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Gafa et opérateurs de free floating en arrière-plan du vote du volet "données" de la LOM

Le Sénat a adopté le volet "données" du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Le principe d'élargissement de l'open data à toutes les catégories de modes de déplacement a été acté. Sensibles aux craintes d'un déferlement des Gafa, les sénateurs ont instauré une redevance. Une disposition applicable à toutes les catégories de réutilisateurs alors que le gouvernement souhaitait en dispenser les start-up. 

Les sénateurs ont examiné le 21 mars le volet "données" du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Son titre 2 transpose le règlement européen 2017/17 qui impose d'ouvrir l'ensemble des données relatives aux déplacements. Les opérateurs publics comme privés de transports, de stationnement (voirie ou en ouvrage) ainsi que les "fournisseurs de services de partage de véhicules, de cycles et d’engins de déplacement personnel" (autrement dit vélo, scooters et trottinettes) sont concernés par ces nouvelles obligations. Les données statiques (arrêts, horaires…), dynamiques (mises à jour en temps réel), leur historique ainsi que les données de géolocalisation des véhicules partagés en free floating devront être ouvertes. L’article 13 habilite par ailleurs le gouvernement à légiférer par ordonnance pour assurer la mise à disposition des données des véhicules "connectés" et des assistants de conduite aux forces de l’ordre et aux services d’incendie et de secours.

Des données pour contrôler les opérateurs de free floating

Les dispositions sur les véhicules en free floating sont particulièrement attendues de grandes métropoles fort démunies pour négocier avec les acteurs des nouvelles mobilités. Du reste, au moment même où les parlementaires débattaient de ces dispositions, la mairie de Paris décidait de réglementer le stationnement des trottinettes, scooters et autres vélos en free floating (lire notre article). Les opérateurs devront payer une redevance annuelle à la ville pour chaque véhicule (comme cela existe à Marseille) et leurs clients seront sanctionnés s'ils ne stationnent pas dans 2.500 zones réservées, bientôt créées sur les trottoirs parisiens. Un dispositif sur lequel travaillent aussi Lyon et Bordeaux, qui ne peut cependant fonctionner que si les collectivités ont accès aux données des opérateurs de free floating, en particulier sur les utilisateurs et la géolocalisation des véhicules.

Une redevance payable dès la première requête

Le projet de loi clarifie également les conditions d'accès aux données dynamiques. Le principe même de leur mise à disposition a fait débat. Frédéric Marchand (LREM) a ainsi fustigé une disposition, "source de profits, gratuite pour les Gafam, experts en captation privée des données publiques, qui l'utilisent ensuite pour développer des applications payantes et lucratives" et a demandé la suppression de l'accès aux données dynamiques. "L'ouverture de ces données améliore la concurrence et l'innovation pour des services de meilleure qualité en faveur des usagers" lui a répondu Élisabeth Borne, ministre des Transports. En contrepartie de leur mise à disposition, les opérateurs auront la possibilité d'instaurer une redevance. Le gouvernement souhaitait cependant que les données restent gratuites pour les petits utilisateurs et notamment les start-up. Le Sénat en a décidé autrement en instaurant une redevance payable dès la première requête de données et non à partir d'un certain seuil. Éliane Assassi (PCF) a estimé de son côté que la création de seuils était "illusoire", citant l'exemple de la RATP qui a échoué à faire payer les utilisateurs d'une plateforme ayant coûté un million d'euros à la régie.

Une entorse à la philosophie de l'open data

Si le principe de redevances pour les données temps réel trouve sa légitimité dans les infrastructures techniques nécessaires à un service potentiellement critique et devant fonctionner 24h/24 et 7J/7 (contrairement au téléchargement de données statiques), cette disposition écorne sérieusement le principe de gratuité des données publiques promu par la loi Lemaire. Du côté de l'association Open data France, on affiche du reste une préférence pour le garde-fou de la licence associée aux réutilisations de données publiques. La licence dite OdBL, privilégiée par le gouvernement pour les données transports, impose en effet un repartage des données enrichies à l'identique pour les réutilisateurs, barrière jugée suffisamment dissuasive pour éviter la cannibalisation des Gafa. 

L'Arafer, régulateur de la data

Les démarches d'ouverture des données seront pilotées par les métropoles et, au-delà de leur périmètre, par les régions, des accords étant possibles entre les deux entités. Les collectivités devront proposer des services d’informations sur les déplacements multimodaux et publier les données sur le point d'accès national (transport.data.gouv.fr). Pour régler les différends autour de l'accès à la donnée, le texte confie à l’Arafer la surveillance du respect des obligations fixées par le règlement européen. L'autorité indépendante pourra prendre des mesures conservatoires et infliger des sanctions en cas de manquements.
 

Citymapper et Google en embuscade

Plusieurs annonces récentes montrent que les craintes des élus ne sont pas totalement dénuées de fondements. La société britannique Citymapper a ainsi lancé le 21 février le "Citymapper Pass", une carte prépayée donnant accès aux réseaux de métro, bus, vélos et services de covoiturage de la métropole londonienne. Or, cette société était à l'origine un simple calculateur multimodal "valorisant" des données open data des grandes métropoles mondiales. Citymapper pourrait donc à terme venir concurrencer les opérateurs publics de transports sur le terrain de la billettique en mode Booking.com. Les ambitions de Google, qui vient de réorganiser son antenne française autour de la mobilité, pourrait aller plus loin en tentant d'imposer ses standards. Car la firme de Mountain View se positionne progressivement sur l'ensemble de la chaîne de valeur des nouvelles mobilités : cartographie (Google maps), système d'exploitation (Android auto), véhicule autonome… Il n'est cependant pas certain que le levier des licences et des redevances soit suffisant pour les arrêter. Leurs détracteurs ont du reste qualifié ces disposition de ligne Maginot…