soutenir les filières" et de "stabiliser le cadre législatif et réglementaire". Le Gart souligne ainsi que "nombre d'adhérents AOM rencontrent des difficultés avec la réglementation et les surcoûts engendrés par des législations européennes, nationales et parfois leur interprétation locale par les Sdis". À coup sûr, pas le moindre des défis.