Infrastructures de transport : la Cour des comptes plaide à nouveau pour la suppression de l’Afit France

Dans un nouveau rapport consacré à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), la Cour des comptes plaide, comme en 2009, pour la suppression de cette dernière et la réintégration des crédits concernés au sein du budget général. Au passage, la Cour propose de réformer et de renforcer le Conseil d’orientation des infrastructures, face à un État qui "continue de prendre certains engagements au coup par coup".

Le diagnostic de son ancien président et désormais ministre de la Transition écologique Christophe Béchu se confirme : l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) est bel et bien maudite (voir notre article du 27 mai 2021). Alors que l'agence vient tout juste d'être dotée d'un nouveau dirigeant (voir notre article du 28 février), la Cour des comptes propose une nouvelle fois, après 2009 (voir notre article du 4 février 2009), de la supprimer, et de réintégrer les crédits concernés au sein du budget général, dans le cadre d’une nouvelle mission budgétaire "Politique publique des transports". 

Faible valeur ajoutée

Sur le fond, rien de nouveau. Comme dans son rapport annuel de 2009 ou dans un référé de 2016 (voir notre article du 30 août 2016), la Cour pointe "la faible valeur ajoutée" de l’agence, laquelle constituerait "avant tout un moyen de contournement de la loi organique sur les finances publiques, qui a pourtant explicitement prévu les dispositions nécessaires à cette catégorie de dépenses". Pis, alors que l’agence est "censée apporter une plus grande lisibilité à la politique d’investissement de l’État", la Cour estime qu’elle ne remplit qu’imparfaitement cette mission "en raison du manque de clarté et cohérence du champ des dépenses prises en charge". Et ce, d’autant que "celui-ci s’est considérablement étendu sans toujours beaucoup de rigueur ou de lien direct avec des infrastructures de transport, mais aussi, paradoxalement, sans pour autant englober toutes les dépenses de l’État dans la construction de celles-ci".

Ni pouvoirs ni ressources

La rue Cambon souligne de même une nouvelle fois la "position d’étroite subordination [de l’agence] vis-à-vis de la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGTIM) du ministère […], ce qui la maintient dans un rôle de caisse de financement". Elle estime encore que la création du Conseil d’orientation des infrastructures (COI), saluée par ailleurs, "fait obstacle à la possibilité pour l’Afitf de remplir ses fonctions de conseil ou de supervision désormais dévolues à une autre instance" et que le conseil d’administration de l’agence "ne fait qu’avaliser des décisions déjà prises". Elle dénonce en outre une nouvelle fois le fait que, "près de vingt ans après sa fondation, l’agence ne dispose toujours pas, après l’échec de plusieurs formules, de ressources stables, prévisibles et pérennes".

Des progrès...

Certes, la Cour souligne cette fois "qu’en tant qu’instrument de financement des infrastructures de transport, l’agence remplit de manière satisfaisante la mission qui lui a été confiée" ou encore qu'elle "a vu ses capacités de paiement augmenter au cours de la période récente, au bénéfice de son activité d’intervention, mais également de l’assainissement de sa situation budgétaire". Plus largement, elle estime de même que la nouvelle organisation de la programmation des infrastructures de transport – avec un COI qui "contribue à la définition d’une trajectoire in fine décidée par les pouvoirs publics", et ensuite mise en œuvre par l’Afit France – "constitue un progrès par rapport aux pratiques du passé", où "les décisions d’engager les crédits de l’État se prenaient au fil de l’eau". 

… qui restent insuffisants

Pour autant, la Cour juge que "cette rationalisation s’avère dans une large mesure inachevée". Elle estime ainsi que le COI "ne dispose pas des moyens de contre-expertiser [les projets] ou d’étudier l’impact des [‘scénarios préférentiels’] dans toutes leurs dimensions, notamment environnementales, ni de proposer de nouvelles ressources éventuellement nécessaires". Ou encore que "la programmation financière finalement décidée et rendue publique demeure peu précise". Et de prendre l’exemple du projet de ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur ou de l’accélération du calendrier prévu pour la section Bordeaux-Toulouse du Grand Projet ferroviaire du sud-ouest pour constater que "l’État continue de prendre certains engagements au coup par coup, sans se référer à un programme d’ensemble et en reportant la question de leur financement". La Cour préconise en conséquence de réformer et de renforcer le COI, notamment en le dotant "des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions, dont le suivi de l’application des décisions d’investissement".

Une analyse contestée par la DGTIM

Sans surprise, la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGTIM) conteste pied à pied l’analyse de la Cour. Elle s’offusque du fait que la Cour puisse "laisser accroire que la création de l’Afitf ne respecte pas les règles budgétaires", analyse selon elle contredite "tant du point de vue du droit budgétaire comme en fait". Elle estime par ailleurs que la proposition de budgétisation de l’agence présenterait "un bilan coûts/avantages très clairement défavorable par rapport à son maintien", puisque lesdits avantages se résumeraient selon elle à "un seul élément : une plus grande application du principe de l’universalité budgétaire". Or, pour la DGTIM, la nécessaire prise en compte du temps long qui caractérise les projets d’infrastructures de transport justifie précisément que soient dépassés les principes budgétaires de l’annualité et de l’universalité. Et de renvoyer au passage la Cour à sa propre doctrine sur "l’inadaptation de la formule du compte d’affectation spéciale pour financer des investissements qui s’exécutent sur plusieurs années".

La DGTIM défend encore le "consensus qui existe dans les travaux du conseil d’administration de l’agence" et le fait que l’État accorde ses positions préalablement aux réunions de ce dernier afin de parler d’une seule voix, processus dont elle relève qu’il répond à une circulaire du Premier ministre de 2010. Elle observe également que depuis 2022 (dernière année auditée par la Cour), "le périmètre des dépenses respectives du budget de l’État et de l’Afitf a évolué dans le sens de la clarification souhaitée par la Cour des comptes".

Enfin, la DGTIM défend le "modèle français" de programmation et de financement des infrastructures, lequel repose "sur plusieurs instances spécialisées aux compétences bien définies" – contrairement aux modèles voisins qui reposent sur des instances plus larges –, en considérant que "les échanges rendus nécessaires par les interfaces entre ces différentes instances sont le gage d’une meilleure solidité et cohérence de la programmation d’ensemble". Au passage, elle souligne l’investissement des parlementaires comme des élus locaux dans ces instances, "qui prennent le temps, de manière essentiellement bénévole, d’apporter leur expertise aux travaux du COI ou de l’Afitf".